Tribune libre de Charles Gave*
Certains crimes se payent comptant. Pour d’autres, la note est présentée au coupable bien des années après, et les crimes économiques rentrent sans conteste dans cette deuxième catégorie. Pour illustrer mon propos, je vais prendre une année clé dans l’Histoire moderne ou quatre pays, confrontés au même défi ont choisi quatre solutions différentes pour y faire face, alors même qu’il n’en existait qu’une seule convenable. Vingt ans après, celui qui a choisi la bonne solution caracole en tête de toutes les statistiques de croissance et de santé financière tandis que les trois autres souffrent de maux divers et variés qui engendrent absence de croissance, chômage, endettement, crises financière et politique…
Le défi était simple : comment gérer nos États sociaux-démocrates tout en maintenant une bonne compétitivité, c’est-à-dire comment empêcher qu’une croissance incontrôlée des systèmes sociaux ne débouche à terme sur une situation ou le poids de l’État n’étouffe le système productif.
Avant 1992, les quatre pays en question, France, Italie, Grande Bretagne et Suède avaient tous choisi la même solution qui était d’avoir un taux de change fixe avec l’Allemagne et donc d’avoir leurs politiques monétaires gérées par la Bundesbank. L’idée était simple et d’origine française (Giscard, à l’origine de quasiment toutes les mauvaises idées) ; pour éviter que les politiciens ne fassent n’importe quoi il était urgent de leur ôter le contrôle de la monnaie pour le confier à quelqu’un de sérieux, la Bundesbank. Ces quatre pays au début de 1992 faisaient partie d’un machin technocratique qui s’appelait le système monétaire européen (SME) ou le contrôle de chaque monnaie nationale était de fait exercé par la Bundesbank. Si quelqu’un dans un pays faisait des bêtises, la monnaie était attaquée et il fallait la dévaluer contre le deutschemark (DM), ce qui ne faisait pas vraiment sérieux et voulait dire qu’aux élections suivantes, en général, les gens pas sérieux étaient virés.
Mais en 1992, la Bundesbank décide que la réunification avec l’Allemagne de l’Est comporte un risque inflationniste pour l’Allemagne – et porte les taux courts réels à plus de 7 %, ce qui est proprement monstrueux. Nos quatre pays européens sont de ce fait littéralement étouffés par ce durcissement invraisemblable de la politique monétaire outre-Rhin et doivent prendre une décision difficile, dévaluer et rester à l’intérieur du SME, sortir du SME ou rester à l’intérieur du SME en subissant une perte de compétitivité gigantesque créée par la hausse du DM dopé par des taux réels à 7 % .
Trois de nos pays, Italie, Grande Bretagne et Suède n’eurent même pas à prendre de décision et furent sortis du SME « manu militari » par les marchés tandis que notre quatrième, la France s’accrochait non sans mal à sa parité vis-à-vis du DM.
Vingt ans après, il est intéressant de voir comment l’économie de chacun de ces quatre pays a évolué…
Commençons par la Grande-Bretagne et la Suède, qui ont eu des destins communs au début.
Libérés du carcan du SME, la couronne suédoise et la livre britannique chutent très fortement pour se retrouver rapidement à un niveau sous-évalué. Pour profiter de ce niveau sous-évalué, les capitaux en provenance de l’extérieur affluent, les actifs financiers montent énormément (bull market) et les taux d’intérêts s’écroulent. En fait, la dévaluation permet un transfert de richesse massif des rentiers (fonctionnaires, livret d’épargne à court terme) vers les entrepreneurs qui deviennent subitement concurrentiels. Les deux économies décollent tandis que dans les deux pays commencent des réformes pour continuer à réduire le poids de l’État dans l’économie, en Grande-Bretagne sous l’égide des conservateurs et en Suède, sous la direction des modérés, puis des sociaux-démocrates.
Changement de décor en mai 1997 en Grande-Bretagne : les travaillistes sont élus et s’engagent immédiatement dans une politique d’augmentation de la dépense publique qui fait remonter le poids de l’État dans l’économie britannique de moins de 35 % (contre plus de 50 % quand Margaret Thatcher était arrivée au pouvoir) à plus de 50% quand Gordon Brown, l’architecte écossais du désastre actuel est battu par David Cameron qui se retrouve de ce fait dans une situation impossible.
La Suède, par contre, continue de façon impavide à se réformer, que les socialistes soient au pouvoir ou pas et sans renier en rien les principes de solidarité qui constituent l’âme de ce pays. Pour arriver à ce résultat, l’analyse faite fut très simple. Par exemple, il est du devoir de l’État de s’assurer que tous les enfants doivent recevoir une éducation gratuite et de qualité. L’État, par l’impôt, lève les sommes nécessaires. Sur ces deux premiers principes, tous les citoyens suédois sont d’accord. Par contre RIEN ne dit que la meilleure façon d’assurer une éducation de qualité serait que la dite éducation soit délivrée par des fonctionnaires, bien au contraire. Chaque famille reçoit donc un « bon pour éducation » qu’elle présente à l’école de son choix et la liberté d’enseigner est donnée à tous les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans cette activité. Ces mêmes principes furent appliqués par exemple aux transports en commun, au domaine des retraites et à une partie importante de la santé. Pour faire simple, l’État sort du domaine de la production tout en conservant ses fonctions éminentes de définition des priorités et de contrôle et de financement.
Depuis ces réformes, l’économie suédoise n’a cesse de croitre, les surplus extérieurs s’accumulent, la couronne suédoise a été l’une des monnaies les plus fortes du monde, le chômage est au plus bas, l’inflation contenue tandis que la bourse suédoise faisait trois fois mieux que la bourse de Paris par exemple.
