Tribune libre de Jean-Yves Naudet*
Une majorité chasse l’autre. Au-delà des alternances politiques, le rapport de Transparency International sur la lutte contre la corruption en Europe est sévère pour la classe politique française : la France est en retard par rapport à de nombreux pays européens. On savait déjà que nous étions mal classés quant au niveau de corruption, nous voilà aussi mal classés quant à la lutte contre la corruption. Les « maillons faibles » français sont montrés du doigt : « le Parlement, l’Exécutif, la Justice ». Parmi les réformes nécessaires, la plus importante est celle de la réduction du rôle de l’État, pour ne plus laisser le pot de miel à la garde de l’ours.
La France 25e seulement
On connaît le rapport annuel de Transparency International sur la perception de la corruption : nous nous en faisons l’écho régulièrement. Il s’agit du degré de corruption dans les administrations publiques et la classe politique. Le résultat n’est pas glorieux pour notre pays, puisque dans le dernier rapport (2011) nous étions classés 25e, un grand nombre de pays d’Europe étant considérés comme moins corrompus que le nôtre (de la Suède aux Pays-Bas, de l’Allemagne au Royaume-Uni).
Certes, beaucoup de pays du tiers-monde, souvent pays de dictatures, sont plus mal classés que nous, mais il faut comparer ce qui est comparable et, parmi les démocraties libérales, nous sommes mal placés. Faut-il s’en étonner, avec un État hyper-centralisé, donc des décisions loin du contrôle des citoyens, et hyper-interventionniste, ce qui multiplie les risques et les tentations de corruption : plus l’État est présent dans la vie économique, plus les décisions dépendent du fait du prince, plus les tentations de corruption sont grandes.
La France ne fait pas partie des États performants pour la lutte contre la corruption
C’est un rapport complémentaire que Transparency International vient de faire paraître en juin 2012. C’est un rapport inédit, sous le titre « Argent, pouvoir et politique : les risques de corruption en Europe », destiné à comparer l’efficacité des mécanismes anti-corruption de 25 pays européens. D’une manière générale, même si l’Europe est moins touchée que d’autres continents, la situation est loin d’être parfaite. Ainsi, 75% des parlements des pays d’Europe ont des mécanismes d’intégrité insuffisants ou mal appliqués.
Le rapport note que « si aucun des 25 pays évalués ne dispose d’un système de lutte contre la corruption totalement efficace, certains se distinguent néanmoins par des garanties plus solides ». C’est le cas des pays scandinaves, mais aussi d’un second groupe comprenant entre autres l’Allemagne, la Suisse ou la Royaume-Uni. En sens inverse, on ne sera pas très surpris de trouver en queue de classement la Bulgarie et la Roumanie.
Et la France ? Le titre du communiqué de Transparency International résume bien la situation : « Lutte contre la corruption : la France en retard par rapport à plusieurs de ses voisins européens ». Ainsi, « la France est le seul pays avec la Slovénie où les déclarations de patrimoine et les déclarations d’intérêts des parlementaires ne sont pas rendues publiques ». Plus généralement, « la France ne fait pas partie des deux groupes d’États les plus performants ».
Parlement, Exécutif, Justice sont les maillons faibles
« Le parlement, l’exécutif et la justice sont en France les maillons faibles de la lutte contre la corruption. La France se distingue en cela des autres pays européens. » Tout en soulignant le « retard de la France » puisque « les règles de transparence encadrant la vie politique et économique française ne sont pas à la hauteur de celles en vigueur dans plusieurs pays européens », Transparency International invite le Président de la République à mettre en œuvre les engagements pris dans ce domaine « pour renforcer l’éthique de la vie publique ». Sous-entendu, ce n’est pas la première fois que l’on promet de « moraliser » la vie politique, mais on en est resté au stade des promesses ; M. Hollande voudra-t-il aller plus loin ?
« Le manque de transparence et d’intégrité dans la vie politique, de même que la défiance des citoyens à l’égard de leurs institutions, ne sont cependant pas spécifiques à la France », et 74% des Européens estiment que la corruption est un problème croissant dans leur pays. Les liens trop étroits entre « le secteur privé et la classe politique » sont pointés du doigt ainsi que « le lobbying opaque, le pantouflage, les trafics d’influence et les conflits d’intérêts », d’où de nombreux scandales. On sait ce qu’il en est pour la France.
Le tout-État favorise la corruption…
Malgré ses mérites, le rapport de Transparency International atteint ses limites car il lui manque une analyse économique de la corruption. Celle-ci est à la fois un phénomène immoral et rationnel. Comme pour d’autres formes de délits, comme G. Becker l’a montré, la rationalité joue un rôle évident : probabilité de pouvoir commettre des actes délictueux, de pouvoir être pris, d’être sanctionné, d’exécuter la sanction, etc.
Il y a une « offre » de crimes, de la part des gens prêts à commettre un délit, d’autant plus importante qu’ils ont peu de risques d’être découverts, arrêtés, jugés, condamnés. L’indulgence vis-à-vis des délits, les protections dont bénéficient les élus, les impunités, les amnisties, tout cela joue un rôle. Mais il y a une demande de crime, qui consiste à mettre le pot de miel le plus gros possible à la garde de l’ours.
Quand la vie économique est régulée par un système qui empêche son déroulement normal et la paralyse, quand les entreprises publiques sont légions, quand les dépenses publiques dépassent la moitié du PIB, quand les revenus dépendent des largesses arbitraires du pouvoir, quand la moindre décision, faire construire une maison ou installer un super marché, dépend de la signature d’un élu, il y a là une véritable demande de délits de la part du pouvoir, comme dans les pays où toute décision dépend d’un bakchich.
…et détruit la morale la plus élémentaire
Quand l’État est omniprésent et que tout dépend des hommes politiques, il y a une double tentation : celle, pour des élus, de succomber à une tentative de corruption et celle, pour ceux qui vont bénéficier de la décision publique, de recourir à la corruption pour obtenir un droit que l’État s’est arrogé. La vraie mesure anti-corruption, au-delà des décisions légales, consiste à réduire le périmètre de l’État. Si l’ours n’a plus la garde du miel, il ne sera pas tenté de le détourner à son profit.
Cette analyse écarte-t-elle la question morale ? Tous les hommes politiques ne succombent pas à la tentation et tous les citoyens ne recourent pas à la corruption, même quand ils seront pénalisés par cette honnêteté. Mais tout le monde n’a pas vocation à la sainteté. Pourquoi la morale commune s’est-elle dégradée ? Jean-Paul II avait finement observé que, dans les pays communistes, « les relations économiques les plus élémentaires ont été altérées, et même des vertus fondamentales dans le secteur économique, comme l’honnêteté, la confiance méritée, l’ardeur eu travail, ont été méprisées » (CA § 27). Or le communisme, c’est l’étatisme généralisé. L’omniprésence de l’État ne détruit pas seulement l’économie, elle détruit aussi les valeurs morales. Le retour de l’éthique passe donc par le recul de l’État.
*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.