La France et dix autres pays de l’Union européenne (1) s’apprêtent à innover – en matière fiscale bien sûr – en instaurant de concert une Taxe sur les Transactions Financières (TTF) de 0,1% sur le montant des transactions financières (0,01% du notionnel sur les produits dérivés). Ce nouvel impôt vise, naturellement, à remplir les caisses de nos États impécunieux mais aussi à modifier le fonctionnement du marché en faisant disparaitre un certain nombre de transactions jugées nuisibles par nos gouvernants. Sans revenir sur les détails de ce qui nous attend, je vous propose ci-dessous d’anticiper les effets d’une telle taxe en posant l’hypothèse – très osée, j’en conviens – que le législateur parviendra à contenir le grand mouvement de délocalisations auquel nous sommes en droit de nous attendre.
Dommages collatéraux
Le premier, celui qui – au moins officiellement – est l’un des deux objectifs de la TTF, c’est de faire purement et simplement disparaitre un certain nombre d’acteurs du marché. Dans le viseur du législateur, comme à l’accoutumée du Comité de salut public jusqu’à Chávez, les fameux spéculateurs et, en particuliers, ceux qui s’adonnent au trading à haute fréquence (2) (HFT). Naturellement, avec une taxe de 0,1% à l’aller et de 0,1% au retour, il va de soi que toutes ces activités sont purement et simplement mortes et, partant, que les traders pour compte propre et autres gérants de fonds qui en avaient fait leur métier vont devoir choisir entre l’exil et une réorientation de leur carrière.
De manière assez amusante, pour peu qu’on ait l’humour grinçant, on sait aussi que les desks de HFT ne seront pas les seuls à y passer puisque les gérants de fonds monétaires les accompagneront dans leur exil (ou à Pôle Emploi). En effet, il semble que le législateur, dans son infinie sagesse, ait quelque peu oublié qu’avec un Eonia à 0,7% et un turnover de l’ordre de 4 fois l’actif par an, une taxe de 0,1% dans les deux sens n’est rien de moins qu’une mise à mort du métier ; et encore, c’est sans compter la double peine puisqu’avec la TTF, les entreprises qui auraient la drôle d’idée de placer leur trésorerie excédentaire sur de tels fonds, se verraient elles aussi taxer de 0,1% à la souscription et d’autant lors du rachat.
L’un dans l’autre, ce dont on peut être certain dès maintenant, c’est que cette taxe va donc éliminer quelques métiers du champ des possibles, faire fermer quelques sociétés et gonfler les rangs des bénéficiaires de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, option gros salaires. Rajoutez à ça les effets indirects qui, par ricochets, vont toucher les fournisseurs de ces derniers (matériel informatique, dépositaires, valorisateurs…) et vous obtenez exactement l’inverse de ce que l’on pourrait attendre – si l’on en attend quelque chose – d’un politique économique en période de crise.
La stabilité des marchés
Naturellement, la disparition de ces intervenants va avoir des conséquences sur le marché lui-même ; principalement : un tarissement de la liquidité et, par voie de conséquence, une augmentation de la volatilité. Si vous avez le moindre doute à ce propos : prenez n’importe quel carnet d’ordre, imaginez qu’un ordre sur trois n’existe plus et demandez-vous ce qui se passerait si vous deviez acheter ou vendre une grande quantité de titres : c’est mécanique, chaque nouvel ordre entraînera un décalage des cours plus important, à la hausse pour les ordres d’achat, à la baisse pour les ordres de vente (3). En application de l’effet Dunning-Kruger, le législateur reproche au HFT les rares épisodes – comme celui de mai 2010 – où, à la suite d’une erreur, il a été à l’origine d’une anomalie de marché sans se rendre compte que le reste du temps, il contribue justement à éviter que de tels chocs se produisent.
Il suit donc de ce qui précède que, si l’objectif des génies qui nous gouvernent est vraiment de stabiliser les marchés, ils vont obtenir exactement l’effet inverse et, bien sûr, ils s’empresseront d’en conclure qu’il faut taxer et réglementer un peu plus. Bref, toutes choses égales par ailleurs, attendons-nous à moins de liquidité, plus de volatilité et quelques belles étincelles la prochaine fois qu’un fat finger tapera un zéro de trop. C’était donc notre deuxième effet qui, tout naturellement, nous amène au troisième.
Le coûts du capital
De toute évidence, une taxe sur les transactions qui s’accompagne d’un tarissement de la liquidité implique une création de liquidités ; c’est-à-dire un renchérissement du coût du capital. Nos glorieuses élites technocratiques qui ont eu la préscience de ne pas taxer le marché primaire pour le pas pénaliser l’activité des entreprises (et renchérir le coût des emprunts d’État) on bêtement oublié que les acquéreurs du marché primaires pouvaient éventuellement avoir besoin de revendre leur papier avant sa date de maturité. Typiquement, on imagine difficilement comment l’Agence France Trésor pourra continuer à placer des BTFs à 12 mois à 0,08% ou 0,09% si, au moindre besoin de liquidité, les créanciers de l’État se font taxer de 0,1% quand ils cherchent à revendre leur papier.
Pour une entreprise dont les billets de trésorerie sont beaucoup moins liquides que les BTF de l’État, naturellement, c’est encore pire et ce, d’autant plus que, nous l’avons vu plus haut, il n’y aura pour ainsi dire plus de fonds monétaires pour en acheter (lesquels assurent aujourd’hui un bon tiers du financement à court terme de nos entreprises). En résumé, après les ratios de Bâle qui ont considérablement réduit leur capacité de financement auprès des banques, les entreprises vont maintenant assister au renchérissement de leurs conditions d’émission sur le marché – le législateur, bien sûr, en conclura qu’il faut gonfler le bilan de sa Banque publique d’investissement pour palier à cette déficience du marché. Pour une multinationale, bien sûr, ce pourrait être une excellente raison de déménager carrément son siège social ailleurs…
Récapitulons : vendue comme un moyen de stabiliser le marché, la TTF a toutes les chances d’aboutir à l’effet exactement inverse. Par ailleurs, si nos fiscalistes attendent entre 30 et 35 milliards d’euros de produit fiscal supplémentaire, ils ont sans doute omis de calculer le manque à gagner fiscal induit par la réduction de l’activité (notamment celle des sociétés de gestion (4)), l’augmentation des coûts de financement des entreprises et le renchérissement des conditions d’emprunt des États.
> le blog de Georges Kaplan
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1. L’Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Slovénie, l’Autriche, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la Slovaquie et l’Estonie.
2. Par « haute fréquence », nous entendront ici l’ensemble des activités qui implique un aller-retour ou plus dans la même journée.
3. Accessoirement, on se reportera aux tombereaux d’études économétriques qui le confirment toutes, sans aucune exception.
4. 15 000 emplois directs, 83 000 emplois induits, 22% de la dette négociable de l’État, un quart de la capitalisation boursière des entreprises cotées françaises, 35% de leurs billets de trésorerie, 44% des certificats de dépôts des banques… (chiffres du rapport annuel 2012 de l’AFG).
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