Les nationalistes européens au service de l’impérialisme de la Russie post-soviétique

(Article publié sous le titre «Nacjonaliści, główny towar eksportowy Putina» – Les nationalistes, principale exportation de Poutine – dans l’hebdomadaire conservateur polonais Gazeta Polska du 9 avril 2014, traduit pour Nouvelles de France avec l’aimable autorisation des auteurs).


Depuis les débuts de son existence, un des principaux éléments de la politique de l’empire russe a été l’entretien dans les États européens de réseaux d’agents d’influence et aussi de lien étroits avec des groupes politiques qui représentaient ses intérêts ou faisaient du lobbying pour le compte de Moscou, en échange de quoi ils obtenaient souvent des contreparties matérielles. À l’époque de l’URSS, le principal partenaire et groupe de lobbying de Moscou était bien sûr à gauche de l’échiquier politique européen. Aujourd’hui, on observe une réorientation de la Russie. Ce n’est plus l’extrême-gauche, mais les groupes politiques se définissant comme «nationalistes» ou «droite nationale» qui font l’objet des attentions du Kremlin, et ces groupes répondent volontiers à l’intérêt qui leur est porté.

Prenons les relations de Moscou avec les deux partis d’extrême-droite les plus puissants d’Europe : le Jobbik hongrois et le Front National français. Bien entendu, les sentiments très pro-Poutine ne se limitent pas à ces deux groupes nationalistes. Mais le FN et le Jobbik sont une vraie force politique dans leurs pays respectifs. Marine Le Pen (la présidente du FN) a obtenu près de 18 % des voix aux élections présidentielles de 2012 et son parti vient de connaître un réel succès lors des récentes élections municipales. Quant au Jobbik, il a obtenu 20 % des voix aux dernières élections législatives. En comparaison, les autres politiciens pro-Poutine, par exemple en Grande-Bretagne (comme Nick Griffin du Parti national britannique), sont marginaux dans leur pays.

Le cas français
L’amour du Front National pour Moscou est exprimé de manière explicite. On observe ici une continuation de l’admiration qu’avait la gauche procommuniste française pour la Russie, si ce n’est que l’objet de l’adoration est désormais autre. Il ne s’agit plus des dignitaires du parti communiste comme Staline ou Brejnev, mais de Poutine. Notons tout de même un élément commun dans les deux cas : ce sont toujours des gens liés au KGB qui font l’objet de cette fascination.
Depuis plusieurs années, Marine Le Pen demande que la France cesse de soutenir les USA et se rapproche de la Russie. Elle a visité en personne la Douma russe en juin 2013. Dans ses déclarations qui ont suivi, la présidente du FN décrit Poutine avec des mots normalement utilisés pour définir l’attrait masculin. C’est un homme fort, décidé, que Marine Le Pen dit admirer. Et qu’en est-il du projet géopolitique du Front National ? Une alliance franco-russe «fondée sur un partenariat militaire et énergétique approfondi». Le Pen propose aussi de remplacer l’Union européenne par une union paneuropéenne dont la Russie poutinienne serait un membre important.
La vision pro-Poutine du FN s’est pleinement révélée pendant le conflit en Ukraine.
Le père idéologique du Front National s’est réjoui du fait que la Russie de Poutine avait récupéré la Crimée. «La Crimée a toujours appartenu à la Russie», a affirmé Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui président d’honneur de ce parti. Marine Le Pen a elle-même d’abord affirmé que la conduite du référendum en Crimée avait été irréprochable (malgré un taux de participation à Sébastopol de… 123 %) avant de soutenir l’idée lancée par Poutine de fédéraliser l’Ukraine.
Les liens entre le Front National et la Russie ne sont pas que politiques. En septembre 2012, une nouvelle chaîne de télévision a été créée, ProRussia TV, qui est une nouvelle facette du média du Kremlin La Voix de la Russie. Malgré les questions répétées des journalistes à ce sujet, cette télévision n’a pas voulu révéler les montants financiers dont elle dispose. On sait toutefois que sa télévision sœur en Allemagne n’a eu aucun problème pour mettre immédiatement sur la table plus de 3 millions d’euros afin de financer ses premières émissions. Chose importante, la chaîne ProRussia TV française emploie des journalistes liés au Front National ou même appartenant au FN (entre autres Sylvie Collet et Gilles Arnaud). Cette télévision est entièrement dominée par le type le plus cru de propagande poutinienne (y compris en ce qui concerne les attaques contre la Pologne). Les gens du FN sont aussi engagés dans nombre d’institutions dont le but est de développer les relations d’affaires entre la France et la Russie.

