La jaquette flottante et le faisceau des licteurs

Abel Bonnard

Il y a bien des raisons de penser que l’extrême droite ne fait pas bon ménage avec l’homosexualité. Ce courant politique, pense-t-on, est plutôt à cheval sur la morale traditionnelle. Et puis son culte de la force et de la virilité semble contradictoire avec les affects homosexuels. Enfin, tout le monde sait, ou croit savoir, que les « invertis » étaient persécutés par les régimes professant cette idéologie. Nous allons nous limiter à notre pays, car la matière s’avère plutôt dense.

L’homosexualité réprimée pendant la guerre ?

Le premier rapport de référence sur la question est paru en France en 2001. Il a été commandé par le ministère des Anciens Combattants à la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD). Ce rapport Mercier parlait de 210 hommes français arrêtés et déportés au titre du motif d’arrestation n°175 du Code pénal allemand. Plus précisément: “206 étaient des résidants dans les trois départements annexés du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle et 4 étaient des Français d’autres départements, volontaires pour le STO, arrêtés en Allemagne.” Le paragraphe 175 du Code pénal allemand stipulait depuis 1935 que les personnes s’adonnant à “la fornication contre nature, pratiquée entre personnes de sexe masculin” seraint emprisonnées. Cette loi s’appliquait dans les territoires annexés de facto, dont en France l’Alsace-Moselle.

Plus récemment, un colloque interdisciplinaire a eu lieu en 2007 à Dijon sur la déportation des homosexuels français. A l’issue de ce colloque, Mickaël Bertrand s’est attelé à la rédaction d’un livre où sont rassemblées ses conclusions, ainsi que celles d’Arnaud Boulligny, de Marc Boninchi et de Florence Tamagne. L’ouvrage est paru en 2011 et bouleverse les préjugés sur ce sujet sensible. Après avoir vérifié les registres examinés pour le rapport Mercier, il apparaît que le nombre de déportés français pour motif d’homosexualité n’était que de 62, tous arrêtés par les Allemands, dont :
– 7 sont arrêtés dans la zone occupée en France
– 6 sont déportés comme “politiques” en Allemagne
– 42 sont internés en Alsace-Moselle annexée au Reich
– 32 sont arrêtés à l’intérieur du Reich (hors Alsace-Moselle)
– 35 sont internés dans des prisons allemandes
Au moins 13 trouvent la mort en déportation.

On voit qu’il n’y a pas eu persécution des homosexuels par les autorités de Vichy, et que les seules victimes, au nombre dérisoire, le furent du fait des occupants. L’homosexualité ne refait son apparition dans le droit français qu’avec l’article 334 du code pénal, daté du 6 août 1942, qui prévoit l’emprisonnement de ceux qui auront corrompu par des actes impudiques ou contre nature des mineurs de moins de 15 ans pour les actes hétérosexuels et de moins de 21 ans pour les actes homosexuels, discriminant ces derniers.

Les homosexuels et la collaboration

« Pourquoi tant de pédérastes parmi les collaborateurs » se demandait en juin 1941 Jean Guéhenno dans son journal de l’occupation. Le romancier homosexuel Jean-Louis Bory, interrogé en 1976, reconnaissait l’existence d’un milieu homosexuel collaborationniste dans le Paris occupé, et se posait la question de l’attirance de ce milieu pour l’esthétique nazie : « pour ce qui est de la présence de l’armée allemande à Paris, il y avait une fascination qui pouvait jouer sur les homosexuels, c’est la fascination qui joue, si vous voulez, sur le mythe de la virilité, lorsque la virilité est confondue avec la force et le courage (…), le goût de la botte, du cuir, du métal, et les fameuses messes de Nuremberg ». Cette idée d’un lien entre homosexualité et collaboration était exprimée par Sartre dans son article de 1945 « Qu’est-ce qu’un collaborateur ? » Analysant la collaboration comme une sorte de « féminité » qui cherche à charmer la « force » des Allemands, il y décelait un « curieux mélange de masochisme et d’homosexualité et notait : « Les milieux homosexuels parisiens, d’ailleurs, ont fourni de nombreuses et brillantes recrues. »

En 1941, un groupe d’écrivains français se rendit, à l’invitation de Joseph Goebbels, au Congrès de Weimar : André Fraigneau, Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Robert Brasillach, Abel Bonnard, Ramon Fernandez et Pierre Drieu La Rochelle. Sur les sept invités, les cinq premiers étaient homosexuels. Ce congrès avait pour but de redéfinir l’univers littéraire et culturel de la nouvelle Europe. Le voyage futt organisé par le lieutenant allemand Gerhard Heller dont Jouhandeau était amoureux. Robert Brasillach dans Je suis partout, Ramon Fernandez dans Paris-Soir, Jacques Chardonne dans La Gerbe, André Fraigneau dans Comoedia, Marcel Jouhandeau et Pierre Drieu La Rochelle dans La NRF, l’académicien Abel Bonnard dans L’Emancipation nationale rendirent compte de ce voyage.

