Tribune libre de Paul Goldschmidt*
Ceux qui, de bonne foi, nous assuraient après le dernier sommet européen que la crise (financière) était derrière nous se fondaient sur le constat – partagé – de progrès indiscutables dans les domaines de la réglementation et de la supervision des marchés financiers, de la mise en place de mécanismes de solidarité (FESF et MES), et de réformes institutionnelles profondes (Traité de Lisbonne, Pacte de Solidarité et de Croissance, Traité de discipline budgétaire, mécanisme communautaire de surveillance, etc.), toutes mesures qui n’auraient, sans aucun doute, pas vu le jour sans la pression exercée par la crise. Aussi, même si ses symptômes se sont, jusqu’à présent, principalement manifestés dans les sphères économiques et financières, la crise qui nous attend est d’un tout autre ordre.
Il s’agit d’une crise essentiellement « politique » dans laquelle les enjeux sont de nature à remettre en cause notre système démocratique, notre modèle social, nos valeurs de liberté sous toutes ses formes et, in fine, la paix, facteurs que les générations actuelles considèrent – à tort – comme des « droits » intangibles et acquis une fois pour toutes !
Dans un monde globalisé (pour le meilleur et le pire) la poursuite de l’intégration européenne est devenue une nécessité absolue, si l’on prétend vouloir défendre les intérêts supérieurs de l’ensemble des citoyens européens. Or, force est de constater une bipolarisation politique croissante dont les objectifs sont incompatibles : d’une part une dérive de nature populiste/nationaliste et europhobe et de l’autre, celle, plus récente, visant l’instauration d’une Europe fédérale.
Point n’est besoin de démontrer la montée en puissance de partis extrémistes faisant de l’euroscepticisme, du protectionnisme et du repli identitaire leur credo simpliste et trompeur, recourant à la chasse au « bouc émissaire » qu’il soit banquier, chômeur, immigrant ou simplement « différent ». Leur discours réducteur séduit les déçus et les laissés pour compte, de plus en plus nombreux; en outre, l’émergence de nouveaux scandales dans le milieu bancaire (LIBOR, blanchiment etc.) achève de décrédibiliser la compétence, l’éthique et la volonté politique des autorités en place.
En revanche, il faut se réjouir de ce que le soutien à l’idée d’une construction européenne « fédéraliste » soit devenu « politiquement autorisé » – sinon encore « correct » –, même s’il demeure encore très largement élitiste. Cela est du à l’incapacité et, souvent, à la mauvaise volonté de la classe politique, de défendre ce dossier, pourtant crucial, devant l’opinion publique déboussolée. Cette démission généralisée trouve son origine dans des causes structurelles qui varient d’un pays à l’autre. En effet, les oppositions politiques « nationales », entre partis fondamentalement acquis au projet « fédéraliste », prennent toujours le pas sur l’objectif européen pourtant partagé, faisant ainsi le jeu de l’opposition nationale/populiste en divisant une majorité largement silencieuse.
Ce phénomène n’est nulle part plus évident qu’en France où, lors des récentes élections, les deux partis dits « de gouvernement » ont cherché à séduire leurs concurrents positionnés à l’extrême gauche et droite du spectre politique. Le PS et l’UMP étant eux-mêmes traversés par des courants « souverainistes et protectionnistes », il est difficile d’imaginer qu’une majorité puisse se dessiner en faveur d’un fédéralisme européen, car l’opposition partisane viscérale qui anime les deux partis empêche tout accord. Le taux record d’abstentions et le laminage du Centre par l’électeur ne fait que parfaire la démonstration.
Aux oppositions qui rendent déjà complexes un accord sur le plan national, vient s’ajouter la difficulté de trouver un modèle d’intégration politique qui puisse satisfaire la diversité des traditions qui imprègnent l’histoire de chacun des pays membres de l’Union.
Au niveau européen, il est urgent de changer de paradigme et cesser de prétendre que le traitement des dossiers économico-financiers – aussi importants soient-ils – constitue un devoir nécessaire et surtout suffisant. La priorité absolue doit être de créer une véritable adhésion citoyenne à la réalisation d’une Europe politique, tant il est évident que seul l’Union, dotée de pouvoirs adéquats, pourra apporter une réponse crédible à la crise économique et financière. Ainsi pourra-t-on s’atteler, non seulement aux problèmes du chômage et du pouvoir d’achat, mais aussi à ceux de la sécurité et de la justice dont le maintien est intimement lié à la lutte contre la précarité et le maintien des acquis sociaux.
En principe, un degré d’optimisme paraît justifié parce que l’Europe dispose globalement des ressources nécessaires pour surmonter la crise, grâce à sa richesse, son niveau d’éducation et sa capacité de recherche et d’innovation, mais leur mobilisation efficace nécessite impérativement une intégration plus poussée contrebalancée par une solidarité accrue.
Par contre, le déficit de volonté politique dans chacun des Pays Membres de l’Union, constitue son plus grand handicap. Sans une mobilisation générale de l’opinion publique en faveur de la construction européenne, les propagandistes du « rêve nationaliste » auront un boulevard ouvert devant eux, capitalisant sur l’incapacité de leurs opposants à s’entendre sur l’essentiel.
C’est donc à la classe politique qu’il revient de prendre clairement la direction des opérations; les financiers et autres acteurs économiques responsables se mettront alors très volontiers à leur service !
*Paul Goldschmidt est ancien administrateur de Goldman Sachs International et ancien directeur à la Commission européenne, membre de l’Advisory Board de l’Institut Thomas More.
Le site de l’Institut Thomas More.
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