Tribune libre de Valérie Boyer*
Le 22 décembre dernier, l’Assemblée nationale adoptait ma proposition de loi visant à réprimer la contestation des génocides reconnus par la loi, dont le génocide Arménien de 1915. Inspirée du droit européen, cette proposition de loi est une première étape dans la transposition d’une décision européenne qui impose, notamment, de pénaliser la négation des crimes de génocide. En 2013, la non-transposition entraînera des sanctions pécuniaires. Il est temps pour la France de s’y conformer.
Ce n’est pas une loi mémorielle. Contrairement à ce qu’un lobby corporatiste essaie de nous faire croire, ma proposition de loi n’est en rien une loi mémorielle susceptible d’entraver le travail des historiens. Il s’agit simplement d’une loi prévoyant de pénaliser ceux qui contestent, sur notre territoire, l’existence des génocides que nous avons reconnus par la loi, comme c’est déjà le cas pour la Shoah. Elle relève d’une dimension exclusivement pénale. Il n’est question ni d’interpréter les faits, ni de légiférer sur le passé. Il s’agit de pénaliser un délit universel tout à fait d’actualité. Si les historiens se présentent comme des chercheurs dans le domaine de la « science historique », ils doivent donc respecter les procédures scientifiques, y compris dans les publications. Or, ils omettent qu’en sciences on distingue les faits des interprétations. Un fait existe ou pas, indépendamment du droit. Son existence se démontre, quand le fait est établi, on ne le remet pas en cause. Et c’est bien le cas en France pour le génocide arménien ! Comme le précisait Bernard-Henri Levy dans un de ses articles, ne nous y trompons pas, « ce sont les négationnistes qui, jusqu’à nouvel ordre, entravent le travail des historiens. Ce sont (…) sont leurs mensonges vertigineux et terrifiants qui font trembler le sol sûr où doit, en principe, s’établir une science ».
Les réactions qui ont suivi le vote par l’Assemblée illustrent parfaitement combien le négationnisme est omniprésent aujourd’hui en France. Pour cette raison, les 500 000 français d’origine arménienne vivant en France ont le droit, comme c’est déjà le cas pour les juifs avec la Shoah, d’être protégés sur leur territoire des horribles propagandes qui salissent la mémoire de leurs parents massacrés ou déportés en 1915. Ces actes bafouent la mémoire des victimes du génocide arménien et ajoutent de la douleur à celle déjà existante des Français d’origine arménienne. Pour eux, je réclame la protection de la République contre cette insupportable agression morale. Car dans cette affaire, les autorités turques ne respectent rien, même pas la souveraineté de la France. Il s’agit de très graves ingérences dans les affaires intérieures de notre République que de brandir la rupture des relations diplomatiques ou pire des représailles économiques envers nos entreprises ! La représentation nationale française démocratiquement élue ne légifère pas sous la menace d’un Etat. Ces méthodes archaïques assimilables à la « diplomatie de la menace » n’honorent pas ce grand pays que devrait être la Turquie et me renforce dans ma volonté de voter ce texte pour protéger nos concitoyens. Le génocide arménien est reconnu en Russie, au Canada, en Argentine, en Italie, en Suède et même en l’Allemagne ! Sa négation est pénalisée en Suisse et en Slovaquie et le sera prochainement dans beaucoup d’autres Etats. Alors quand certains s’inquiètent pour « les éternels intérêts commerciaux (…) qui nous font mettre notre drapeau et le drapeau des droits de l’homme dans notre poche » comme le disait Gilles Hertzog, je tiens à les rassurer en rappelant que même avec une forte croissance, la Turquie reste membre de l’OMC, et liée à l’UE par un accord d’union douanière. Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l’égard des entreprises de l’UE sous peine de sanction.
Ce n’est pas une loi liberticide… Dans tous les Etats démocratiques, la liberté d’expression connaît des limitations. Ces limitations servent généralement à assurer la paix civile, l’ordre public et la sécurité des citoyens. C’est pour cela que sont punis les délits de diffamation et d’injure, ou l’appel au meurtre. Or, précisément, le négationnisme est une idéologie dont l’objectif fondamental est de justifier des crimes et de réhabiliter les politiques qui y ont conduit. Dans le cas du génocide arménien comme dans celui de la Shoah, la révision ou l’étude de faits criminels parfaitement connus et qualifiés n’est qu’un prétexte à ressusciter la haine raciale. Comme l’a écrit Elie Wiesel, « tolérer le négationnisme, c’est tuer une seconde fois les victimes ». Nier les génocides avérés, c’est prolonger l’intention génocidaire sur les générations successives des survivants et attenter à leur dignité humaine, un bien fondamental protégé par les Constitutions des Etats européens, notamment de la France. Par conséquent, il est nécessaire d’interdire par un acte législatif le négationnisme, synthèse des délits d’injure, de diffamation et d’incitation à la haine, et ceci appelle un vote du Parlement. Rappelons nous de la maxime du Père Henri Lacordaire : « Entre le fort et le faible (…), c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit ».
… ni inconstitutionnelle ! Le Parlement est le seul détenteur, sur le territoire de la République, de la souveraineté nationale et jouit, à ce titre, d’un pouvoir de délibération général l’autorisant à s’emparer de toute question qu’il juge digne d’intérêt et à l’ériger en norme nationale. Contrairement à ce que prétendent certains, le domaine de la loi n’est pas restreint à l’article 34 de la Constitution, mais s’étend à toutes les situations mettant en jeu une liberté constitutionnelle, comme la liberté d’expression – relative et pas absolue-, quand il existe une nécessité de l’encadrer. Seul le législateur a reçu le pouvoir constitutionnel de limiter la liberté d’expression en cas d’abus. C’est ce que prévoit l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui a pleine valeur constitutionnelle. Les parlementaires n’ont donc pas, en adoptant ma proposition de loi, à redouter le spectre du Conseil Constitutionnel. Quant aux historiens, leur liberté d’expression de recherche n’est pas menacée par ce dispositif pénal puisqu’il ne vise que la contestation ou la minimisation outrancière du génocide.
Une loi électoraliste ? Mais quelle loi ne l’est pas ? On ne saurait nier que ce projet de loi arrive dans un certain contexte électoral. Ceci dit, il faudrait se demander ce qui n’est pas de nature électorale aujourd’hui. Il n’est pas interdit de représenter correctement ceux qui vous ont élus, quand bien même ils seraient français d’origine arménienne. C’est bien le rôle du député que de représenter ceux qui lui ont donné mandat pour voter et amender les lois ?
Si l’approche des échéances électorales en France permet un consensus républicain sur cette question, pourquoi ne pas en profiter ? La France n’est-elle pas le pays des Droits de l’Homme ? Il s’agissait d’une promesse du candidat Sarkozy et d’un engagement que le Président de la République avait pris lors de son dernier voyage en Arménie et je constate une fois de plus que la promesse a été tenue, et ce malgré des pressions et des menaces inadmissibles de la part de la Turquie. Pour la mémoire des 1,5 million d’Arméniens qui ont été massacrés ou déportés en 1915, mais également pour leur famille, j’espère que nous irons au bout et que nous montrerons que la France reste à jamais le pays des Droits de l’Homme.
* Valérie Boyer est député des Bouches-du-Rhône et adjointe au Maire de Marseille, auteur et rapporteur de la proposition de loi visant à réprimer la contestation des génocides reconnus par la loi.
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