Les différents médias belges le clament haut et fort : le 6 mai, ils ont la ferme intention de divulguer en avance les estimations du résultat du second tour de l’élection présidentielle.
Alors que deux sites sont déjà expressément visés par une enquête du parquet de Paris, saisi par la Commission des sondages, les journalistes du plat pays ont la ferme intention de damer le pion à leurs homologues français.
Christian Dauriac, chef des rédactions à la télévision publique RTBF, affirme que « ce n’est pas une juridiction étrangère qui va décider de notre ligne éditoriale ». Il n’hésite pas à enfoncer le clou et à se lancer dans des discours volontairement provocateurs : “La législation française qui limite la liberté d’expression des journalistes pose pour le moins question en regard de la Convention européenne des droits de l’homme”.
Difficile de trouver plus démagogue… La liberté des journalistes n’est en rien menacée par le respect du système électoral et des électeurs qui n’ont pas encore voté. Mais le plus amusant, c’est de voir à quel point les grands principes sont mis en avant alors que l’intérêt d’une diffusion anticipée des résultats est avant tout mercantile.
La médiatisation de cette opération exceptionnelle est une excellente opportunité pour gonfler le chiffre d’affaires en faisant connaître les sites web des médias et en augmentant le taux de clics des publicités en ligne ! Pour reprendre le jargon du poker, c’est la garantie de rafler la mise…
Le 22 avril, entre 18 heures et 20 heures, plus d’1 300 000 internautes français se sont rués sur le site de la RTBF pour connaître les premières estimations. En temps normal, ils ne sont pas plus de 43 000 à visiter ce média…
Le Soir, un média suisse, est à l’unisson : le pic de fréquentation a été tellement important que son serveur a fini par saturer… rendant du même coup le site inaccessible. Pour le 6 mai, le site a d’ores et déjà prévu de renforcer ses serveurs. Le rédacteur en chef adjoint, Jurek Kuczkiewicz, explique: « Ce serait un non-sens journalistique de ne pas donner des informations disponibles à notre public prioritaire, le lecteur belge francophone, qui se passionne pour les élections françaises. »
Comme si les lecteurs belges ou suisses ne pouvaient pas attendre une heure de plus ! La posture pseudo-rebelle qui consiste à bafouer impunément la législation d’un État européen et à s’en moquer est pour le moins discutable. Pourquoi n’avoir pas tenté d’ouvrir un débat avant la tenue des élections, pourtant prévues depuis 5 ans ? La réponse est simple : pour garder l’exclusivité et faire monter les enchères.
En France, même l’AFP n’a pas résisté à la tentation. Pour montrer à quel point elle est toujours en avance sur les événements (et donc promouvoir ses produits et ses services auprès de ses clients), l’agence a communiqué les résultats aux différentes rédactions, en leur précisant qu’il était de leur seule responsabilité de les diffuser ou non. Une posture assez facile et un brin hypocrite…
S’il faut faire du bruit, créer du buzz, pour essayer de se vendre, au moins alors annoncer clairement la couleur comme l’avait fait Patrick Le Lay en 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».