Au téléphone, depuis le secrétariat de la chancellerie du premier ministre Donald Tusk, à propos des juges devant siéger dans une affaire concernant indirectement ce dernier : « Ce sont des personnes de confiance ? ». Réponse du président du tribunal : « Vous n’avez pas à vous inquiéter, si je puis m’exprimer ainsi ».
Cette phrase illustre bien le ton de la conversation de 22 minutes enregistrée entre une personne qui se faisait passer pour le secrétaire personnel du chef de la chancellerie du premier ministre et le président du tribunal de Gdansk, à propos de l’audience à venir dans la dernière affaire en date du gouvernement « libéral » et « europtimiste » (depuis qu’il n’est plus dans l’opposition) de Donald Tusk. Il s’agit de l’affaire « Amber Gold », du nom de cette institution financière dirigée, en violation de la loi, par un homme déjà condamné plusieurs fois pour malversations financières, y compris à des peines de prison avec sursis, et qui promettait à ses clients de rémunérer leurs investissements à des taux de 14 % l’an, grâce à des placements dans l’or.
Le premier ministre polonais avait été prévenu dès le mois de mai par le contre-espionnage du fait que cette institution parabancaire n’était qu’une pyramide financière et que ses coffres en banque où était censé être déposé l’or acheté par ses clients étaient vides, mais Donald Tusk s’était contenté de mettre en garde… son propre fils, embauché par la compagnie aérienne « OLT Express » qui appartenait à Amber Gold. Des milliers de Polonais ont donc continué de placer leur argent entre mai et juillet, quand l’insolvabilité d’OLT Express puis d’Amber Gold est devenue connue du grand public.
Or il se trouve que Marcin Plichta, le président fondateur indélicat d’Amber Gold et d’OLT Express, était très proche, dans sa ville de Gdansk, des politiciens du parti « Plateforme civique » (PO) du premier ministre, et l’opposition demande de quelles protections politiques exactement bénéficiait cet homme pour ne pas être inquiété par le parquet et la justice pendant tant d’années alors qu’il exerçait en toute illégalité.
Si le PO n’a toujours pas répondu à cette question, la provocation du journal Gazeta Polska (qui a aussi un site d’informations en anglais consultable ici) met à nu l’absence totale d’indépendance de la justice en Pologne puisqu’une personne qui se fait passer pour un fonctionnaire au service du premier ministre peut sans difficulté obtenir du président du tribunal où doit être jugée une affaire pouvant inquiéter ce même premier ministre et ses amis le nom des juges nommés pour siéger à l’audience, l’accord du président du tribunal pour convenir de la date de l’audience avec le fonctionnaire du premier ministre et l’assurance que le premier ministre n’a pas d’inquiétudes à avoir puisque les juges nommés pour cette affaire sont des personnes de confiance.
Nous avions déjà signalé le déficit démocratique en Pologne et d’une manière générale dans les pays de l’ancien bloc de l’Est qui n’ont pas fait leur décommunisation, comme dans cette interview avec l’entrepreneur français Michel Marbot, fondateur d’une marque prestigieuse de pâtes alimentaires en Pologne, qui depuis 7 ans a justement affaire à une justice au service d’une nébuleuse qui ressemble fort à une mafia politico-financière polonaise et européenne. L’affaire Amber Gold et les enregistrements divulgués la semaine dernière ne sont qu’une preuve supplémentaire du mauvais fonctionnement des institutions démocratiques polonaises, un mauvais fonctionnement facilité par le contrôle du pouvoir sur les grands médias du pays. D’un point de vue français et européen, ce qui est inquiétant, hormis l’infiltration possible de la Pologne, un pays membre de l’OTAN, par les services russes (un problème rendu visible avec les déboires de l’enquête sur la tragédie de Smolensk), c’est que l’Europe de Bruxelles semble volontiers prendre partie pour des gouvernements corrompus (et donc moins démocratiques et plus facilement sous influence), du moment qu’ils sont perçus comme « pro-européens » et libéraux pour les questions sociales. Cette même Europe et ses grands groupes médiatiques semblent par contre être toujours disposés à attaquer les gouvernements réformateurs, mais conservateurs et patriotiques sur le plan des valeurs, qui font de la lutte contre la corruption et contre la mafia politico-financière leur cheval de bataille, comme c’est le cas de Viktor Orbán en Hongrie ou comme c’était le cas avant lui des frères Kaczyński en Pologne.
De notre correspondant permanent.
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Photo Wikimedia Commons : une agence Amber Gold promettant des placements en or rémunéré à 14 % et des crédits à 0 %.