Vu de Pologne, le sommet de l’OTAN des 8 et 9 juillet à Varsovie a été extrêmement positif.

Pour la Pologne, le sommet de l’OTAN des 8 et 9 juillet à Varsovie marque une avancée majeure pour la sécurité de la région. Si la patrie de Lech Walesa et Jean-Paul II a rejoint l’Alliance atlantique en 1999 avec la République tchèque et la Hongrie, elle se considérait toujours menacée par la Russie et doutait, comme les pays baltes, de la réaction de ses alliés à une éventuelle attaque russe. Pour Varsovie, le seul moyen de garantir la paix dans la région et de dissuader la Russie de toute agression contre les pays baltes ou contre un des anciens pays satellites de l’URSS, c’est de convaincre Moscou qu’une attaque contre un État membre de l’OTAN serait une attaque contre l’ensemble de l’Alliance. Car si avec le troisième budget militaire du monde (après les États-Unis et la Chine) la Russie est un géant militaire face aux pays du flanc oriental de l’Alliance atlantique, elle ne ferait clairement pas le poids face à une défense collective et surtout face à un engagement américain.

Parmi les pays de la région, la Roumanie est sur la même ligne atlantiste que la Pologne et les trois républiques baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), tandis que Tchéquie, Slovaquie, Hongrie et Bulgarie, tout en étant membres de l’OTAN et favorables à un renforcement des moyens de défense collective dans la région, sont sur une ligne moins hostile à la Russie.

Avant la crise ukrainienne qui a débouché sur l’annexion de la Crimée par la Russie et le soutien russe aux soulèvements séparatistes de l’est de l’Ukraine, les ex-pays de l’Est n’avaient pas de troupes de l’OTAN sur leur sol en vertu d’un accord de 1997 entre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et la Russie, qui stipulait que l’OTAN n’aurait pas de bases permanentes sur le territoire des nouveaux pays membres. Depuis la crise ukrainienne, l’OTAN a toutefois multiplié les manœuvres militaires afin de maintenir une présence militaire destinée à rassurer les États de la région et à montrer à la Russie que l’organisation réagirait en cas, par exemple, de guerre « hybride » dans les pays baltes dans le style de la guerre menée par la Russie dans le Donbass ukrainien. Décrits par les médias russes et russophiles comme des provocations, ces manœuvres, et notamment les grandes manœuvres Anaconda 2016 conduites en juin 2016, ne faisaient en réalité que répondre aux grandes manœuvres Zapad (Ouest) conduites par la Russie et la Biélorussie près des frontières baltes et polonaises en 2009 et 2013. En 2013, 22 000 militaires y ont officiellement pris part. Le scénario de ces manœuvres parlait d’une réaction à un conflit ethnico-religieux (en 2009 il s’agissait déjà d’un scénario de soulèvement de la minorité polonaise en Biélorussie) et à un risque d’attaque terroriste. Des sources baltes, suédoises et polonaises ont toutefois affirmé qu’en réalité, si l’on tenait compte d’autres manœuvres menées simultanément de manière coordonnées par la Russie, plus de 70 000 soldats ont alors pris part à un exercice offensif comprenant une simulation d’attaque nucléaire contre Varsovie.

Outres les unités déployées dans le cadre d’exercices, les États-Unis ont désormais une des bases de la défense antimissile balistique de l’OTAN en Roumanie alors qu’une autre base de ce système est en chantier en Pologne. Contrairement à ce qu’affirment les médias russes et russophiles, cette défense antimissile est destinée à défendre l’Europe (y compris la France) et l’Amérique du Nord contre des tirs de missile isolés en provenance de pays à risques du Moyen-Orient et elle ne pourrait en aucun cas faire face à une attaque nucléaire massive dont serait capable la Russie. Elle ne porte donc pas atteinte à la force de dissuasion russe. Au sommet de l’OTAN des 8 et 9 juillet il a été décidé de mettre la base antimissile américaine en Roumanie sous commandement de l’OTAN.

