Tribune libre de Jean-Louis Caccomo*
On découvre, ébahi, que la pauvreté augmente en France. Mais c’est la conséquence malheureuse, mais mécanique et inévitable, de trente années (les « trente piteuses ») de décrochage de notre sentier de croissance (Solow), faute d’une compréhension objective des processus en jeu dans la création des richesses. La richesse ne se répartit pas en se consommant (keynésianisme) ou en se redistribuant (socialisme) mais en produisant (investissement des entreprises).
Mon coiffeur (qui est aussi mon ami) me confia ce matin que, lorsqu’il a créé son salon en 1974, les charges représentaient 20% de son chiffre d’affaires. Elles se montent aujourd’hui à 80 %. On voudrait tuer le secteur productif, dont la dynamique est portée par le tissu des PME, que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Faisons un peu d’histoire pour comprendre notre situation actuelle. À ce propos, l’histoire de l’Empire romain est fascinante et porteuse de nombreux enseignements économiques. Les Romains ont conquis tout le monde connu parce qu’ils ont révolutionné « l’art » de la guerre en appliquant deux principes fondamentaux : le machinisme (les machines de guerre comme les catapultes) et la division du travail qui a donné naissance à l’armée moderne. Aucun pays et même les combattants les plus valeureux n’ont pu résister à la puissance romaine. L’Italie, une invention moderne, n’existait pas et Rome était juste une « idée ».
Pourtant, les romains n’ont jamais pensé à appliquer ces principes à l’économie car ils considéraient que, pour avoir plus de richesses, il fallait la prendre aux autres, raisonnant dans un monde fini (la quantité de richesses est donnée). Comment peut-on les blâmer car il a fallu attendre Adam Smith (1776) pour comprendre l’importance de ces principes dans le processus de croissance de la richesse des nations et Taylor (1856-1915) pour les mettre en application dans l’organisation des entreprises ? Et il semble que les dirigeants français ne l’aient toujours pas compris comme si on ne parvenait pas à échapper à des siècles d’histoire et de colbertisme.
Alors, Rome payait ses soldats (ceux qui recevaient la « solde ») avec le butin de guerre, en leur donnant des terres prises sur les territoires conquis. Et les problèmes économiques de l’Empire romain ont commencé à apparaître quand il n’y avait plus de nouveaux territoires à conquérir. Par la suite, toutes les grandes nations européennes ont raisonné ainsi jusqu’à l’époque mercantiliste. C’est ce même raisonnement qui a justifié la constitution des empires coloniaux et qui est à l’origine des conflits incessants entre les royaumes en Europe. C’est aussi pour cette raison que Bastiat s’était vivement opposé à l’aventure coloniale française en Algérie, soulignant que la puissance reposant sur la force et la contrainte était toujours assise sur des bases fragiles et coûteuse.
Aujourd’hui, et sans doute pour la première fois dans l’histoire troublée et conflictuelle de l’humanité, aucune nation ne peut plus accroître son territoire en déplaçant ses frontières géographiques, l’intégrité territoriale de toutes les nations étant protégée par l’ONU jouant le rôle nécessaire, mais difficile, d’arbitre international.
Il appartient donc aux entreprises, qui évoluent désormais dans un monde ouvert, de conquérir des marchés et des nouveaux consommateurs. Mais ce n’est pas la « guerre économique » – tellement décriée dans la presse économique – que se livraient autrefois les nations dans un monde fini, c’est la compétition nécessaire, qui est la règle du jeu normal au cœur du fonctionnement même de l’économie à l’origine de la croissance des richesses. Car dans une guerre, les armées tuent les gens et accaparent leurs richesses de sorte qu’il n’y a jamais de croissance. À l’inverse, par le jeu de la compétition économique, il faut conquérir des consommateurs (qui sont libres d’acheter ou non vos produits) ce qui implique de créer de la valeur. Cela change complètement de perspective, et donc de stratégie.
Et si les entreprises gagnent des parts de marché, leurs chiffres d’affaires progresseront et elles seront en mesure de mieux rémunérer leurs facteurs de production (actionnaires, banquiers, salariés) ainsi que de payer leurs impôts, ce qui reviendra dans les caisses de l’Etat. L’État s’enrichit ainsi de manière pacifique grâce à la prospérité de ses entreprises et sans spolier ses habitants.
Dans ce contexte, ce n’est plus la puissance militaire et la force brute qui sont les instruments de la puissance économique mais bien la compétitivité des entreprises. L’Allemagne et le Japon, les deux vaincus de la Seconde guerre mondiale, ont été privés de puissance militaire mais ils sont devenus les principales puissances économiques du monde. C’est le sens de la mondialisation en cours : pour participer activement à ce processus, il faut donc s’ouvrir à l’économie mondiale. C’est aussi ce qui a fait monter en puissance tous les pays de la zone APEC, qui est aujourd’hui la région la plus dynamique de l’économie mondiale.
En Europe, et en particulier en France, en s’accrochant désespérément aux instruments dépassés de la puissance, on prend le risque de se voir exclure de ce processus irréversible avec la tentation dangereuse de succomber aux sirènes de la fermeture sur soi et de l’isolationnisme. Écoutez donc les discours de Mélenchon ou de Le Pen, qui se ressemblent terriblement, et influencent les programmes des partis de gouvernement.
Mais si on n’y prend pas garde, ce sont les autres pays qui nous abandonnerons à nos chimères et poursuivront leur chemin du développement et de la prospérité sans nous. Un pays, frappé par le déclin économique et les difficultés financières inextricables, peut difficilement servir de modèle et donner des leçons de prospérité aux autres pays désireux de sortir de sous-développement.
*Jean-Louis Caccomo est Maître de conférences en sciences économiques et Directeur du master professionnalisé « Economiste Financier » à l’Université de Perpignan – Via Domitia.
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