Que retenir de deuxième tour des élections municipales ?
Le 30 mars dernier, ce n’est pas seulement à un échec ou à une sanction que l’on a assisté, mais bien à un effondrement. La gauche présidentielle et gouvernementale perd un grand nombre de villes. Or, si la gauche avait progressé depuis 15 ans, c’était notamment en milieu urbain. Autrement dit, nous avons assisté à la contestation de la part d’un électorat qui lui avait permis de revenir à la tête de l’État. La gauche perd en effet une très grande partie de la France urbaine, même si Lille, Lyon, Paris ou Strasbourg résistent, parfois tant bien que mal. Ce à quoi nous avons assisté, ce n’est rien d’autre que le décrochage, à l’égard de la gauche, des zones géographiques qui pouvaient lui être favorables : les zones urbaines, mais aussi les banlieues. Enfin, on notera que des terres favorables à la gauche comme le Nord-Pas-de-Calais basculent clairement à droite, voire au FN. Le cycle de reconquête des territoires locaux entrepris par la gauche aux régionales et cantonales 2004 se termine, certes après des phases glorieuses comme les municipales 2008 ou les régionales 2010.
Cette élection traduit tout de même quelque chose de plus profond…
Cette élection traduit dans les urnes le danger de ce phénomène de réduction sociologique du pouvoir. Celui-ci s’appuie sur des groupes de plus en plus minoritaires à l’encontre d’une majorité, d’ailleurs grossie par des éléments de fraîche date. En effet, ce que Hollande a subi, c’est cette désertion massive de l’électorat « modéré » (le terme est, évidemment, à employer avec toutes les précautions d’usage). Il y avait les électeurs de l’Ouest, mais aussi les Français d’origine maghrébine, etc. Or, ces électorats ont déserté la gauche « hollandienne », soit en s’abstenant, soit en votant écologiste, soit en votant à droite. On se demande ce que représentera ce « hollandisme » résiduel désormais réduit aux apparatchiks du PS ou à quelques éléments minoritaires du Marais parisien ? La bourgeoisie, elle, a quitté François Hollande. On ne peut exclure que certains bobos, adeptes du mariage homo, aient déchanté avec les impôts à venir… À ce rythme-là, le PS risque de connaître, mais sur un mode accéléré, le destin du PC qui a perdu son électorat de masse (années 70 et 80), puis ses bastions (à partir des années 80). Ce que le PC a connu en quarante ans, rien n’empêche que le PS le subisse en quelques années.
Pouvez-vous justement revenir sur cette désertion électorale dont le Gouvernement actuel a pâti ?
Certains électeurs de l’Ouest ont certainement été choqués par le mariage pour tous et ses démêlés répressifs, sur fond de mauvaise foi quant aux chiffes des manifestants ; les musulmans n’ont guère goûté les manœuvres contentieuses contre Dieudonné ou le jeu de cache-cache avec la théorie du genre dont les preuves flagrantes ont été subitement masquées par les agents d’exécution gouvernementaux… Bref, non seulement Hollande a dégouté les électeurs sarkozystes, mais il a suscité le rejet de tout cet électorat qui a pourtant voulu mettre fin à l’agitation sarkozyenne… On se demande où sont passés les Mitterrand et les Dumas qui avaient l’art de manœuvrer ? Ils ne sont pas relayés par les Valls ou les Le Foll, peut-être habiles communicants, mais bien piètres tacticiens. La (désastreuse) prouesse d’Hollande aura été de se brouiller avec ses propres soutiens. En agrégeant ses adversaires, Hollande rompt avec l’un des principes du mitterrandisme qui consistait justement à diviser l’adversaire, pas à le fédérer.
Le contexte actuel n’était guère favorable à Hollande…
Oui, et cet aspect a peut-être été sous-estimé par les différents responsables locaux et nationaux de l’UMP qui se sont donnés de la peine à bricoler des listes, quitte à tenir compte d’éléments que peu d’électeurs ont, finalement, pris en compte (boboïsation, souci des minorités…). Ces derniers mois, Hollande et les membres de son Gouvernement ont accumulé un nombre incalculable de maladresses oscillant entre les frasques dignes d’un soap-opéra (affaire Closer), l’acharnement contre Nicolas Sarkozy illustré par l’exercice officiel de Sarko-bashing des ministres ou le recours aux écoutes téléphoniques officiellement judiciaires, mais instrumentalisées par le pouvoir, les gesticulations contre Dieudonné au point de s’asseoir sur la philosophie de nos libertés publiques… Je n’entre pas dans le feuilleton de l’affaire « Leonarda » ou la philosophie du Gouvernement a varié à chaque épisode : on voit les limites de l’immigrationnisme compassionnel qui devient dangereux quand les supposées victimes font des numéros d’escrocs ! On ne saurait être exhaustif tant les couacs et les coups bas ont été multipliés. On peut difficilement s’étonner d’un rejet aussi massif ! Cela a pesé fort, alors même que l’UMP était en crise il y a un an et que les questions de ligne idéologique et de leadership ne sont toujours pas réglées.