Mais surtout, le sommet de l’OTAN de vendredi et samedi a constitué un pas supplémentaire majeur vers une présence permanente de troupes de l’OTAN en Pologne et dans les ex-pays de l’Est. Il a en effet officialisé la décision déjà annoncée d’assurer une présence permanente garantissant l’implication de l’OTAN en cas d’attaque russe. La taille très réduite des forces déployées fait qu’elles ne représentent pas une menace contre la Russie mais leur simple déploiement est perçu par les pays de la région comme la meilleure garantie d’une défense collective et comme un élément de dissuasion face à la Russie.

Dans le détail, il s’agira de déployer dès l’année prochaine quatre bataillons plurinationaux de mille hommes chacun en Pologne, Lituanie, Lettonie et Estonie. Des « nations-cadres » seront responsables de la présence de l’Alliance dans chacun de ces quatre pays : les États-Unis en Pologne, l’Allemagne en Lituanie, le Canada en Lettonie et le Royaume-Uni en Estonie. En ce qui concerne la France, elle déploiera en 2017 cent cinquante hommes en Estonie aux côtés des 500 Britanniques, avant de les redéployer aux côtés des Allemands en Lituanie l’année suivante.

Ces quatre bataillons viennent s’ajouter à la brigade blindée américaine dont le déploiement prochain en Europe centrale avait été annoncé le 30 mars dernier par Washington. Cette brigade blindée contera quelque 4500 militaires avec environ 250 chars de combat, des véhicules de combat d’infanterie Bradley et des canons automoteurs Paladin. C’est plus que le simple stockage sur place de dépôts d’armes servant jusqu’ici aux forces envoyées de manière rotationnelle et qui seront redéployés en Allemagne, Belgique et Hollande. La brigade blindée annoncée, qui sera déployée début 2017, aura comme les bataillons plurinationaux une rotation régulière, mais de manière à assurer une présence ininterrompue d’une brigade entière, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici. Ce sera aussi un retour en Europe des chars de combat américains dont les derniers exemplaires avaient quitté le continent en avril 2013. La rotation des forces est un moyen de contourner l’accord OTAN-Russie de 1997 qui interdit la présence de forces permanentes de l’OTAN dans les pays anciennement occupés par la Russie soviétique. À noter que si des pays comme l’Allemagne et les États-Unis considèrent que cet accord de 1997 s’applique encore (même s’il est « contourné »), la Pologne milite pour qu’il soit considéré comme caduc dans la mesure où la Russie, en annexant la Crimée en 2014, a elle-même violé un autre accord international par lequel elle avait garanti en 1994 l’intégralité territoriale de l’Ukraine en échange de l’abandon par ce pays, au profit de la Russie, des arsenaux nucléaires hérités de l’URSS (en vertu du mémorandum de Budapest, l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières de 1994 étaient garanties par la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France).

Lors du sommet de l’OTAN à Varsovie, le président américain Barack Obama a aussi annoncé que le commandement de la brigade blindée américaine serait localisé en Pologne. Une brigade plurinationale sera en outre déployée en Roumanie et en Bulgarie, et la présence navale de l’OTAN sera renforcée en mer Baltique et en mer Noire.

Pour l’OTAN, il ne s’agit pas d’isoler la Russie mais de lui adresser un signal clair tout en rassurant les États du flanc oriental de l’Alliance. C’est le sens des propos tenus par des personnalités aussi diverses que le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg et le premier ministre hongrois Viktor Orbán. Pour Varsovie, la dimension historique tient aussi au fait que pour la première fois depuis la chute de l’empire soviétique les décisions de l’OTAN concernant les ex-pays de l’Est ont été prises sans demander l’avis du Kremlin. Parallèlement, les discussions avec Moscou se poursuivent puisqu’un sommet Russie-OTAN est prévu pour le 13 juillet.

La Pologne, satisfaite des décisions prises pour le flanc oriental de l’Alliance, avait annoncé quelques semaines avant le sommet de Varsovie son intention de participer à la défense du flanc sud et notamment à la lutte contre l’État islamique en détachant en Irak et au Koweït 200 hommes et quatre avions F-16 pour des missions d’observation et d’entraînement des unités irakiennes. Varsovie souhaite aussi intensifier son effort militaire pour ne pas avoir à compter que sur ses alliés, en se fixant comme objectif de faire passer son investissement dans la défense de moins de 2 % du PIB aujourd’hui à 2 % à court terme puis à 3 % dans le long terme. A titre de comparaison, la Russie, qui a une économie valant environ quatre fois celle de la Pologne, consacre près de 4,5 % de son PIB à son outil militaire.

