La France aime rappeler qu’elle est (malheureusement) l’héritière de la Gaule. Le goût pour le désordre et pour l’individualisme y est brandi avec une désespérante vanité. Le spectacle de la confusion la plus totale et à tous les niveaux qui est offert aujourd’hui au monde entier atteint des sommets et devrait être ressenti par chaque Français comme une humiliation personnelle. Il n’en est sans doute rien. D’abord, parce que beaucoup de Français n’ont aucune notion économique. Un actif sur quatre est fonctionnaire, assimilé ou travaille dans le secteur public. Ainsi, c’est pratiquement sept millions de Français qui sont installés sur cette île qui leur permet d’ignorer la compétition qui règne entre les nations sur le plan économique. L’importance démesurée de l’emploi public dans notre pays non seulement pèse sur notre compétitivité par son coût global, mais est aussi un frein politique considérable et contamine une large partie de la population. Paradoxalement, il y a dans notre pays une conscience insulaire. Les conséquences de nos choix politiques sur nos échanges avec le monde extérieur et donc sur nos performances ne sont pas mesurées. La diminution du temps de travail, l’augmentation de la dépense publique ont progressé à chaque passage de la gauche au pouvoir. Le parti socialiste, en raison d’un électorat ancré sur la fonction publique, est la traduction politique de cette conscience insulaire et demeure le seul en Europe à ne pas avoir réussi son passage à la social-démocratie à l’Allemande. Les « frondeurs » témoignent de cet état d’esprit. Les « froussards », qui sont prêts à renoncer à l’article 2 de la Loi El Khomry par souci de survie électorale, affichent eux-aussi leur légèreté en matière économique. De plus, le poids du parti communiste au lendemain de la seconde guerre mondiale et celui de la centrale syndicale qui lui était lié, la CGT, ont maintenu une conception marxiste des rapports sociaux qui privilégie la force plutôt que le droit. Il est frappant de voir les représentants de cette organisation revendiquer une légitimité sociale supérieure à celle de la loi, qui autoriserait les blocages, les occupations voire la violence. Des secteurs entiers de l’économie nationale ont été sinistrés pour cette raison, directement les ports ou l’imprimerie par exemple. Indirectement, l’image d’un pays béni des dieux souffre et cela se traduit par un recul des investissements étrangers et une perte pour le tourisme. Mais beaucoup de Français qui rêvent d’appartenir à la fonction publique soutiennent les mouvements de protestation , les grèves par procuration, sans voir qu’ils en sont les premières victimes.
En second lieu, l’individualisme l’emporte largement en France sur le civisme. Il a été élevé au rang de spécificité du caractère national. Le Français serait débrouillard, volontiers rebelle et parfois résistant. La réalité est moins reluisante : la poursuite des intérêts individuels s’appuie paradoxalement sur l’exigence de solidarité sociale, l’envie vindicative à l’encontre de ceux qui réussissent trop, et l’absence de goût pour l’entreprise personnelle. La situation actuelle est un empilement de calculs personnels. Le souci du bien commun, où est-il ? Beaucoup de Français pensent que la loi El Khomry, pourtant déjà élaguée, menace leurs acquis. Sans trop se soucier de nos résultats économiques pitoyables, d’un taux de chômage inacceptable, ils soutiennent un mouvement qui ne peut qu’affaiblir les moyens de maintenir notre niveau de vie. L’incohérence, qui s’affiche de plus en plus dans les variations de l’opinion, témoigne de l’absence d’une véritable conscience nationale. Les Français voient le libéralisme comme une menace pour leur situation personnelle, mais semblent séduits par la personnalité de Macron qui incarne l’évolution libérale de la gauche. Il est probable qu’ils voteront majoritairement dans un an pour un candidat dont le programme intégrera des réformes dites « libérales ». On ne peut fonder une démocratie sur pareille légèreté. Quant à la CGT, elle ne défend que sa survie face à une CFDT plus réaliste. Valls, lui, essaie de se construire l’avenir d’un Sarkozy de gauche, fondé sur la volonté et la fermeté. Hollande, comme Chirac naguère, louvoie. Il prend de la distance au Japon tandis que les ministres qui lui sont proches évoquent une révision de l’article 2. La question se déplace maintenant sur la survie de Valls à Matignon. Députés, ministres et Président pensent à leur futur plus qu’à celui de la France.
Ces jeux personnels atteignent leur paroxysme avec Mélenchon qui tente de récupérer le mouvement en songeant à Syriza ou à Podemos. Voilà un politicien qui n’hésite pas à faire prévaloir la démocratie de la rue et des sondages sur nos règles constitutionnelles. Voilà un cynique sans complexe qui va jusqu’à ériger le chantage en principe démocratique : l’Euro arrive. Si la situation persiste, les forces de police seront débordées, les étrangers hésiteront à venir, l’image du pays sera terriblement dégradée… On s’attendrait à ce qu’un homme politique responsable dise qu’il ne peut s’associer à cette catastrophe. Non, il en tire argument pour exiger que Manuel Valls s’en aille avec sa loi. Sinon, il continue… Il ne faut pas s’étonner avec de pareils exemples, que des jeunes crétins, se voient ainsi légitimés dans leurs violences contre la police, comme si notre pays était une dictature féroce, que les attentats ne s’étaient pas produits, ni l’état d’urgence instauré. Mais les professeurs qui les ont ainsi « déformés » sont le noyau dur idéologique et professionnel du « mal français ».
Rousseau écrivait : « Le fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». C’était pour lui la clef de la démocratie. Entre un gouvernement faible qui a perdu sa crédibilité et une opposition sociale qui joue la force contre le droit, cette clef, c’est-à-dire la légitimité, est, semble-t-il perdue.
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