Samedi, j’étais en Bourgogne. C’était une journée de récréation. Je participais, à l’invitation des Chevaliers du Tastevin, à la Saint-Vincent tournante de 2016. Elle se déroulait cette année à Irancy, dans l’Yonne, puisqu’il s’agit d’une fête qui tourne d’un village viticole à un autre d’année en année, en passant bien sûr par des terroirs très réputés et par des villes plus connues. Irancy est assez éloigné de la route des grands crus et géographiquement plus proche de Chablis, mais la production locale est rouge. Le village était en fête, parcouru par des centaines d’amateurs de bon vin qui allaient de dégustation en dégustation le verre en bandoulière. Tout commença par une messe célébrée par l’Archevêque de Sens-Auxerre. Le cortège des Sociétés de Saint-Vincent portant bannières, statues et bâtons de procession qui s’etait d’abord rendu à l’église a rejoint l’esplanade après l’office pour assister à l’intronisation des vignerons et vigneronnes dans la confrérie du Tastevin. Le village était décoré avec beaucoup de soins. Le passé y revivait avec les panneaux des anciennes boutiques ou échoppes parfois accompagnés du portrait des propriétaires. Des mannequins ici et là paraissaient faire revivre des scènes d’autrefois. Nous avons rejoint en fin de matinée le château du Clos de Vougeot pour célébrer le Chapitre de la Saint-Vincent tournante, sous la présidence du Général de Corps Aérien Philippe Steninger. Ce festin de six services dont les mets se contentent d’accompagner des grands crus est une réjouissance exceptionnelle des papilles, du nez et du palais, mais c’est aussi une fête de l’esprit au travers des discours pleins de tournures anciennes et de saillies. Ce mélange de respect des traditions dans le choix des mots et d’humour dans l’usage des rites donne à cet après-midi festif entrecoupé de chants vigoureux le visage de l’identité souriante et heureuse, qui s’affirme sans rejeter, qui offre sans imposer.
Cette fête illustre en effet l’identité beaucoup mieux que des propos abstraits. Le mot « Bourgogne » désigne une région et un vin. Les deux se confondent dans l’image, dans la culture et dans l’histoire de la province mais appartiennent aussi à l’identité française. Lors de l’intronisation, sont cités Noé, le père de la vigne, Bacchus le Dieu du vin, et Saint-Vincent le saint patron des vignerons. On ne peut mieux resituer le vin au coeur de notre culture. La Bible, Rome, et l’église catholique. Partout ou presque où les légions romaines se sont avancées, elles ont cultivé la vigne. La Rome chrétienne a conservé cette tradition avec d’autant plus de force que le vin, comme le pain sont au centre de la messe, comme sang et corps du Christ. Les moines ont joué dans ce domaine comme dans bien d’autres, au travers du labeur qui accompagnait la prière, le rôle de transmission, d’extension et d’amplification des savoir-faire. Le château de Clos de Vougeot a, d’ailleurs, été construit pour l’Abbé de Citeaux. Depuis fort longtemps, la Bourgogne a développé la qualité de ses produits. Les Américains présents au Chapitre bourguignon témoignaient de cette image prestigieuse que la France tire encore de sa gastronomie et des vins et alcools qui la parfument. La France est le pays du luxe et du goût. C’est aussi une identité qu’il ne faut pas renier.
Alain Finkielkraut, entré sous la coupole, parlait d’identité malheureuse. Gaston Kelman, l’Africain qui n’aime pas le manioc, s’affirmait bourguignon, Le Président Rohani a décliné l’invitation à déjeuner à l’Elysée à cause du vin à table. L’identité heureuse consiste à accueillir généreusement tous ceux qui veulent partager notre manière de vivre et nos valeurs, et à ne jamais céder sur elles. Ce n’est pas en renonçant à elle-même que la France fera de bonnes affaires, mais en cultivant son identité. Il est logique de vouloir vendre des Airbus aux iraniens à nouveau riches. Mais il n’est pas absurde de préserver des activités plus traditionnelles et qui véhiculent l’image de notre pays. Ceci implique de ne pas fragiliser les entreprises qui les supportent, en rendant difficiles les successions et les transmissions. Le métier de vigneron est noble et difficile : il demande beaucoup de savoir-faire , affronte non seulement les aléas du marché, mais aussi ceux du climat. Il exige en plus un talent de gestionnaire. C’est pourquoi il est nécessaire de ne pas l’entraver par des contraintes tatillonnes, de ne pas défavoriser les héritiers face aux repreneurs étrangers. Comme beaucoup de travailleurs indépendants et de chefs d’entreprise, les vignerons, sûrs de leur qualité professionnelle, ne demandent qu’une chose : pouvoir lutter à armes égales. En l’occurrence leur lutte n’est pas égoïste. Elle participe à la défense de l’identité nationale.
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