Rencontre entre le président polonais Andrzej Duda et le président Roumain Klaus Iohannis en clôture du sommet de l'OTAN à Varsovie
Rencontre entre le président polonais Andrzej Duda et le président roumain Klaus Iohannis en clôture du sommet de l’OTAN à Varsovie (source : ministère des Affaires étrangères polonais)

 

(Article publié le 13/07/2016 sur le site Visegrád Post)

 

Du même auteur :

La volte-face atlantiste du premier ministre polonais Donald Tusk (mars 2014)

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12 Comments

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  • Pacific , 13 juillet 2016 @ 17 h 48 min

    Ils servent d’idiots utiles aux USA car l’invasion actuelle ne vient pas de la Russie mais bien des pays islamistes, alliés des États-Unis.
    En outre, le « mondialisme néolibéral » dont les dirigeants américains sont la figure de proue est incompatible avec la société chrétienne que défendent ces pays.

  • V_Parlier , 13 juillet 2016 @ 21 h 47 min

    On dirait presque un article dans Le Monde…

  • V_Parlier , 13 juillet 2016 @ 22 h 13 min

    Et on nous a même ressorti “le soutien russe aux soulèvements séparatistes de l’est de l’Ukraine”
    D’autres préfèrent soutenir des putschistes pro-OTAN pas plus légitimes. Le problème c’est qu’en plus ils n’admettent pas que c’est tout à fait normal que les Russes soutiennent le camp adverse. Rien que ça, ça donne envie de leur donner des claques…

  • Tolosan , 13 juillet 2016 @ 23 h 22 min

    Encore un papier qui nous explique que la Russie menace toute l’Europe de l’Est parce que la Crimée a rejoint la Russie qui par ailleurs a vraisemblablement soutenu les séparatistes du Donbass. Mais il faudrait commencer à comprendre que tous ces gens en Crimée ou dans le Donbass, sont russophones, russophiles (comme l’ont montré tous les votes en Ukraine antérieurs à la révolution du Maïdan) et que la Crimée a voté son rattachement à la Russie par référendum à une écrasante majorité. Il n’y a eu aucune invasion russe. Au contraire les russes ont été accueillis à bras ouverts! Aujourd’hui, on peut voyager en Crimée et ce n’est pas un pays à feu et à sang. Pourquoi le référendum au Kosovo organisé par les pays qui ont bombardé et détruit la Serbie serait-il valide et pas celui en Crimée ?
    Quant à l’invasion de la Pologne par la Russie, franchement, on n’est pas loin de la névrose psychiatrique! Qu’est-ce que les russes iraient bien faire en Pologne ? Il faut bien dire la vérité: La Pologne ne représente pas un enjeux stratégique! Soyons réalistes! Elle n’a pas de pétrole, pas de ressources minières en uranium, titane, ni de grands complexes industriels… et les polonais haïssent les russes. Alors vraiment, quel intérêt pour les russes à envahir la Pologne et devoir affronter une guérilla urbaine, des partisans… etc…. Ils ont tellement mieux à faire à développer la Sibérie et dans l’Union Eurasiatique… Comme cela a déjà été écrit dans un commentaire: les polonais sont justes les idiots utiles des américains, juste un pion qu’ils manipulent, mais ils sont tellement anti-russes qu’ils ne comprennent rien.

  • maurice , 14 juillet 2016 @ 8 h 13 min

    une excellente analyse du sommet atlantiste:
    http://www.les-crises.fr/communique-du-sommet-de-varsovie-de-lotan/
    le mot Russie apparait plus de 50 fois le mot Chine 0
    toute cette mafia d’atlantistes est le plus grand péril pour l’avenir de l’humanité

  • Marie Genko , 14 juillet 2016 @ 10 h 12 min

    @Olivier Bault,
    Cher Monsieur,
    Les messages ci-dessus de Pacific, V_Parlier et Tolosan vous répondent avec des arguments pertinents.

    J’aimerais faire appel à votre conscience, à l’amour que vous portez à votre famille, pour essayer de vous faire comprendre que chaque peuple aspire à la paix et aux bonnes relations avec autrui.
    Pour le chrétien, qu’il soit Catholique ou Orthodoxe, l’heure est venue de rassembler et non de diviser.