Robert Brasillach, écrivain et rédacteur en chef de Je suis partout, sera fusillé à la Libération pour “intelligence avec l’ennemi”. Son homosexualité sera évoquée à plusieurs reprises durant son procès, comme si elle pouvait être responsable de son comportement.

Le romancier Abel Bonnard, surnommé par ses détracteurs “la Gestapette” ou “la belle Bonnard”, fut nommé Ministre de l’Education Nationale et de la Jeunesse par Pétain (rappelons que Vichy prétendait restaurer l’ordre moral!). Il sera d’ailleurs, à ce titre, un des signataires du fameux article 334.

D’autres artistes et intellectuels homosexuels d’extrême droite se distinguèrent pendant l’occupation. La liste suivante n’est pas exhaustive.

Abel Hermant fut condamné à perpétuité pour collaboration en 1945, exclu de l’Académie Française puis gracié et libéré en 1948.

L’athlète Violette Morris, lesbienne ouvertement déclarée, se lança dans l’espionnage pour le compte des nazis et dans la torture à l’encontre des résistants arrêtés par la gestapo. Violette Morris sera exécutée par les maquisards.

Marcel Bucard, chef d’un parti d’extrême droite, le Parti Franciste allié des nazis, sera fusillé à la Libération. La presse communiste l’appelait “la grande Marcelle”.

Serge Lifar, maître de ballet de l’Opéra de Paris, fit visiter l’Opéra à Goebbels et accepta un voyage à Berlin en 1942. Il avait certes profité de ses relations avec des dignitaires allemands pour faire libérer quelques danseurs juifs. A la Libération, le tribunal l’écartera de l’Opéra de Paris, il sera interdit de scène en France.

Bernard Faÿ fut nommé directeur de la Bibliothèque nationale dès 1940 et chef du Service des sociétés secrètes, chargé d’exploiter les archives des loges maçonniques en collaboration avec les Allemands.

Jacques Benoist-Méchin, historien et membre des cabinets et des gouvernements de Vichy, était apprécié des nazis au point de recevoir, en janvier 1942, un message personnel d’Hitler à transmettre à Pétain, proposant une alliance militaire à la France.

L’écrivain Roger Peyrefitte fut le secrétaire de Fernand de Brinon, le Délégué général de Vichy pour la zone occupée, résidant à Paris. Il affirma pour sa part, n’avoir jamais passé de meilleurs moments qu’à Paris pendant la guerre, quand des milliers de beaux soldats allemands circulaient dans les rues.

Jean Genêt, antisémite rabique, encensé plus tard par Jean-Paul Sartre, écrivit avec Pompes funèbres en 1947 une déclaration d’amour au nazisme : « Il est naturel que cette piraterie, le banditisme le plus fou qu’était l’Allemagne hitlérienne provoque la haine des braves gens, mais en moi l’admiration profonde et la sympathie. »

Les homosexuels et l’extrême droite après 1945

L’ancien légionnaire Jean-Claude Poulet-Dachary, directeur de cabinet du maire Front national de Toulon, Jean-Marie Le Chevallier, fut assassiné mystérieusement en 1995, à 46 ans. Il avait fait ses armes chez Mgr Lefebvre, au séminaire schismatique d’Ecône en 1972-1973 d’où il sera exclu pour relations homosexuelles avec un autre séminariste.

Plus près de nous, en 2013, la cour d’appel de Paris a confirmé l’interdiction de la publication d’un ouvrage sur le Front national considérant que dans le livre « Le Front national des villes et le Front national des champs », d’Octave Nitkowski, les révélations sur la vie sexuelle de Steeve Briois, bras droit de Marine Le Pen, se justifiaient en raison de son rôle politique de premier plan.

