La Pologne compte de nombreux sanctuaires mais il en est un qui lui tient clairement lieu de capitale spirituelle : le sanctuaire de Jasna Góra, à Częstochowa. Ce sanctuaire abrite la chapelle de la Vierge Noire, une icône de style byzantin, que la légende fait remonter à Saint Jean Évangéliste, arrivée en Pologne au XIVe siècle et à laquelle on attribue de nombreux miracles. Dans l’histoire de la chrétienté, Dieu semble toujours avoir voulu remplir de Sa présence certaines époques en particulier, mais aussi certains lieux. La chapelle de l’icône de la Vierge de Częstochowa est un de ces lieux privilégiés et 3,5 millions de personnes viennent y prier chaque année. C’est aussi la raison pour laquelle cette ville de 230 000 habitants avait été choisie par Jean-Paul II pour accueillir les 6e Journées Mondiales de la Jeunesse en 1991. Le pape polonais avait affirmé que si l’on y serait serrés, on y serait au chaud auprès de Marie, mère de l’Église.
Le sanctuaire de Częstochowa est un lieu où l’on peut rencontrer des pèlerins toute l’année car ils viennent en voiture, en autocar, à vélo, en moto (un pèlerinage de motards a lieu chaque année), en fauteuil roulant où à pied. La semaine qui précède la fête de l’Assomption du 15 août est le moment culminant des pèlerinages à pied. Cette année, entre le 1er et le 14 août, ce sont 70 000 pèlerins environ qui sont arrivés à pied de tous les coins de Pologne, y compris des plus éloignés. Le pèlerinage à pied le plus long, celui de Szczecin à Częstochowa, est un voyage de 640 km qui dure 20 jours. Mais ce sont les pèlerinages de Varsovie à Częstochowa qui réunissent le plus grand nombre, avec près de 12 000 pèlerins cette année dont un groupe de 5 600 personnes qui ont fait ensemble près de 300 km à pied du 6 au 14 août. Quant au pèlerinage étudiant de Varsovie à Częstochowa, il a attiré cette année 3717 marcheurs (tous ces chiffres proviennent du bureau de presse du sanctuaire de Jasna Góra).
J’ai été très surpris une fois par une jeune coiffeuse arborant une minijupe et un décolleté dévoilant une poitrine généreuse, qui m’a raconté alors qu’elle me coupait les cheveux dans un salon de coiffure de Varsovie, comment elle faisait chaque année le pèlerinage de Varsovie à Częstochowa, et comment elle avait fait le dernier avec son enfant dans une poussette, tandis que son mari, qui ne partage pas son désir de faire le pèlerinage à pied, assurait la logistique en les rejoignant chaque soir en voiture à leur lieu de campement. Au premier abord, je n’aurais pas soupçonné cette jeune femme d’être mue par une telle foi, car de la foi il faut en avoir pour marcher une bonne trentaine de kilomètres par jour en moyenne, dormir sous la tente par tous les temps et être prêt à se contenter du strict minimum si personne ne veut nous ouvrir sa maison pour une douche et un repas le soir. Car si les petits groupes de pèlerins dorment généralement chez l’habitant (les curés des paroisses traversées se chargeant de trouver des gens de bonne volonté avant même l’arrivée des marcheurs), les groupes de plusieurs milliers de personnes doivent généralement planter leurs tentes dans un champ. Les sacs à dos, l’eau et les toilettes toi-toi sont transportés jusqu’au lieu de campement par camions.