    Faire miroiter une agression est déjà une déclaration de guerre!
    Alors que voulez-vous, vous Olivier Bault, prendre le risque d’une Europe remise à feu et à sang?
    Le risque d’une guerre nucléaire?
    Et tout cela pour quoi?
    Pour faire triompher la nouvelle idéologie portée par l’Occident, celle du Gender et de l’ABC de l’égalité enseignés dans nos écoles, celle des mariages entre couples du même sexe?

    Ou bien plutôt pour agenouiller les Russes et les forcer à partager les ressources de leur immense territoire ?

    Visiblement les 27 millions de vies humaines sacrifiées par l’Union Soviétique pour combattre l’idéologie Nazie durant la deuxième guerre mondiale n’ont pas suffit ! Il faut en remettre un couche et sacrifier à nouveau quelques centaines de millions d’Européens à la nouvelle volonté hégémonique d’un Occident soumis aux USA !

    L’Occident n’imposera pas sa nouvelle idéologie à la Russie, tout comme les peuples d’Europe finiront par la secouer eux aussi.

    Car je suis convaincue que si le peuple russe veut lui aussi la Paix, il ne lui sacrifiera pas son identité, sa culture et sa Foi.

  • hermeneias , 14 juillet 2016 @ 10 h 13 min

    Ces pauvres polonais n’arrivent pas à s’affranchir d’un Walesa et d’un certain néo-pseudo-catholicisme “bon teint” qui a fait ALLEGEANCE au mondialisme et à toutes ses “institutions” . J.Paul 2 lui même , qui à l’instar d’un SOLJENYTSINE avait critiqué ET le communisme ET le libéralisme matérialiste occidental ( autre facette d’une même idéologie ) et qui avait écrit “Mémoire et identité” , a fini par sombrer , à la fin d’une trop longue papauté , dans les marécages du politiquement correct , cette sorte de pseudo-morale officielle confectionnée sur mesure par les sabordeurs de la morale véritable et promoteurs du relativisme …..

    Et avec le pape actuel c’est pire ! Les polonais catholiques “bon teint” ne doivent plus savoir à quels saints se vouer ….Si ils cherchent des “saints” auxquels se vouer du côté des USA d’obHamaSS ( l’islamophile ) et de l’OTAN …ils sont vraiment mal barrés !

    Quant à la défense du “flanc Sud” de l’Alliance et à la “lutte” ( laquelle ??!! ) contre un “état islamique” qui n’est pas un Etat et contre lequel on ne lutte qu’en paroles et effets de manches …. C’est une plaisanterie ! C’est pour donner le change et essayer de faire oublier tout ce qui précède et la petite , minable , stratégie américaine obamahométane de raviver une guerre froide pour des raisons inavouées et évidentes , idéologiques et cyniques .

    Je ne pensais pas que ce gouvernement polonais actuel était aussi lamentable et stupide . J’aurais espéré , après le BREXIT , qu’il soit sur une ligne proche de la Hongrie et autres pays d’Europe de l’Est affirmant leur spécificités , leur identité , face à une UE-USA-ONU de plus en plus tyrannique et “impériale” alors que se fait sentir et se manifeste le REVEIL DES PEUPLES .

    Sans doute ces polonais , qui vont bientôt accueillir le “pape” , enfin le “François” qui en tient lieu , essayent-ils , et ce long article en est l’expression , de se justifier ! Le journal Présent , en passant , ne sait pas trop où il habite entre un catholicisme bon teint gnan-gnan qui voudrait mais n’ose pas dire ce qu’il pense du pape actuel et un “loyalisme” obtus à l’égard de la direction actuelle du néofn ( pourtant pas très catholique )….Cherchez l’erreur !

    Heureusement TRUMP a dit qu’il allait arrêter la folle course en avant d’un nobHamaSS qui essaye de faire diversion pour faire oublier ses échecs retentissants , sa politique désastreuse et cynique menée délibérément au proche et moyen Orient , en Afrique , en Asie ….notamment face à l’islamisme et à l’islamisation migratoire et démographique .

    Donc merci Olivier B pour ce bon article bien édifiant …. Comme disait un copain dubitatif , “faut voir” !

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