Tribune libre de Jean-Yves Naudet*
Saint Expédit, c’est le patron des causes désespérées. François Hollande devrait l’implorer. En effet, à peine élu, le nouveau Président se trouve confronté à deux défis majeurs : la dette publique et la récession. Pour la dette, nous avions écrit le 19 avril qu’au lendemain matin du second tour, quel que soit l’élu, elle serait toujours vivante. Sauf attitude suicidaire, elle interdit toute dépense supplémentaire au nouvel élu. Mais comment proposer à l’Europe, voire même au monde entier (en toute modestie) une politique de croissance sans passer par les déficits budgétaires ? Et comment renoncer à la démagogie envisagée dans les 100 jours à venir ?
Rigueur ou croissance ?
Le 1er avril, nous nous interrogions : « Face à la récession : relancer ou libérer ? ». La question se pose encore plus fortement aujourd’hui, maintenant que la nouvelle équipe se met en place. Dans les tout prochains jours, la crise de la dette dominera toutes les décisions, d’autant plus que les Grecs refusent toute « austérité » et pourraient être abandonnés par les pays qui tiennent à « sauver l’euro ».
Dans ces conditions, il va falloir tout de suite oublier les promesses de folles dépenses. Plus vite on s’attaquera à la réduction de la dette, mieux le pays s’en portera ; au contraire dépenser davantage serait lancer la France sur la voie grecque ou espagnole.
Mais d’un autre côté, la menace de la récession, qui s’est précisée depuis quelques semaines, avec son cortège de chômeurs et de privations, n’est pas de nature à remplir les caisses de notre Trésor public. Une politique libérale résoudrait le dilemme : diminuer les impôts et réduire le périmètre de l’État, restaurer ainsi la confiance, seule source de relance. Mais évidemment quand on est prisonnier du keynésianisme qui propose la dépense publique et du socialisme qui veut faire payer les riches, on est dans une impasse. Le Président en est là.
Relance budgétaire ?
Le keynésianisme amène nos élus de tous bords à confondre croissance et relance. Tout le monde veut plus de croissance, les Italiens comme les Allemands, les Espagnols comme la BCE et François Hollande encore plus. Mais comment faire ? Mario Draghi a proposé un « pacte de croissance », formule magique qui a réjoui les deux finalistes. Qui serait contre la croissance ? Mais comme la Nouvelle lettre l’a expliqué en commentant la proposition du président de la BCE, « le problème est de savoir comment on obtient la croissance : elle ne se décrète pas, elle n’est pas entre les mains du pouvoir politique ».
Elevés à l’ENA dans le dogme keynésien, nos politiques, François Hollande en tête, pensent que la croissance s’obtient par la relance : l’État, « garant de l’intérêt général », donne le coup de pouce pour remettre la machine en route. De Roosevelt à aujourd’hui, les faits ont toujours démenti cette affirmation, car la relance consiste à augmenter les dépenses publiques et à faire exploser le déficit et la dette (relance budgétaire), donc à distribuer des richesses qui n’existent pas : comme si la dépense publique avait des vertus magiques et créait de l’activité, grâce à la main (trop visible) de l’État.
En distribuant des largesses publiques, on obtient de l’inflation ; François Mitterrand et la gauche l’avaient appris à leur détriment en 1981, et cela s’était terminé par trois dévaluations, des déficits explosifs et le tournant brutal de la rigueur. Voulons-nous renouveler l’expérience ? Elle serait pire, car Mitterrand partait d’un budget ramené presque à l’équilibre par Raymond Barre tandis que Hollande part d’un déficit abyssal et d’une dette faramineuse. Relançons les dépenses publiques et nous serons à l’automne dans la situation de la Grèce ; sauf que personne en Europe ou ailleurs ne sera assez puissant pour nous sauver.
L’État a une chose essentielle à faire : cesser « d’enrayer » l’économie, comme disait Bastiat, autrement dit libérer les énergies, laisser s’exprimer les talents.
La relance monétaire prendrait le relais
Même Mario Draghi, pourtant converti au keynésianisme, en convient : il n’y a « pas de contradiction entre pacte de croissance et pacte budgétaire ». Il faut donc pour lui continuer à réduire les dépenses publiques ; fort bien. Mais le Mario Draghi docteur Jekyll partisan de la règle d’or devient Mister Hyde, quand il renonce à la relance budgétaire pour prôner la relance monétaire. La BCE a déjà distribué plus de 1 000 milliards d’euros aux banques à des taux d’intérêt artificiellement bas. L’inondation monétaire nous menace et elle n’a jamais entrainé la moindre croissance, sauf celle des prix. S’il est dangereux et inefficace de relancer par la politique budgétaire, il l’est autant de relancer par la politique monétaire.
On nous dit que M. Hollande n’est pas laxiste. S’il accroît les dépenses publiques, il contiendra les déficits en augmentant les impôts : faire payer les riches est un slogan qui séduit les électeurs. La tranche d’impôt à 75% (près de 90% en réalité avec la CSG, etc.), est sans équivalent dans le monde et rappelle ce qui avait conduit l’Angleterre au sous-développement dans les années 1970. Il y a longtemps que l’on sait qu’augmenter les impôts conduit à détruire des richesses, donc des revenus et des emplois, réduisant ainsi le rendement de l’impôt. Accroître les impôts n’est qu’une fausse rigueur qui aggrave la récession et les déficits !
L’État doit cesser d’enrayer la croissance
Relancer par le budget ou la monnaie serait donc une grave erreur ; et pourtant, la croissance est indispensable. Mais elle ne se fixe pas par décret. Elle est le fruit des activités de chacun de nous, comme entrepreneur, salarié, épargnant, investisseur, consommateur. Est-ce à dire que l’État soit impuissant ? L’État a une chose essentielle à faire : cesser « d’enrayer » l’économie, comme disait Bastiat, autrement dit libérer les énergies, laisser s’exprimer les talents.
La hausse des impôts représente à ce titre aussi une erreur majeure : quel entrepreneur voudra créer des richesses si l’État lui en reprend l’essentiel ? Quand on dit cela, on est aussitôt accusé d’ultralibéralisme. Baisser les impôts serait un choix idéologique extrême.
En 1891, le sage Léon XIII, qu’on ne peut guère suspecter d’être libertarien, après avoir souligné les avantages de la propriété privée (« L’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application […] Tous voient sans peine les heureux effets de ce redoublement d’activité sur la fécondité de la terre et sur la richesse du pays ») ajoutait aussitôt : « Mais il y a une condition indispensable pour que tous ces avantages deviennent des réalités. Il ne faut pas que la propriété privée soit épuisée par un excès de charges et d’impôts » (Rerum Novarum 36-3 et 36-5).
Voilà le fond du problème : ceux qui nous gouvernent désormais (mais aussi beaucoup de ceux qui nous gouvernaient hier) partent d’une conception imaginaire de l’homme dont ils ne comprennent ni la nature ni le comportement. Or les institutions doivent tenir compte de l’homme tel qu’il est et donc permettre à chacun de laisser éclore ses talents et de montrer sa créativité. La croissance ne s’obtient pas par une illusoire relance, mais par un retour à la liberté : moins d’État, c’est la prospérité retrouvée et la réduction de la dette. Est-ce ce chemin de liberté que va prendre le nouvel élu ? Ce serait une conversion miraculeuse, que rien ne semble annoncer. On peut croire aux miracles ; je conseille donc de prier Saint Expédit, avec dévotion.
*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.