Pendant la même période en Grande-Bretagne, Gordon Brown embauchait à tour de bras des fonctionnaires, profitant des taux d’intérêt bas que la politique de son prédécesseur autorisait, le poids de l’État dans l’économie ne cessait de monter, la dette tant privée que publique faisait des nouveaux plus hauts, jusqu’au point où nous sommes arrivés aujourd’hui où la Grande-Bretagne ne s’en sort que parce que la Banque centrale anglaise achète à tiroirs ouverts des obligations de ce pauvre État pour éviter que les taux ne montent… Un vrai désastre comme seuls les socialistes savent en organiser et gageons que ce pauvre David Cameron aura bien du mal à nettoyer ces écuries d’Augias. Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un Hercule du style de Margaret Thatcher pour faire le sale boulot.
Passons à l’Italie, qui, elle aussi, dévalue fortement en 1992, voit son économie redémarrer, ses finances s’améliorer et décide sous le leadership incroyablement incompétent de Romani Prodi d’utiliser cette période de rémission, non pas pour effectuer les réformes de structure bien nécessaires, mais au contraire pour intégrer le plus vite possible cette sinistre farce que constitue l’euro et supprimer la lire. Pour mener à bien cette noble entreprise, le très suffisant Romano Prodi augmente massivement les impôts en Italie, ce qui fait que depuis, l’économie italienne étranglée par un taux de change qui avec le temps devient de plus en plus insoutenable et par une pression fiscale en augmentation constante, a cessé de croître et stagne ou baisse depuis 2000 et que l’Italie a remplacé la probabilité d’une récession par le CERTITUDE d’une faillite. Brillant !
Pour faire simple :
- la Suède a décidé d’utiliser la manne venant de la dévaluation pour sortir l’État de la production (où il n’a rien à faire) tout en conservant les fonctions de contrôle et de financement à l’État. Sur les vingt dernières années le succès de cette stratégie a été tout simplement prodigieux.
- La Grande-Bretagne a décidé qu’embaucher des fonctionnaires était une très bonne idée si on voulait être réélu. Échec total.
- L’Italie, quant à elle, a décidé que les entrepreneurs gagnaient trop d’argent (à cause de la dévaluation) et qu’il était urgent de les imposer pour lui permettre de tenir sa place dans ce qui se révèle être le plus grand désastre monétaire de l’Histoire, l’euro. Apres tout, et comme chacun le sait, Romano Prodi avait succédé à Jacques Delors, et avait toujours été toute sa vie fonctionnaire international ou professeur d’économie. On pouvait donc craindre le pire… qui n’a pas manqué de se réaliser. Échec total là aussi.
Et la France me direz-vous ?
Eh bien, la France, comme d’habitude fut gouvernée par un fonctionnaire, et de la pire espèce, c’est-à-dire par un inspecteur des Finances. Comme gouverneur de la Banque de France, pendant la période ou les taux allemands étaient insensés, il décida simplement de maintenir les taux français à des niveaux encore plus exorbitants, ce qui fit qu’étranglés par des taux de change et des taux d’intérêts sans aucun rapport avec la rentabilité du capital en France, les entrepreneurs se mirent à faire faillite en masse, en particulier dans l’immobilier (qui se souvient de la faillite du Crédit Lyonnais, au conseil duquel Jean-Claude Trichet siégeait ?), ce qui bien entendu déclencha une forte récession, de gigantesques déficits budgétaires et une explosion de la dette nationale.
Fort de cette brillante réussite, il fut nommé à la Présidence de la BCE où sous son magistère éclairé, des bulles immobilières gigantesques se développèrent tant en Espagne qu’en Irlande, tandis que les taux trop bas et les taux de change fixes permettaient à la France de s’autoriser quelques douceurs du style des 35 heures sans en payer le prix. Bref, depuis 1992, la France, grâce à Jean-Claude Trichet et à l’euro, n’a fait que suivre une politique favorable au rentier (de nos jours, le fonctionnaire) et défavorable à l’entrepreneur, ce qui est bien normal quand tous les systèmes politiques, monétaires, et économiques sont sous le contrôle de fonctionnaires. Bref, des quatre pays mentionnés plus haut, la France est sans aucun doute celui qui a le plus mal négocié les vingt dernières années. Comme, de plus, nous venons d’élire une majorité qui, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, a constitué un gouvernement qui ne comporte AUCUN représentant du secteur privé, on peut légitimement craindre le pire pour le futur proche.
Sur la tombe de l’économie française, il conviendra donc de mettre :
« Ci-gît l’économie française, sacrifiée par Jean-Claude Trichet, comme l’armée française le fut par Gamelin en 1939. »
Mais ce qui est le plus irritant pour un observateur non engagé comme j’essaie de l’être, c’est de réaliser que la Suède a mis en place TOUS les instruments pour se sortir de la panade, et avec beaucoup de succès mais que PERSONNE N’EN PARLE. C’est cette omerta sur les vraies solutions qui me surprend le plus. Il n’y a aucune malédiction nous condamnant au chômage ou à la faillite.
Il n’existe que des groupes de pression qui veulent protéger leurs prés carrés à tout prix, quand bien même cela entrainerait la faillite du pays. C’est un phénomène bien connu des spécialistes, que certains d’entre eux ont appelé « la préférence Européenne pour le chômage ».
Voila qui est incompréhensible… sauf bien sur si l’on est fonctionnaire en France.
*Charles Gave anime le blog “L’État est mort, vive l’État !”
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