Exception culturelle et moralité

Le paysage intellectuel français nous offre toute une palette de moralistes de gauche et de droite qui aiment à fustiger la perte des valeurs et le désordre moral liés, naturellement, aux politiques néolibérales qui auraient été mise en œuvre en France. Une petite perspective internationale ne faisant jamais de mal, je vous propose quelques statistiques tirées des World Value Survey sur la moralité de nos compatriotes comparée à celles d’un panel de 17 pays développés pour lesquels les données sont disponibles (1).

Lorsqu’on leur demande de juger le fait de réclamer des aides sociales indues, les Français sont 42% à estimer que ce n’est « jamais justifiable ». C’est le score le plus faible de notre panel de 18 pays : juste après nous, les Sud-Coréens sont 47% à condamner formellement cette attitude et aux Pays-Bas, de chiffre atteint 80%. De la même manière, 3,3% de nos compatriotes estiment que la triche aux aides sociales est « toujours justifiable » : seuls les Sud-Coréens atteignent un score plus élevé (3,4%) tandis que chez nos voisins suisses, italiens et allemands, cette proportion est inférieure à 0,6% des personnes interrogées.

Quant à notre attitude face à la corruption, ce n’est pas beaucoup plus brillant : seuls 63% de nos compatriotes estiment qu’elle n’est « jamais justifiable », ce qui nous place en deuxième place sur 18, juste derrière les Suédois (61%) mais loin devant les Italiens qui condamnent la corruption à 86%. Ce résultat se confirme avec la proportion de Français qui pensent qu’elle est « toujours justifiable » : 1,8%, loin devant les autres et en particulier les Italiens – décidément très sensibles sur ce point – qui ne sont que 0,1% à partager cet avis.

Un dernier pour la route (2) : la fraude fiscale. Nous ne sommes que 48% à estimer qu’elle n’est « jamais justifiable » : là aussi, c’est le score le plus faible du panel. Nous sommes suivis par les Norvégiens (50%) et ce sont nos amis japonais qui se montrent les plus stricts en la matière avec un score de 80%. À l’opposé, 3,8% des Français considèrent que la fraude fiscale est « toujours justifiable » : c’est le chiffre le plus élevé du panel ; les Néerlandais, qui arrivent en deuxième place, ne sont que 2,3% à penser la même chose tandis que les Sud-Coréens et les Espagnols ne sont que 0,3%.

Bref, notre société de la défiance est effectivement une société immorale mais – n’en déplaises à nos pourfendeurs de mondialisation – c’est une spécificité bien française : au total, sur les trois critères listés ci-dessus, nous sommes les champions du monde de l’immoralité. Bien sûr, comme le notaient très justement Yann Algan et Pierre Cahuc (3), ce n’est pas une fatalité : c’est notre système qui créé ça depuis la Libération ; un système dans lequel, au risque de paraphraser Bastiat, « tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».

> le blog de Georges Kaplan

1. Allemagne, Australie, Canada, Chypre, Corée du sud, Espagne, États-Unis, Finlande, Hong Kong, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Royaume Uni, Suède et Suisse.
2. Je vous fais grâce de notre propension à frauder les transports publics… Pas glorieux.
3. Lire Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance (2007).

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21 Comments

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  • C.B. , 16 mars 2013 @ 20 h 54 min

    L’école publique savait transmettre beaucoup jusque dans les années soixante (j’en suis une élève).
    L’école publique aujourd’hui ne sait plus que chanter des incantations sur le “vivre ensemble”, “la réussite de tous les élèves”, “le devenir élève”.
    Rares sont aujourd’hui les enseignants et les formateurs qui se battent encore pied à pied pour continuer à transmettre: le travail de Sisyphe est épuisant.
    L’école privée n’est pas forcément mieux lotie (mais peut être capable d’être un peu moins mal lotie).
    Les parents ne sont pas toujours de taille à se battre contre le travail de sape de l’école!

  • degabesatataouine , 16 mars 2013 @ 23 h 55 min

    C’était l ” élitisme républicain ” qui permettait à des enfants méritants mais de conditions très modestes, d’accéder jusqu’aux grandes écoles.
    Son support était le Lycée où on entrait par sélection que le sinistre Haby, du RPR précisons le ,a mis à bas avec son collège unique et les examens et concours anonymes remplacés par les appréciations plus ou moins émotionnelles,surtout avec la féminisation des enseignants,et sujettes au favoritisme.

  • Ampelius , 17 mars 2013 @ 8 h 10 min

    Morte l’ école morte la république! Je l ai écrit il y a 20 ans c est maintenant chose faite. Il n y a plus de bien public , plus d interêt général et la guerre de tous contre tous est là, dans un pays pourtant peu enclin à croire au marché et à la concurrence. Il n y pas un homme politique qui , aujourd hui en France a la moindre conviction, ils sont des prédateurs de l Etat , trop nombreux , trop payés, trop longtemps. Il faut fermer d urgence l ENA, supprimer les deux tiers des postes éligibles et limiter le cumul et la durée, instaurer le modèle Cincinatus. C est à ce prix que tous cesseront de vivre aux dépends de tous.

  • Ampelius , 17 mars 2013 @ 8 h 40 min

    Devenir élève en effet Finkelkraut l’avait dit il y a 20 ans, le seul but de l école: “enseigner la jeunesse aux jeunes” ce qu il appelle la ” révolution cuculturelle”. Ce pauvre Peillon avec sa refondation de l ecole est pathétique et dérisoire, quand la gauche comme la droite comprendront-elles qu il ne faut plus de ministre de l éducation nationale? Ceci n étant qu un commencement !

  • degabesatataouine , 17 mars 2013 @ 11 h 29 min

    Oui mais 20 ans avant il était une des têtes de mai 68.

  • deronne , 17 mars 2013 @ 12 h 18 min

    bien dit !

  • Ampelius , 17 mars 2013 @ 12 h 42 min

    A tout péché miséricorde surtout si le pecheur gagne en lucidité. Que faisait Saint-François dans sa jeunesse folle lui qui inspire le nouveau Pape?

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