La nouvelle publiée mardi par le quotidien conservateur Rzeczpospolita (lire l’article), selon laquelle les experts polonais revenus il y a deux semaines d’un mois passé à travailler sur les restes de l’épave du Tu-154 qui s’était écrasé le 10 avril 2010 avec le président polonais Lech Kaczyński et 95 autres personnes à son bord auraient découvert des traces de matériaux explosifs, après avoir fait l’effet d’une bombe pendant plusieurs heures, a été formellement démentie par les procureurs responsables du dossier. Formellement ? Pas tout à fait. Les procureurs ont bien reconnu qu’ils avaient détecté des traces d’éléments qui pouvaient indiquer la présence de TNT et de nitroglycérine mais ils ont aussi précisé que la présence de ces éléments pouvaient être due à un contact avec d’autres composants chimiques (l’épave a d’ailleurs été lavée par les autorités russes avant les commémorations d’avril 2012, au grand dam des Polonais) et que les conclusions du journal Rzeczpospolita étaient hâtives. Le journaliste auteur de la fuite maintient quant à lui sa version en assurant détenir ses informations de quatre sources différentes qu’il sait être des sources très fiables mais qu’il ne saurait désigner pour ne pas les mettre en danger.
Au final, le parquet militaire annonce qu’il faudra attendre encore six mois (soit trois ans après la catastrophe !) pour connaître les résultats finaux de ses analyses, mais que les échantillons prélevés sont… en Russie. Les procureurs annoncent donc qu’ils vont tâcher de les faire venir en Pologne dans le cadre de l’entraide judiciaire. Sachant que la Pologne n’a jamais pu obtenir que lui soient rendues l’épave de l’avion et les boîtes noires, on peut douter de l’efficacité de la procédure, surtout s’il y a vraiment des traces compromettantes sur ces échantillons. Ou alors on peut parier qu’ils seront soigneusement nettoyés avant.
Retour à la case départ donc, et poussée de tension sur la scène politique polonaise avec un Jarosław Kaczyński, le frère du président défunt et le chef de file du principal parti d’opposition, qui parle de crime terrible et qui demande la démission du gouvernement, et un premier ministre Donald Tusk qui déclare devant les caméras de télévision que dans ces conditions il n’est plus possible de vivre dans le même pays que Jarosław Kaczyński.
Conclusion : soit les experts polonais ont vraiment acquis la certitude qu’il y avait des traces de matériaux explosifs sur l’épave mais ne le diront jamais officiellement tant que l’équipe actuelle sera au pouvoir, soit il s’agissait d’une provocation visant à faire monter la tension et à pousser Jarosław Kaczyński à tenir une nouvelle fois des propos excessifs afin de renverser la tendance dans les sondages qui, pour la première fois depuis l’arrivée de Donald Tusk au pouvoir, donnent le parti Droit et Justice de Kaczyński à plusieurs points devant le parti Plateforme civique de Donald Tusk.
Dans cette deuxième hypothèse, il s’agirait aussi pour les autorités de discréditer la thèse de l’attentat qui est l’explication favorisée par un nombre grandissant de scientifiques et de journalistes, même parmi ceux qui qualifiaient jusqu’à récemment cette thèse de simple « théorie du complot ». En effet, plutôt que de parler du colloque qui a réuni une centaine de scientifiques et experts de différents domaine la semaine dernière à Varsovie, un colloque où les exposés ont donné de nouveaux arguments tendant à prouver qu’il y avait eu au moins deux explosions à bord du Tupolev polonais avant que celui-ci ne s’écrase, les médias polonais, et accessoirement étrangers, peuvent désormais privilégier le thème de cette fausse (?) information publiée par le journal Rzeczpospolita et reprise peut-être un peu vite et un peu fort par Jarosław Kaczyński. Celui-ci ne s’était pas laissé provoquer par des photos récemment publiées sur Internet montrant des cadavres de victimes de la tragédie de Smolensk, y compris du président Lech Kaczyński, et que les Polonais attribuent aux autorités russes puisque ces photos ont été prises dans des situations où seuls les enquêteurs russes pouvaient en être les auteurs. Se serait-il aujourd’hui laissé provoquer par des gens qui veulent éviter à tout pris son retour au pouvoir après la parenthèse de 2005-2007 ?
Le journal Rzeczpospolita, connu pour son sérieux et pour avoir toujours réfuté la thèse de l’attentat tout en exposant volontiers les lacunes et les contradictions de l’enquête, n’était-il pas le support idéal pour une telle provocation, si provocation il y a eu ? Aucun autre journal n’aurait en effet suscité une telle confiance quant au sérieux de son information.
Après la mort dimanche dernier de l’Adjudant Remigiusz Muś, témoin du drame du 10 avril 2010, et dont les dépositions contredisaient les rapports officiels russe et polonais, un ami polonais, qui n’est sympathisant ni de la Plateforme civique de Donald Tusk ni du parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyński, m’a dit ces mots : « C’est très triste. Même à l’époque communiste ils ne liquidaient pas autant de gens. C’est de pire en pire. »
Une affirmation sans doute exagérée, mais il est de moins en moins rare d’entendre ici des comparaisons à la Pologne des années 80, en particulier chez une partie des anciens opposants au régime communiste.
De notre correspondant permanent en Pologne.
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