Tribune libre de Roman Bernard*
À force de se focaliser sur le scrutin de dimanche, on en oublierait presque qu’il s’est écoulé cinq ans depuis la dernière élection présidentielle. Cinq années au cours desquelles on aura pu se faire une idée précise de Nicolas Sarkozy, de l’homme, du Président, au cas où les cinq années précédentes (2002-2007) passées au ministère de l’Intérieur, à Bercy et/ou à la présidence de l’UMP n’auraient pas suffi.
Pour moi qui ai voté aux deux tours pour Sarkozy en 2007, les cinq années qui s’achèvent ont été riches d’enseignements. Très rapidement, j’ai pu constater que les espoirs que j’avais nourris pour la « rupture » annoncée étaient infondés.
Dès août 2007, j’ai écrit que Nicolas Sarkozy n’était pas « l’homme de la situation », qu’il était « condamné à l’échec, obsédé qu’il est par sa présence dans les médias, sa cote de popularité et les résultats à court terme ». En 2009, je confirmais ce jugement, notant que « deux ans après son élection, l’action de Sarkozy apparaît proprement illisible ».
Trois ans plus tard, et cinq ans après son installation à l’Élysée, j’aurais du mal à infirmer ce dernier jugement : c’est l’intégralité du quinquennat de Sarkozy qui est illisible. On sait bien que l’homme a beaucoup bougé, qu’il a beaucoup parlé et fait parler de lui, mais qui serait capable de dresser un bilan synthétique et le plus exhaustif possible du mandat sarkozyen ?
Celui qui s’y essaierait aurait de fortes chances d’être proprement écœuré par le flot de vidéos, d’extraits audio, de dépêches AFP, d’articles, d’interviews et de retranscriptions de discours qu’il lui faudrait ingurgiter pour conclure que… l’on ne peut pas conclure. La présidence de Sarkozy n’est pas résumable, car tout et son contraire a été dit, sans que rien de concret ne soit fait. Qui se souvient de la « politique de civilisation » lancée en janvier 2008 ?
La campagne électorale permanente de Nicolas Sarkozy, sans cesse en train de préparer l’élection intermédiaire suivante pour faire oublier l’échec à la précédente, a été le plus sûr moyen de ne pas agir. Et de trahir ses électeurs de 2007, qui attendaient de lui des réformes.
Car Sarkozy, bien qu’il n’ait jamais revendiqué cette étiquette et que son programme de 2007 fût resté assez flou, a été élu à mon sens parce que ses électeurs attendaient de lui une politique à la fois libérale et conservatrice : moins d’État, plus de liberté, d’une part ; plus d’ordre, moins de décadence, d’autre part. Cette attente était sans doute excessive de la part de ses électeurs, même dans le cas où Sarkozy se serait montré digne de leur confiance. Le président de la République ne peut pas tout.
Néanmoins, on aurait pu attendre de Sarkozy qu’il respecte a minima le mandat implicite que lui avaient donné ses électeurs.
Les dépenses publiques, les impôts ont-ils baissé sous Sarkozy ? Non, ils ont augmenté, en dépit de la promesse qui avait été faite par le candidat de l’UMP, en 2007, de ne pas alourdir la charge fiscale. L’alibi à cette trahison est tout trouvé : la crise. Comme ni Sarkozy, ni l’UMP, n’ont jamais pris au sérieux la bataille des idées, ils se sont laissé imposer en septembre 2008 l’interprétation selon laquelle la crise des subprime et ses répercussions en cascades nécessitaient un « retour de l’État », comme si celui-ci était parti un jour.
Alors que la science économique véritable enseignait que la crise financière était la conséquence de la création monétaire excessive par les banques centrales, contrôlées par le politique. Et donc que le remède résidait dans moins d’intervention étatique dans l’économie, et non davantage.
Sarkozy, dans son discours de Toulon, dès septembre 2008, a conclu l’inverse : la crise du keynésianisme, qu’il a jugée à tort comme celle du libéralisme, nécessitait selon lui un renforcement du poids de l’État dans l’économie, ainsi qu’un recours accru à l’endettement étatique pour financer ses largesses. Même la réforme-phare de l’été 2007, le bouclier fiscal empêchant que l’on puisse payer plus de la moitié de ses revenus en impôts directs (compte non tenu de la TVA, donc), a fini par être retirée, en 2011.
Sarkozy et l’UMP se sont tout de suite laissé imposer l’idée qu’il s’agissait d’un « cadeau aux riches », puisque la gauche prétendait que les remboursements du Trésor public aux contribuables protégés par le bouclier fiscal étaient un « don » de l’État. Dans cette inversion totale de la réalité, tout ce que l’État ne taxait pas, il le donnait ! Sarkozy n’a jamais contesté cette vision, et a donc logiquement fait retirer le bouclier fiscal. Cette capitulation idéologique en appelait d’autres.