Le plus gros groupe de pèlerins cette année, c’étaient cependant les 8 500 personnes qui sont arrivées de Cracovie le 11 août après avoir parcouru environ 160 km en 6 jours. Dans le cadre de ce pèlerinage, on rencontre un groupe important d’Italiens présents chaque année à ce rendez-vous depuis maintenant 35 ans. Ce sont des membres de Communion et Libération, un mouvement catholique fondé en Italie par le père Luigi Giussani, aujourd’hui présent dans de nombreux pays. J’ai fait cette année partie de ce groupe avec 1050 Italiens, 21 Espagnols, 3 Portugais et 60 Polonais du mouvement. Il s’agit principalement de jeunes qui viennent d’obtenir leur bac ou de finir leurs études et qui viennent demander à la Vierge Marie de les guider dans leurs choix. 1200 jeunes (pour la plupart, mais quelques moins jeunes tout de même, dont une famille polonaise avec ses quatre plus jeunes enfants) qui chantent leur foi chrétienne sur les routes de Pologne, c’est une colonne impressionnante et il fallait bien une vingtaine de pèlerins en gilets orange pour régler la circulation.
Sur le plan sportif, j’ai une admiration toute particulière pour Krzysztof qui marchait, et courait même bien souvent, à 300 m devant notre colonne, par des températures atteignant par moments 36 ou 37°C pour arrêter les voitures qui arrivaient en face. Bien entendu, il se trouvait toujours un ou deux conducteurs, sans doute rendus agressifs par un excès de bigoterie laïcarde, qui refusaient de coopérer, donnant des sueurs froides à nos pèlerins en gilet orange. Mais il y avait aussi, surtout même, tous ces habitants qui à notre passage nous faisaient signe de la main (tout comme de nombreux conducteurs), qui sortaient leur tuyau d’arrosage pour nous rafraîchir un peu, ou qui distribuaient à plusieurs centaines de personnes les fruits du verger ou des boissons fraîches. Et ceux qui nous serraient la main, notamment à notre arrivée à Częstochowa où l’accueil des gens devenait de plus en plus chaleureux et massif à mesure que l’on s’approchait du sanctuaire de la Vierge Noire. Cette Vierge de Częstochowa à qui j’avais promis de faire ce pèlerinage, le premier de ma vie, si Dieu écoutait une prière qui me tenait à cœur. Une prière qui avait été écoutée dans les semaines qui avaient suivi ma visite au sanctuaire : je n’avais donc plus le choix mais je ne regretterai jamais cette promesse qui m’a permis de partager une expérience religieuse unique avec mes frères et sœurs chrétiens ! Car si c’était physiquement un peu éprouvant en raison de la canicule exceptionnelle cette année, ce pèlerinage a été pour moi et pour mes compagnons de voyage six jours de vie en véritable communion avec les autres et avec le Christ, sans les conforts et les soucis de la vie moderne qui viennent d’habitude brouiller cette relation.
Les pèlerins de Cracovie, répartis sur trois itinéraires différents pour faciliter la logistique, étaient soutenus dans leur effort par le cardinal Dziwisz, archevêque de Cracovie (qui accueillera les JMJ l’année prochaine). Cet ancien secrétaire particulier du pape Jean-Paul II a célébré la messe au château du Wawel avant le départ des groupes de pèlerins, dont le nôtre. On l’a encore rencontré à mi-chemin (on lui pardonnera d’être venu en voiture vu son âge avancé) et il a encore célébré la messe avec les pères paulins le 11 août au soir à Częstochowa sur la pelouse devant le sanctuaire de Jasna Góra.
Le moment culminant de ces pèlerinages, c’est bien entendu la grande messe du 15 août célébrée devant le sanctuaire avec plus de 50 000 fidèles. Le 15 août est une date d’autant plus importante en Pologne que c’est la date anniversaire du « miracle de la Vistule », une victoire des troupes polonaises en 1920 qui a marqué le début de la déroute des armées bolcheviques, supérieures en nombre, qui progressaient vers l’ouest, mettant ainsi en échec le projet de Lénine et des Bolcheviques d’exporter leur révolution en Europe occidentale. Une victoire attribuée par les catholiques polonais à l’intercession de la Vierge Marie. Et c’est pourquoi la fête de l’Assomption coïncide en Pologne avec la fête de l’armée polonaise, jour de défilé militaire à Varsovie.
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