C’est assez conjoncturel comme explication…
On peut aussi passer à des causes plus profondes comme l’instrumentalisation du sociétal comme écran de fumée. Si on remonte les derniers mois, l’affaire du mariage pour tous aura réussi à cristalliser une partie de l’opinion. Le résultat est flagrant : il suffisait à un candidat quelque peu implanté, un peu jeune, de se présenter contre un maire de gauche, y compris en exercice depuis plusieurs décennies et assez discret sur son appartenance à la majorité présidentielle, pour se faire élire ! Quitte à ce que l’élu de gauche soit sérieusement implanté ! On voit bien qu’un phénomène de vague emporte tout, y compris un candidat arrivé en tête au premier tour d’une élection… Ce n’est pas la droite UMP ou UDI que les Français ont choisi : ils ont clairement rejeté le Gouvernement actuel et le PS qui le soutient. Enfin, Hollande et Ayrault auront été incapables de prendre ou de faire prendre de la hauteur à la nouvelle majorité présidentielle. S’il fallait rompre avec Nicolas Sarkozy, c’est bien avec ses manières clivantes, son instrumentalisation des pouvoirs publics… Pis : la nouvelle majorité a cherché à prendre parfois le contrepied systématique des mesures prises par Fillon et Sarkozy, sans se donner la peine de les jauger au regard de l’intérêt général. Ainsi, la fin de l’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires représente une maladresse, alors que la mesure était rentrée dans les mœurs. Pourquoi cet acharnement, si ce n’est pour montrer qu’on est différent de l’équipe précédente ?
Il s’agit donc d’un plébiscite pour l’UMP ?
Certainement pas, au point même que les observateurs le reconnaissent. Comme l’écrit assez justement Alexandre Lemarié, « tous soulignent que l’UMP a avant tout bénéficié de l’impopularité de l’exécutif. Autrement dit, ce n’est pas une envie de droite qui se serait manifestée dans les urnes, mais plutôt un rejet de la gauche » (Le Monde, 1er avril 2014). L’UMP a bénéficié d’un vote contre et non d’un vote pour. Elle a été préférée au FN parce qu’elle paraît plus crédible et parce qu’elle fait moins peur. Le vote pour l’UMP (et aussi pour l’UDI !) reste avant tout un vote négatif, peut-être une illustration de ce phénomène massif de zapping électoral. Le phénomène est, en effet, analogue à ce qui est arrivé pour François Hollande en 2012, élu surtout contre Nicolas Sarkozy, mais assez peu sur son programme. Or, avec une victoire aussi large, ce sont de potentiels conflits qui apparaissent à droite. Il y aura forcément des querelles entre les nouvelles personnalités qui ont émergé. Enfin, il faut aussi s’interroger sur les capacités à tenir le cap pendant 6 ans à la tête d’une mairie. Certains maires tiendront et marqueront peut-être le paysage pour 50 ans. D’autres seront certainement battus dans six ans. Aurons-nous des villes comparables aux swing-states américains ? Il semble d’ailleurs que certaines villes en prennent le chemin. Rebasculeront-elles en 2020 à gauche, voire au FN ? On ne peut l’exclure…
Vous pensez qu’il y aura à terme des conflits au sein de l’UMP et de la droite en général ?
Cela semble inévitable en raison du trop grand nombre de victoires, du caractère hétéroclite des personnalités et des équipes, et peut-être de l’impréparation due à l’ignorance d’une vague bleue. La gestion d’une mairie suppose endurance et expérience. Or une chose est de faire de la communication, autre chose est de gérer les tracasseries quotidiennes des administrés. Certains déchanteront lorsqu’ils constateront le décalage entre les discours idéologiques, les slogans rapides et le doigté que suppose toute gestion quotidienne. Tweetter est une chose, traiter les dossiers complexes des administrés en est une autre… Il faudra donc du temps. Or. Cela semble compromis avec le couperet de 2017 quand les parlementaires devront choisir ente leur mandat et leur fonction exécutive locale de maure ou de président de conseil général…. À peine seront-ils entrés dans la vitesse normale de croisière qu’ils devront choisir ! Certains quitteront leur mairie, d’autres non. De potentiels conflits entre celui qui exercera le mandat parlementaire et le maire…
Et le FN ?
Il réalise de bons scores dans l’espace périurbain, ce qui prouve, en un sens, la justesse de ses intuitions. Il s’implante dans ces zones que les Français ont rejoint parce que, pour diverses raisons, ils ne peuvent plus vivre en centre-ville ou même en banlieue. Ils ont préféré rejoindre ces zones à la lisière de la campagne et de la grande zone urbaine où existent des villes de petite ou moyenne taille parfois délaissées par l’action des pouvoirs publics. Bref, dans des espaces fréquentés par les milieux populaires et les Français qui se sentent oubliés. On soulignera aussi la qualité du travail de certains élus FN. Pour rappeler à quoi a tenu l’élection des maires FN, on remarquera la longue implantation de ces édiles, comme c’est le cas à Hénin-Beaumont ou à Villers-Cotterêts. L’édile FN est généralement un élu d’opposition et militant aguerri, ayant souvent fait ses premières armes en 1995. Il n’a pas réalisé davantage de conquêtes parce qu’il dispose d’un appareil militant et administratif encore assez faible, même si la dédiabolisation est appelée à se poursuivre dans les années à venir.
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