Le lien pleinement assumé entre homosexualité et fascisme, voire nazisme, après la Libération, s’incarna en la personne de Michel Caignet. Celui-ci, de son vrai nom Miguel Caignet, rejoignit à vingt ans, en 1974, les Groupes Nationalistes Révolutionnaires de François Duprat. En 1976, Michel Caignet introduisit le négationnisme en France avec sa traduction du livre Le Mensonge d’Auschwitz de Thies Christophersen. Constatant l’impunité de Michel Caignet, un groupuscule juif décida de se faire justice en février 1981, le défigurant sauvagement au vitriol. Caignet fut, avec Mark Frederiksen, un dirigeant du parti nazi, la FANE, dissout par le Conseil des ministres en 1980, puis des Faisceaux nationalistes européens. Il participa à la réunion clandestine du Conseil fasciste européen qui se tint à Roissy le 26 janvier 1980, avec les délégations de cinq pays. En 1984, Caignet traduisit et diffusa l’ouvrage de Michaël Kühnen, chef de l’Aktionfront Nationaler Sozialisten/ Nationaler Aktivisten, principale formation nazie en Allemagne, Homosexualité et national socialisme. Michel Caignet et l’Allemand Michaël Kühnen, mort du sida en 1991, fondèrent ensemble en 1986 le Mouvement européen, organisation implantée dans cinq pays.
Michel Caignet lança la même année la revue homosexuelle Gaie France Magazine publiée par les Editions de la flamme païenne. Sous une présentation soignée, elle multipliait les apologies de la pédophilie, les références au nazisme, et les évocations de rites paganistes et lucifériens. Dès le numéro 1, Michel Caignet donna le ton : “Je prétends que la communauté gaie a un rôle à jouer dans la perspective d’un renouveau culturel, politique et artistique au sein de la civilisation européenne”. La revue fut interdite à la vente aux mineurs en mai 1992, pour “incitation à la pédophilie”. Pour se soustraire à la justice, elle parut sous le titre Le Gay Pavois interdit en novembre 1994. Michel Caignet fut, en 1989, l’un des principaux responsables du Comité de célébration du centenaire d’Adolf Hitler. En 1996, il fut appréhendé dans le cadre de l’affaire du réseau de pédophilie « Toro Bravo » et condamné en juin 1997 à quatre ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis.

Depuis une quinzaine d’années, une nouvelle vedette de l’homosexualité, fraîchement convertie à l’extrême droite, est apparue. Thierry Meyssan, né en 1957, milite d’abord à l’association Gais pour les libertés, d’où il se fait exclure le 10 janvier 1989. En 1992, il crée le Projet Ornicar, destiné à se battre pour la liberté sexuelle, pornographique et à lutter contre la répression du proxénétisme. En mars 1994, il fonde le Réseau Voltaire pour défendre les libertés et la laïcité. Membre du Parti radical de gauche, il fait partie des équipes de campagnes de Bernard Tapie aux élections européennes de 1994 et de la députée Christiane Taubira aux élections présidentielles de 2002. De 1996 à 1999, il est coordinateur suppléant du Comité national de vigilance contre l’extrême droite qui rassemble chaque semaine les 45 principaux partis politiques, syndicats et associations de gauche. De 1999 à 2002, il succède à Emma Bonino à la tête de la Coordination radicale anti-prohibitionniste, une organisation internationale visant à lutter contre le crime organisé en mettant fin à la prohibition des drogues.

En 2002, il opère un virage à 180° en publiant le livre L’Effroyable imposture, “best-seller” mondial traduit en vingt-sept langues, bientôt suivi par un second, Le Pentagate. Sa théorie présente les attentats du 11 septembre 2001 comme un complot interne aux États-Unis : « Les Tours jumelles, que l’on croyait être une cible civile, cachaient une cible militaire secrète. Peut-être que des milliers de personnes ont péri parce qu’elles servaient à leur insu de bouclier humain. La Tour 7 – mais peut-être aussi d’autres bâtiments et sous-sols – masquait une base de la CIA ». Depuis ce livre, Thierry Meyssan assure une forme de diplomatie parallèle au service de l’axe chiite, des intérêts iraniens et syriens. Cette dérive du Réseau Voltaire a provoqué les départs successifs de plusieurs de ses administrateurs, notamment Michel Sitbon. Ces départs ont été compensés par l’arrivée de militants du négationnisme et de l’islamisme, comme Bruno Drewski, Claude Karnoouh et Issa el Ayoub.

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31 Comments

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  • JG , 5 mai 2014 @ 12 h 12 min

    Très bon papier, qui fait frémir les petits rongeurs trollesques du Front, du type PG…

    Seule erreur : Chardonne n’a jamais été homosexuel.

  • patrick Canonges , 5 mai 2014 @ 13 h 24 min

    Effectivement le doute subsiste, pour le moins, s’agissant de Chardonne.
    Celui-ci est listé parmi les écrivains homosexuels dans le bouquin de Philippe Arino “Dictionnaire des codes hompsexuels”, (2008) mine d’information sur le sujet.
    En revanche, la correspondance Morand-Chardonne récemment éditée (novembre 2013), semble montrer que Chardonne (comme Morand) détestait les homosexuels.
    Seul Dieu peut sonder les coeurs et les reins (Jérémie, 11, 20).

  • Pierre , 6 mai 2014 @ 14 h 00 min

    Aucun service ? L’invention de l’ordinateur, l’écriture d'”A La Recherche du Temps Perdu” ne sont-ils pas des services rendus à l’humanité ?

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