Le deuil n’est pas une maladie mentale qui doit être traitée avec des antidépresseurs. C’est en substance ce que dit le dernier éditorial non signé du Lancet, l’influente revue scientifique médicale anglaise. En effet, le chagrin qui fait suite à la perte d’un proche ne nécessite normalement pas de psychiatres et « légitimer » son traitement avec des antidépresseurs « est non seulement dangereusement simpliste mais aussi sans fondement ».
Le débat est né suite à la décision de l’American Psychiatric Association (APA) de classer le chagrin comme une maladie mentale dans sa 5e édition de la bible des psychiatres, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-V), annoncée pour 2013 ! Or, le deuil “[fait] partie de l’être humain”, c’est “une réponse normale à la mort d’un être cher” rappelle The Lancet. Qui critique une tendance qui consisterait à ne plus tenir compte des besoins, plus larges, des patients et à les ranger dans des cases. Seuls les deuils prolongés et les dépressions qui font suite au décès d’un proche doivent être traitées, préconise l’hebdomadaire. « Les médecins feraient mieux d’offrir du temps, de la compassion et de l’empathie que les pilules” continue-t-il.
Dans le DSM-III, l’APA parlait de maladie mentale pour un deuil supérieur à un an. Le DSM-IV abaissait ce seuil à 2 mois. Le projet de DSM-V opte cette fois-ci pour une période de deux semaines. Au-delà, vous serez bientôt considérés comme malade mental et devrez être traités aux antidépresseurs !
Aux États-Unis, d’une catégorie de troubles mentaux en 1840, on est passé à 59 en 1917, à 128 en 1959, à 227 en 1980 et à 347, selon l’APA, en 2013 ! Interrogé par le Daily Mail, Simon Wessely, de l’Institut de psychiatrie du King’s College, à Londres, appelle à la prudence “avant de poursuivre l’élargissement des frontières de la maladie”. “Il y a un réel danger que la timidité soit un jour assimilée à la phobie sociale, que les enfants studieux soit étiquetés comme soufrant du syndrome d’Asperger et ainsi de suite”…
Photo : David Shankbone, Wikimedia Commons.