Durant ses deux passages à l’Intérieur (2002-2004 et 2005-2007), Sarkozy s’était illustré dans la dénonciation de l’insécurité que subissent nos compatriotes. Il a, dès 2002, pris d’assaut les caméras et les micros pour mettre en scène son personnage de « premier flic de France », et préparer sa conquête de l’Élysée. Une fois celle-ci obtenue, on aurait pu penser que Sarkozy mettrait en œuvre la « rupture » qui, promettait-il, s’imposait après cinq ans d’immobilisme chiraquien. Il a ainsi fait voter une loi très controversée — à gauche — sur les peines-plancher, censée garantir qu’un multirécidiviste soit effectivement dissuadé par l’alourdissement des peines au fil de ses récidives. Pour ceux des partisans de Sarkozy qui l’ont oublié — il est difficile de se souvenir de tous les moments de la présidence sarkozyenne qui ont fait polémique — la loi sur les peines-plancher était censée constituer une révolution en matière de lutte contre l’insécurité. C’était négliger qu’une loi n’est qu’un bout de papier, tant qu’elle n’est pas appliquée dans les faits (et pas seulement dans les décrets). Aujourd’hui, un chauffard multirécidiviste peut foncer sur un groupe d’enfants pour les tuer et écoper de seulement quatorze mois de prison, alors même qu’il avait été condamné neuf fois, dont trois à de la prison avec sursis. Où était le fameux garde-fou de la peine-plancher pour que cet individu soit sous les verrous, au lieu d’être au volant d’une voiture ?
Cette politique-spectacle, qui réduit la résolution d’un problème de fond à la fabrication d’une loi après chaque fait-divers, permet également à Sarkozy d’affecter d’être ferme dans l’affaire des prières de rue. Son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, avait affirmé qu’elles avaient disparu du territoire national en septembre 2011. La réalité montre que ce n’est pas le cas.
Je pourrais multiplier les exemples des trahisons de Sarkozy, comme la suppression des IUFM promise et finalement abandonnée. Ce serait fastidieux pour moi et ennuyeux pour le lecteur, qui ne manquerait pas de me signaler des oublis. Sarkozy a tant promis qu’il est impossible de faire un inventaire complet de ses renoncements. On peut simplement dire que, Sarkozy ayant promis les réformes, et ayant continué pendant cinq ans, malgré la nullité de son bilan, à jouer au réformateur devant les caméras de télévision, il doit être jugé sur son échec. Sans doute l’accomplissement de ses promesses ne dépendait-il pas que de lui (les syndicats, l’administration lui auront mis beaucoup de bâtons dans les roues), mais il aurait dû le dire aux Français, plutôt que de leur infliger pendant cinq longues années la mise en scène perpétuelle de son rôle de réformateur factice.
Puisque c’est sur son bilan que le président-candidat doit être jugé, Nicolas Sarkozy ne mérite pas d’être reconduit à l’Élysée. En toute logique, je ne voterai donc pas pour lui le 6 mai.
J’entends d’ici ceux qui, ayant pourtant pesté pendant cinq ans contre la présidence calamiteuse de Sarkozy, prétendent que François Hollande est « pire » que lui.
Le pire est toujours possible en politique, et je n’écarte pas a priori cette idée, mais sur quoi se fondent ceux qui l’agitent ? Selon leurs centres de préoccupations, certains rappellent la volonté de François Hollande de faire voter les étrangers non-européens aux élections municipales ; ou d’instaurer le « mariage » homosexuel ; ou de faire adopter le remboursement à 100 % de l’avortement par la Sécurité « sociale ».
Sarkozy est-il vraiment meilleur, ou moins mauvais, que Hollande dans ces domaines ?
En matière de vote des étrangers, Sarkozy propose la même chose que Hollande : « Si un étranger, en France, souhaite voter, alors il demande à devenir français et nous serons heureux de l’accueillir dans la citoyenneté française. », déclarait-il en meeting au Raincy, ce jeudi 26 avril. Qu’il vote en tant qu’étranger ou en tant que Français tout juste naturalisé ne compte guère. La France accueille, sans que sa population indigène ait jamais été consultée, ni par la droite ni par la gauche, quelque 200 000 personnes de plus par an, qui s’additionnent aux millions d’autres qui sont venues depuis la mise en place du regroupement familial, sous la présidence Giscard. Plus de 100 000 par an sont naturalisées. Le droit du sol permet à leurs enfants d’être des citoyens à part entière. Et en dépit de ses récentes déclarations contraires à ce sujet, l’immigration a continué sous Sarkozy. Elle a même battu des records. Le droit de vote des étrangers aux élections municipales ne change donc rien au problème (notons pour l’anecdote que Sarkozy y était favorable en 2005…), puisque la qualité de citoyen français ne signifie plus grand-chose. S’il n’avait pas été exécuté par le RAID en mars dernier, Mohamed Merah aurait pu voter. Il aurait même pu être candidat à la présidence !