Le cas hongrois
Pour les gens qui connaissent l’histoire des relations entre Moscou et Budapest, la fascination des nationalistes hongrois du parti Jobbik pour le Kremlin peut paraître surprenante. Toutefois, le Kremlin et le Jobbik ont beaucoup en commun, de leur hostilité à l’Union européenne à leurs postulats révisionnistes. Le Jobbik est un parti politique radical de plus qui commence à jouer le rôle de cheval de Troie de Moscou en Europe.
Comme le rappelle le prestigieux magazine «Foreign Affairs», en mai 2013 des nationalistes russes liés au Kremlin ont invité le leader du Jobbik Gábor Vona à l’Université de Moscou. Vona y a aussi rencontré des députés de la Douma russe ainsi qu’Ivan Gratchev, président du comité de l’énergie, et Vassili Tarasik, responsable des matières premières. Après ces réunions, les nationalistes hongrois se vantaient que leur visite marquait un tournant et ils ne cachaient pas leur satisfaction de voir les Russes les traiter comme partenaires potentiels.
C’est cependant avec la crise en Ukraine que devient plus visible l’adoration des nationalistes hongrois pour les stratèges politiques russes. Rien que pendant le mois écoulé, le Jobbik a déclaré que le nouveau gouvernement ukrainien était «chauviniste et illégal» et il a gloussé de joie à la nouvelle du référendum de Crimée qui a scellé la séparation de la presqu’île d’avec l’Ukraine.
Le 3 mars dernier, les nationalistes ont émis une déclaration dans laquelle ils enjoignaient le gouvernement hongrois et son ministère des affaires étrangères de prendre des mesures «dans le but de protéger la minorité ethnique hongroise dans la région de Transcarpatie». Ils se sont aussi scandalisés de la politique occidentale vis-à-vis de l’Ukraine qui rappellerait la guerre froide et qui aurait pour but d’étendre la sphère d’influence occidentale vers l’est.
Pour les nationalistes radicaux hongrois, l’engagement de l’Occident dans la crise est hypocrite. Et si le Jobbik critique le régime de Ianoukovytch et la politique désastreuse du Parti des Régions, percevant leur responsabilité dans la crise actuelle, il accuse également l’Occident de «machinations financières, politiques et avec ses services d’espionnage». La crise est perçue par le Jobbik comme une nouvelle étape de la lutte entre la Russie et l’axe Washington-Bruxelles. Et dans cette lutte les nationalistes ne cachent pas qu’ils sont du côté de Vladimir Poutine.
Márton Gyöngyösi, politologue et politicien du Jobbik connu pour ses déclarations chauvinistes et antisémites, a indiqué qu’à son sens l’Occident cherche à étendre sa sphère d’influence au-delà de l’Europe centrale et orientale «qu’il a déjà achetée et qu’il exploite». Il a aussi demandé la pleine autonomie de la Transcarpatie et a affirmé s’opposer à une éventuelle mobilisation par l’armée ukrainienne des habitants de cette région. Prenant l’exemple de Moscou, il a aussi appelé à «assurer la sécurité de la minorité hongroise». «Il faut garantir la pleine autonomie des minorités hongroise et russe», a-t-il dit.
Une autre preuve des affinités entre les nationalistes hongrois et l’ours russe, c’est la réaction des premiers au référendum de Crimée. Le Jobbik a considéré que ce référendum marquait un «triomphe de l’autodétermination». Pour le parti de Gábor Vona, ce référendum était «conforme à la loi et valide malgré les pressions exercées par la Russie et par le gouvernement ukrainien».
Comme l’a révélé le site Niezalezna.pl [site Internet d’information en continu de l’hebdomadaire Gazeta Polska, ndlr], des membres du Jobbik hongrois étaient sur la liste des «observateurs» étrangers présents lors du référendum en Crimée. Il y avait par exemple le député européen Béla Kovács. L’Autriche était quant a elle représentée par un certain Johann Stadler qui affirme que la journaliste russe Anna Politkovskaïa aurait commandité son propre assassinat. Pour ce qui est du représentant serbe de cette mission d’observation, Zoran Radoncić, il est interdit d’entrée au Canada pour sa négation de la Shoah.
Applaudissant à la séparation de la Crimée de l’Ukraine, le Jobbik ne cache pas qu’il voudrait conduire des référendums similaires dans toutes les circonscriptions qui faisaient partie de la Hongrie avant le traité de Trianon de 1920, en commençant bien sûr par celles qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire d’une Ukraine affaiblie. Ils aiment aussi avancer l’exemple de la ville de Sopron, «la ville la plus loyale de Hongrie». À Sopron en 1921, malgré les stipulations du traité de Trianon qui avaient attribué la ville à l’Autriche, un plébiscite a été organisé en conséquence duquel la ville est restée hongroise.
Aux récentes élections législatives hongroises, le parti national-radical Jobbik a obtenu 20,66 des voix. Il peut par conséquent compter sur environ 23 députés au parlement. Gábor Vona a donc déclaré que son parti était aujourd’hui le groupe national-radical le plus puissant au sein de l’Union européenne.

