Tribune libre de Marc Crapez*
Évitons les sécessions qui s’affranchissent de la morale commune, quel qu’en soit le prétexte, y compris celui d’échapper à l’impôt.
D’un naturel conciliant, François Hollande ne se reconnaît que deux ennemis : le « libéralisme effréné » et le « populisme » qui menacerait de ne faire « qu’une bouchée » de nos démocraties. Antilibéralisme, anti-populisme, les deux filons les plus inusables des élites. Le premier, le libéralisme, est censé avoir enfanté la crise de 2008, tandis que le second, le populisme, est supposé menacer de rafler la mise. Cette interprétation remet au goût du jour la vieille thèse du capitalisme faisant le lit du fascisme.
Le point commun entre Bayrou, Le Pen et Mélenchon est d’avoir ramassé, sur le bas-côté où l’avaient jetée les élites, la vieille morale républicaine. Ils ont raison sur ce point. La priorité serait de traiter les problèmes. Pas de critiquer Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, qui représentent des familles politiques minoritaires dont les scores électoraux stagnants ne menacent en rien la démocratie. Quant à parler de « radicalisation » au sujet des manifs hostiles au mariage unisexe, c’est oublier les violences et déprédations qui ponctuèrent les fins de cortège des grandes manifs comme celle contre le CPE.
Petite voix intérieure
En revanche, la démocratie est menacée par quelque chose qui dépasse le seul cas Cahuzac. Avant Cahuzac, on apprenait que certains cardinaux n’ont pas eu le droit de participer à l’élection du Pape pour cause de mauvaises mœurs. Après Cahuzac, le grand rabbin de France avoue plagiat, mensonge et usurpation du titre d’agrégé. Bref, à qui peut-on encore se fier ? Certes, ça a toujours existé et l’impression d’amoralité actuelle est partiellement due à davantage de transparence.
Mais chez les puissants, s’éclipse la petite voix intérieure qui dicte à chacun de considérer certaines conduites comme répréhensibles. Je l’ai souligné dans mon livre Un besoin de certitudes. Anatomie des crises actuelles : Les années 1980 sacralisent des élites agissant en roue libre. Des élites surprotégées cumulent richesse et bonne conscience à toute épreuve. En France, François Mitterrand est admiré car il est « très fort », son ministre Bernard Tapie parce qu’il est « malin ».
Plusieurs décennies de propagande post-soixante-huitarde ont laminé les valeurs, les devoirs, l’exemplarité. Il va falloir les refonder. Un retour de balancier est nécessaire. Pour rééquilibrer la situation. Pas pour restaurer un autoritarisme sourcilleux ou un moralisme suspicieux auxquels personne ne songe.
Mais les idéologues qui ont orchestré le déferlement de propagande permissive défendent leur bilan et le statu quo. Habiles, ils ne disconviennent pas de la nécessité d’un certain recentrage, mais torpillent cette aspiration en émettant des objections tactiques et instrumentales : jusqu’où irait-on ? à qui cela profiterait-il ? À cet obstacle, s’ajoutent diverses tentatives de sécession, dont une forme de révolte du contribuable qui nourrit le désarmement éthique et le désarroi existentiel de la France.
Le « Fatca » de 2010 permet au fisc américain d’être informé de l’ouverture de comptes à l’étranger de ses ressortissants. Pour combattre la fraude fiscale, les États-Unis disposent de moyens d’écoutes, d’investigation ou de récupération de listings. Le capitalisme anglo-saxon, honni comme ultra-libéral, est beaucoup plus rigoureux qu’en France, où la pression fiscale, chargée de subventionner le pseudo-modèle social, va de pair avec un laxisme non seulement budgétaire mais fiscal.
Au Royaume-Uni, en mai 2012, le chancelier de l’Echiquier George Osborne a réprouvé comme « moralement répugnant », non seulement la fraude, mais même l’optimisation fiscale (« tax avoidance »). La règle générale anti-évitement (GAAR en anglais) devrait permettre de juger illégales les tactiques d’évitement fiscal dont chacune des étapes est légale, mais dont l’addition contourne l’esprit de la loi. Le pays des libertés individuelles élargit ses moyens d’investigation et de répression, comme il l’avait déjà fait dans le domaine de la lutte antiterroriste.
*Marc Crapez est chroniqueur et chercheur en science politique.
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