Marx a encore frappé : le 30 Mai 1968 un million de Français défilaient contre la chienlit qui depuis un mois sévissait en France à l’instigation de l’extrême-gauche et de la gauche. Quelques semaines plus tard, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, les élections législatives conduisaient à l’Assemblée nationale une large majorité gaulliste bien à droite. Le rapport de forces de la rue et de la majorité silencieuse était clairement établi avec les factieux qui avaient menacé nos institutions et affaibli le pays sur la scène internationale. Le peuple réel avait parlé. Le Général de Gaulle perdrait certes son référendum un an plus tard, mais la droite se maintiendrait au pouvoir jusqu’en 1981. Il est probable d’ailleurs que ni le référendum, ni les élections présidentielles n’auraient été perdues si la politique menée avait été plus clairement conservatrice. Certains ont donc voulu répéter l’histoire et mobiliser contre la chienlit des gilets jaunes la majorité silencieuse des partisans de l’ordre macronien. La tragédie de 1968 est devenue la comédie de 2019 : en comptant large, quelques milliers de « foulards rouges » se sont rassemblés place de la Nation témoignant ainsi de l’absence de socle sociologique du macronisme. Devant l’échec de ce mouvement lancé par un militant « en marche » toulousain, les caciques du régime et du parti s’étaient faits discrets tandis que la « marche » se voulait de plus en plus une protestation contre la violence et le désordre plutôt qu’un soutien au président. Elle s’intitulait pompeusement « marche républicaine des libertés » et prétendait donc élargir par son nombre celui des supporters du président. Elle n’a réussi qu’à montrer le petit nombre et la faible motivation de ceux qui le soutiennent.
Cette manifestation des rouges contre les jaunes reprend inconsciemment l’opposition des couleurs qui avait divisé la Thaïlande en 2008. On ne peut pas dire que cela témoigne des avancées de notre vieille démocratie, mais on doit au contraire y voir le signe de sa chute. Un président, sorti des coulisses de la gauche, mais empressé de mettre la France en accord avec le mondialisme et l’ordre européen, prétendait unir le centre-droit et le centre-gauche pour réformer la France et la remettre dans le peloton des nations qui réussissent parce qu’elles reconnaissent la supériorité des « premiers de cordée ». L’affrontement des jaunes et des rouges révèle la profondeur de l’échec. Tous ceux qui sont exclus de la cordée, des chômeurs aux retraités, des Français « périphériques » aux déclassés des classes moyennes, se sentent plus ou moins solidaires des manifestations des gilets jaunes, tout en critiquant les débordements qui y surviennent. 85% des Français estiment que le président n’est pas proche de leurs préoccupations et 80% qu’il ne leur parle pas comme ils l’attendent. Ce constat de rupture entre la majorité du peuple et le Chef d’Etat est le noeud du problème. Après le show présidentiel organisé par le biais du « grand débat national », il est clair que le brio macronien ne remplace pas une légitimité faible lors de l’élection et qui a fondu lorsqu’est apparue la personnalité narcissique de l’élu. Comment aimer un chef d’Etat qui n’aime pas son peuple, et qui ne manque aucune occasion de le rappeler à l’étranger ? M. Macron appartient à cette caste de l’oligarchie française qui pousse le snobisme jusqu’à être fatiguée de la France et des Français. Il vient encore de dire qu’il trouvait dans l’Allemand un charme romantique que le français ne lui apportait plus. En quoi cette réflexion pédante et narcissique peut-elle appartenir au discours du premier des Français à l’étranger ? Ses états d’âme et ses goûts esthétiques personnels nous laissent indifférents. Son devoir est de nous représenter de manière à nous insuffler de la fierté nationale. Puisque cela lui est impossible, qu’il se destine à un autre métier ! Les banques d’affaires ne manquent pas !
Depuis des semaines, le pouvoir joue un jeu dangereux où l’irresponsabilité et le cynisme se mêlent. Ce qui s’est produit hier place de la Bastille le révèle amplement. Alors que la police a multiplié les arrestations préventives de gilets jaunes lors des dernières manifestations, on a laissé pénétrer dans l’espace d’une manifestation déclarée et autorisée, des « black-blocs » qui avaient annoncé leur venue. Leur arrivée a servi de prétexte à une charge de police au cours de laquelle un leader des gilets jaunes, Jérôme Rodrigues, a été grièvement blessé. Il filmait la manifestation. Autour de lui, il n’y avait pas d’attroupement. Il n’y avait donc aucune raison d’user de grenades de désencerclement, puisque personne n’était encerclé. Un gouvernement qui condamne une violence qu’il laisse se développer quand il ne la provoque pas, qui engage un « grand débat » pour éviter de donner la parole au peuple à travers des élections ou un référendum, qui n’a guère de légitimité faute d’assise populaire, finit ainsi par perdre aussi toute légitimité morale.