Devant la volonté du candidat socialiste de faire rembourser à 100 % l’avortement par la Sécurité « sociale », Nicolas Sarkozy, pour draguer l’électorat catholique, a cru bon de se découvrir subitement pro-vie. Pourtant, lorsque Marine Le Pen, plus tôt dans la campagne, a proposé que si, et seulement si, la Sécurité « sociale » était obligée de faire des choix budgétaires, elle proposerait de dérembourser partiellement l’avortement au profit des traitements palliatifs pour les personnes en fin de vie, les réactions les plus virulentes sont venues de l’UMP. Xavier Bertrand, ministre de la Santé, a considéré que ce serait « un recul sans pareil vis-à-vis des femmes. Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse en France, après l’avancée que constituait la loi Veil, imaginer qu’un ou une responsable politique puisse revenir sur cette avancée. Il s’agit d’une nouvelle outrance et d’un mépris inacceptable pour les femmes ». Nicolas Sarkozy a-t-il désavoué son ministre ? Non, il a dit qu’il était en total désaccord avec la proposition de Marine Le Pen.
Quant au « mariage » homosexuel, censé être un point clivant entre la gauche et la droite, si Hollande a été très clair sur sa volonté de le voir adopter, Sarkozy a été beaucoup plus évasif. Il s’est contenté de dire qu’« [e]n ces temps troublés où notre société a besoin de repères, [il ne croit] pas qu’il faille brouiller l’image de cette institution sociale essentielle qu’est le mariage. » Quels sont ces « temps troublés » dont parle Sarkozy ? La crise financière et monétaire ? Les élections ? Ceux qui verraient dans ce report sine die par Sarkozy une position de principe risquent d’être déçus, en cas de réélection. Si l’on ne voit guère ce que Sarkozy a accompli de louable en cinq ans (en dix ans si l’on y ajoute son rôle prépondérant dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin), on sait en revanche, à l’aune du mandat qui s’achève, le mal qu’il aura le temps de faire d’ici 2017.
Devant ce non-choix qu’il nous reste, j’ai décidé de ne pas choisir et de m’abstenir le 6 mai. J’entends les mêmes militants sarkozystes, qui seront foudroyés de honte quand on leur repassera le film de « leur » campagne dans cinq ans, dire que la logique du second tour veut que l’on choisisse le moins mauvais, sous peine de faire gagner l’autre. Ne voyant pas en quoi François Hollande est plus dangereux que Nicolas Sarkozy, ni plus indigne, ni plus incompétent, cet argument n’a aucune prise sur moi. Si la droite avait voulu que ses électeurs se mobilisent en nombre suffisant en 2012, elle aurait dû s’en préoccuper dès les premières reculades de l’été 2007.
Où était la droite, quand il était encore temps de faire savoir au président qu’en raison de son bilan désastreux, il ne pourrait pas la représenter en 2012 ?
Le reproche que j’adresse ici aux élus et aux militants de l’UMP vaut aussi pour les électeurs de Sarkozy. C’est parce que ce dernier savait qu’il pouvait compter sur un électorat de droite captif qu’il a pu se permettre de conduire une politique de gauche durant tout son quinquennat. Quelle que soit la politique menée, Sarkozy et l’UMP n’ignoraient pas que l’électeur de droite traditionnelle irait toujours voter pour eux, ne serait-ce qu’en raison de la peur que lui inspire la gauche. Jean-Luc Mélenchon aura servi de « père fouettard » de cette élection présidentielle : avec lui, les brebis égarées du sarkozysme se sentaient obligées de rentrer au bercail de l’UMP, aussi vétuste et insalubre fût-il.
J’écris cette tribune pour dire à ces électeurs déçus de Sarkozy qu’ils ne sont pas obligés de faire ce non-choix là. Sans espoir excessif dans l’utilité de mon abstention de dimanche, je les invite à refuser cette fausse alternative entre deux versions à peine concurrentes de la social-démocratie. Il ne s’agit pas de « tout faire péter » ni de « faire exploser l’UMP pour recomposer la droite », hypothèses auxquelles rien ne permet de croire dans l’immédiat, mais de recouvrer notre souveraineté, qui est individuelle avant d’être nationale.
Si le salut de la France doit advenir, ce que je souhaite, il ne passera pas par la mise sous pli d’un bout de papier tous les cinq ans. Il passera par la reprise de nos destins individuels et familiaux en mains.
Soustraire ses enfants à l’influence mortifère de l’école publique, quitter des métropoles invivables pour habiter dans des petites villes ou à la campagne, préférer la consommation locale à l’enfer des zones commerciales, resserrer ses liens familiaux et amicaux, voilà des débuts de solution face aux temps difficiles qui s’annoncent. Lorsque l’effondrement économique annoncé se produira, Nicolas Sarkozy ne sera pas là pour vous. Si vous continuez à penser que votre participation au cirque électoral peut améliorer d’une quelconque manière la situation, vous vous retrouverez fort dépourvus quand la crise, la vraie, sera venue.
Continuer à voter en 2012, malgré la preuve, encore apportée par ce quinquennat finissant, que cela ne change rien, c’est retarder la prise de conscience des Français. Comme j’entends, à ma modeste mesure, éclairer mes compatriotes, je les invite à ne pas aller voter dimanche.
*Roman Bernard est l’ancien rédacteur en chef du Cri du contribuable.
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