Et en Pologne ?
Poutine et les nationalistes européens ont donc bien des intérêts communs. Le Kremlin aimerait bien voir les droites nationales déstabiliser l’Union européenne. Les nationalistes (y compris dans les pays qui ont beaucoup souffert de la politique impériale de Moscou) exécutent volontiers ce plan, profitant largement de la politique de Poutine.
Dans ce contexte, nous ne pouvons pas ne pas nous inquiéter des relations cordiales qu’entretient le Ruch Narodowy (mouvement national) polonais avec ces groupes. Le leader des «nationaux» polonais s’exprime avec enthousiasme aussi bien sur le Jobbik que sur le Front National, se réjouissant du soutien grandissant dont bénéficient ces deux partis. Et ce n’est pas tout. En octobre dernier, Robert Winnicki a signé un accord entre le mouvement des jeunes “panpolonais” Młodzież Wszechpolska et les jeunes du Jobbik.
N’oublions pas que la Russie n’a pas changé son principal mode d’action depuis des années, y compris lors du changement de régime et de la chute de l’URSS et que ce mode d’action est fondé sur la déstabilisation. Par contre, la situation politique à changé à l’Ouest. Il est aujourd’hui plus facile pour Moscou de corrompre les milieux d’extrême-droite que de gauche. Ce sont ces milieux qui ont aujourd’hui le plus fort potentiel de déstabilisation de l’Europe et ils sont donc les plus précieux pour Poutine.
L’alliance des nationalistes européens avec la Russie est même déjà officielle dans une majorité de pays. Les intérêts réellement poursuivis par cette alliance sont couverts sous le masque de la propagande du combat pour les valeurs communes (principalement la lutte contre le libertinisme enragé de l’UE). Mais la réalité des choses est plus simple : le Jobbik et le FN sont prêts à livrer à Poutine non seulement l’Ukraine mais aussi la Pologne et les Pays baltes s’ils peuvent prendre le pouvoir et bénéficier de la considération et de l’argent du président russe. Au XXIe siècle, c’est la droite et non plus la gauche qui sera la cible principale des opérations de propagande et des services secrets russes.

Un article de Wojciech Mucha et Dawid Wildstein
Article original (en polonais) : http://www.gazetapolska.pl/30387-nacjonalisci-glowny-towar-eksportowy-putina

Du même auteur :

Pour Dawid Wildstein, journaliste qui a passé 28 jours avec les manifestants, les Ukrainiens ne veulent pas rejoindre l’UE mais se débarrasser du système post-soviétique
(entretien avec Dawid Wildstein)

L’illusion russe

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94 Comments

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  • 0 / 10
  • synok , 1 mai 2014 @ 20 h 24 min

    @Makhsoud
    Merci d’écrire en lettres latines …pour que tout le monde comprenne…et puisse vous lire …sinon évidemment continuez en russe et je vous répondrai de même …pojaluista

  • Махсуд Мурадович Махкамов , 1 mai 2014 @ 20 h 29 min

    Wahoo ! Un pays sans État, ouvert à tous les vents, où les citoyens ne trouvent aucun secours…
    Vous ne vous êtes pas trompé de question “comment peut-on être anti-étatiste et patriote ?”

