Tribune libre de Marc Crapez*
L’européisme et le libre-échangisme dogmatique forment une seule et même religion. Et cette religion est l’opium des élites. Les souverainistes sont donc intéressants. Ils apportent un autre son de cloche. Pas quand ils se soumettent au discours dominant antilibéral. Ni quand ils prophétisent inlassablement la fin de l’euro. Mais quand ils apportent la contradiction aux européistes.
Nicolas Dupont-Aignan, qui va bientôt remettre un rapport parlementaire sur les paradis fiscaux, était l’autre jour invité sur BFM-Business, en compagnie de deux fervents européistes : l’eurodéputé UMP Jean-Paul Gauzès et le juriste Jean-Luc Sauron. À un moment donné, celui-ci assène un avis que Dupont-Aignan contredit poliment. Réaction virulente du juriste : « On n’est pas dans une réunion de préau ». C’est du « populisme stupide », renchérit l’eurodéputé.
Une réunion de préau… Quel mépris pour le contradicteur. Quelle morgue de la part d’élites qui se croient détentrices de la vérité face à la puérilité du peuple. L’eurodéputé Jean-Paul Gauzès, réinvité dans une autre émission, en dira plus sur sa vision du monde en déclarant que, si l’Europe va mal, c’est parce que des populistes « mettent des choses stupides dans la tête des gens » !
Fournir au peuple tous les éléments afin qu’il décide
Il s’est surtout produit quelque chose dans la tête des élites. Elles se sont auto-endoctrinées en chassant de leurs rangs l’altérité et la contradiction politiques. Elles ont complètement égaré les idéaux des pères fondateurs de la démocratie. Un patron de presse des années 50 déclarait fièrement avant de mourir : « Dans ce pays ce sont les gens qui décident. Pour pouvoir décider, il faut qu’ils aient tous les éléments » (personnage du film de Fritz Lang, While the City Sleeps). De nos jours, rien n’est plus étranger aux journalistes que cette profession de foi. Ils considèrent, au contraire, que leur devoir est de cacher certains éléments au peuple, et de lui souffler les bonnes réponses, sans quoi celui-ci cèderait irrésistiblement à ses mauvais penchants.
Les élites qui saluent aujourd’hui le vote suisse sur les rémunérations sont hypocrites. Elles viennent de bannir toute possibilité de référendum populaire en France. Le nouveau sénat de gauche a voté à l’unanimité de nouveaux alinéas à l’article 11 qui précisent que le référendum « peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs inscrits ». Soit 184 parlementaires et près de 4 millions et demi de citoyens. Ce qui est purement impossible puisque jamais une pétition n’a rassemblé autant de signatures. Cette mascarade a été baptisée « référendum d’initiative partagée », un jargon de suffrage censitaire sous la Restauration, sinon de démocratie populaire sous la guerre froide.
Après deux mandats à la tête du Medef, Laurence Parisot est passée outre la recommandation de son Comité d’éthique en faisant voter par son Comité statutaire un avis favorable à une modification des statuts pour pouvoir se représenter une 3ème fois. Dans un entretien au journal Les Échos, elle prétend ses adversaires animés par une « misogynie » prête à « favoriser le populisme » ! Pendant ce temps, la députée socialiste Sylvie Andrieux risque cinq ans d’inéligibilité en tant que vice-présidente d’un Conseil régional pour avoir détourné près d’un milliard d’euros à des fins de corruption clientéliste.
Avec la crise, le souverain démocratique a exigé des alternances politiques bien légitimes, mais il a consenti à ce que le gros des élites reste en place. Les peuples sont patients, généreux, raisonnables. Ce sont les élites qui sont crispées sur leurs privilèges et repliées sur leurs certitudes.
*Marc Crapez est chroniqueur et chercheur en sciences politiques.
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