Pour ceux qui en doutaient encore, la tournure des événements italiens vient de prouver ce que beaucoup d’esprits lucides avaient clairement compris : l’Europe est une machine à détruire les peuples, à briser l’expression de leur volonté, à éradiquer la démocratie. Les élections italiennes avaient été sans appel : les électeurs avaient rejeté la gauche, mais ils n’avaient pas plébiscité la droite de Berlusconi, euro-compatible. Non ! ils avaient clairement désavoué le Parti Démocrate de Renzi, fidèle commis de la Commission Européenne, déjà battu lors d’un référendum par 59 % des électeurs, et remplacé à la tête du gouvernement de centre-gauche par Gentiloni. Ils avaient choisi les deux forces qui cherchent à libérer l’Italie : la Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement 5 étoiles de Luigi di Maio. La première gagnait 107 sièges à la Chambre des Députés et 40 au Sénat, le second, 119 et 58. Le parti démocrate, c’est-à-dire la majorité sortante, perdait 186 députés et 58 sénateurs. Les deux partis vainqueurs avec 353 députés sur 630 et 170 sénateurs sur 315 réunissaient donc une majorité absolue pour soutenir un gouvernement. Leur alliance paraissait douteuse en raison de leurs divergences. En fait, ces deux formations sont géographiquement complémentaires, la Ligue au nord, et le Mouvement au sud. Et politiquement, ils avaient un point de convergence essentiel : sortir l’Italie du carcan de la Commission de Bruxelles pour restaurer une capacité d’agir sur l’économie comme sur l’immigration. Ils ont élaboré un contrat de gouvernement, sans sortie de l’Euro, et comprenant des mesures innovantes, fiscales ou sociales. Ils ont choisi un candidat à la Présidence du Conseil : Giuseppe Conte. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que l’Italie puisse mener une expérience démocratique, qui aurait consisté, pour la troisième économie de la Zone Euro, à montrer qu’une autre politique était possible que celle qu’impose la pensée unique.
Contrairement à la Grèce, entrée par effraction avec des chiffres truqués dans la zone Euro, grâce à la complicité des socialistes européens, l’Italie huitième puissance économique mondiale connaît certes des difficultés avec une croissance modérée et un chômage important, mais son commerce extérieur est excédentaire contrairement à celui de la France. Il y a, en effet, une Italie plus dynamique que la France au Nord, et une autre, au sud, qui freine l’ensemble. Sa relance, en matière industrielle notamment, a été plus poussive après 2008 qu’en Allemagne. Sa dette record de 132% du PIB est également une fragilité, même si, contrairement à la France, elle n’est pas majoritairement en des mains étrangères. Clairement, l’Italie connaît des problèmes structurels qui tiennent à son dualisme géographique et à son identité culturelle. Elle est donc coincée entre sa répugnance à faire preuve de rigueur et l’impossibilité d’y remédier désormais par des dévaluations compétitives. L’Italie, qui ne peut profiter pleinement de ses atouts, mais subit les conséquences de ses faiblesses, fait la démonstration de la nocivité de l’Euro pour les pays du sud, auxquels la France appartient. Le Président Mattarella a estimé que la nomination comme ministre de l’économie et des finances de Paolo Savona, grand pourfendeur de l’Euro et de la « prison allemande » à laquelle il condamne l’Italie, était inacceptable. Son argument repose sur les risques encourus par les épargnants détenteurs de la dette en cas de sortie de l’Euro. On reconnaît ici la menace brandie avec succès contre les populismes europhobes. M. Macron a parlé de courage. Est-il donc courageux de nier la démocratie ?
Le Président de la République italienne a préféré les marchés financiers et la Commission de Bruxelles au choix du Peuple italien. Il impose à celui-ci un Président du Conseil, Carlo Cottarelli, qui a fait carrière au FMI : une gifle infligée au suffrage universel qui sera dénoncée par une écrasante majorité du Parlement, puisque la droite et l’extrême-droite (Fratelli d’Italia) se joindront à la Ligue et au Mouvement 5 étoiles pour ne pas lui accorder la confiance. La boutade brechtienne se réalise : à la suite d’un « mauvais » vote, on dissout le peuple ! Et ce n’est pas dans une dictature que cela se produit, mais au sein de cette Europe qui donne des leçons de démocratie au monde entier ! Pourquoi voter, puisqu’un seul choix est possible ? A l’est c’était parti unique. A l’ouest, c’est maintenant pensée unique : ou est la différence ? Les Italiens vont donc retourner aux urnes. Ou ils plieront sous l’humiliation et retourneront aux anciens partis et à la férule bruxelloise, ou ils reconduiront la majorité sortie des urnes, peut-être en l’amplifiant, et un grand pays européen, enfin, aura redonné une chance à la démocratie, c’est-à-dire à un système politique où le peuple est souverain et où la politique l’emporte sur l’économie. Dans ce cas, le poids de l’Italie est suffisant, soit pour faire accepter une autre politique à l’intérieur de l’Euro, soit pour parvenir d’un commun accord à la fin de l’Euro. Les pays qui se portent le mieux sont ceux qui n’y sont pas entrés, et ce serait pour la France une excellente chose. Il faudra toutefois alors faire en sorte que la souveraineté retrouvée n’ouvre pas la voie à la démagogie. La véritable démocratie doit sortir du dilemme technocratie ou démagogie ! C’est à l’Italie de prouver que c’est possible !
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