  • christiane , 1 mai 2014 @ 22 h 33 min

    Mais, pas du tout. Les Américains dirigent l’ Union Européenne en sous mains et financent les partis islamistes qui massacrent les chrétiens; le but des Américains, c’est de se servir de l’ Europe pour leur propre profit. Cela fait des années que la CIA prépare le soulèvement en Ukraine pour affaiblir la Russie et ultérieurement détruire l’ Europe; en particulier la France. Les Polonais ont des années de retard, ils en sont restés au Bolchévisme, alors que la Russie est peut – être le seul pays anciennement communiste qui a complètement tourné la page de ce régime dont les Russes ont souffert à tous les niveaux. La Russie voudrait construire des liens avec les nations d’ Europe pour former un bloc d’échanges économiques, culturels. Ce sont bien les USA qui ont bombardé l ‘ Irak à l’uranium appauvri, qui ont détruit la Libye , qui financent les terroristes islamistes en Syrie, qui ont fomenté et financé la “révolution orange” en Géorgie et à la fin de la deuxième guerre mondiale ont bombardé à la bombe atomique Nagasaki et Hiroshima; ont détruit Dresde en bombardant cette ville au moyen de bombes à fragmentation et incendiaires qui ont provoqué la mort de plus de 350 000 personnes principalement de femmes et d’enfants dans d’atroces souffrances; voilà ce dont est capable la vermine américaine, responsable de la mort de millions de gens. A présent ils essaient de provoquer une insurrection au Venezuela pour s’accaparer des richesses de ce pays. L’ Amérique est la synagogue de Satan qui y a établi son empire. Que les USA restent éloignés de nous, qu’ils s’occupent d’eux mêmes sans semer la discorde et sans allumer des foyers de conflits chez les autres. La Russie s’est sortie toute seule du marasme économique où l’avait plongé plus de 70 ans de communisme. Les USA sur le point de s’écrouler économiquement veulent se servir de l’ Europe comme d’une sortie de secours; eh bien, non, qu’ils se sortent tout seuls des difficultés qu’ils ont créées. 50 millions d’ Américains vivent avec un ticket d’alimentation. Voilà ce que nous réservent les USA, si nous avons le malheur de signer le traité transatlantique; notre sécurité sociale tombera en lambeaux tout comme l’ensemble de notre système social. Notre agriculture, notre élevage, notre artisanat ne seront plus qu’un souvenir de la douce France.
    Alors, disons OUI à Poutine et merde aux USA.

  • Daniel , 1 mai 2014 @ 23 h 33 min

    “Précisément, heureusement que la Russie est là pour nous libérer de toutes ces tares et de cette France occupée par une oligarchie ploutocratique !”

    Les français et la France % française et catholique n’ont pas à recevoir de leçon de moral d’un plouc de mongolien !

    Chien ! tu es France, tu nous dois le respect !

    Incline toi et embrasse le drapeau français

    Et arrête de nous envoyer tes femmes sur nos trottoires, nous, en France, on a déjà de sublime paysages alors ne viens pas les gâcher !

    Quand la vraie France va reprendre le pouvoir, tu vas voir les liens d’amitié avec le FN, tu pourras pas les prendre pour des cons trop longtemps. La France nationaliste, elle te la mettra profond, à toi le ruskof comme aux amerlok

    Il y a une chose que les français ne tolèrent pas : c’est la traitrise !

  • Français désabusé , 1 mai 2014 @ 23 h 36 min

    Je suis bien d’accord avec vous, moi-même, je suis un ancien pro-américain et comment m’en vouloir, j’ai été élevé à la gloire de l’Amérique, par le cinéma et les séries … Quand j’étais gamin et adolescent (voir un jeune homme) on me faisait croire que ce pays défendait la veuve et l’orphelin, depuis, j’ai compris que c’était l’inverse… Les gouvernements américains d’aujourd’hui et d’hier, font partie des plus grands criminels de guerre… Et cet état voyou et criminel, soutiens, armes et finances les islamistes à travers le monde et avec leurs alliés du gouvernement “français” et d’une partie de l’Europe… Sans oublier les dictatures d’arriéré islamique du Qatar, mais surtout d’Arabie Saoudite ! Je pourrai continuer, car la liste est longue et il n’y a que les sans cerveau pour ne pas voir, que ce sont nos pires ennemis et dans tous les domaines !

  • Махсуд Мурадович Махкамов , 1 mai 2014 @ 23 h 36 min

    Daniel ? Ce n’est pas un prophète très français ni même européen… On sent bien là toute la morgue des dominateurs et des pseudo-zélites.

  • YEPYEP , 2 mai 2014 @ 12 h 26 min

    Pour Christiane ! est-ce que ce cours d’histoire était pour moi?

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