La crise et la mondialisation n’expliquent pas la situation actuelle de l’économie française. Le mal français est celui des charges sociales (coûts de la Sécu), du Code du Travail, de la fiscalité et des dépenses publiques. C’est le modèle social français qui plombe notre économie. Le président-candidat promet-il une vraie rupture ? Voici la réponse de l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) à la Lettre aux Français de Nicolas Sarkozy :
Monsieur le Président,
Nous avons bien reçu votre Lettre et nous vous en remercions. Nous partageons effectivement le sentiment qu’il est important de préciser la direction que vous allez suivre si vous êtes réélu. Une « mise au point » est toujours nécessaire.
Néanmoins, nous avons choisi de vous répondre car nous pensons que vous partez d’une analyse erronée, et que la plupart de vos propositions ne correspondent pas aux besoins de la France d’aujourd’hui. Bien entendu, nous nous limiterons à vos propositions économiques et fiscales, car nos réponses s’appuient sur les résultats de nos recherches.
Votre constat est erroné : le modèle social français ne nous a pas protégés
Vous l’écrivez et l’affirmez plusieurs fois : le modèle social français nous aurait protégés pendant la crise. Non seulement, cette affirmation est fausse mais pire encore le modèle social français est le principal ennemi de notre développement économique.
Depuis 30 ans, la France bat des records de chômage. Aujourd’hui encore, la France a l’un des taux (9.8 %) les plus élevés en Europe, notamment pour les jeunes et les chômeurs de longue durée (avec un taux qui atteint les 24 %). Depuis 2007, le taux de chômage a augmenté d’environ 20% et le taux d’emploi n’a cessé de baisser. Sur les 34 membres de l’OCDE, seuls 6 affichent un taux supérieur à celui de la France. A l’opposé, le taux de chômage en Allemagne est au plus bas depuis 20 ans : 6.4 %. Le Canada, la Grande-Bretagne et les pays nordiques ont un chômage moins élevé qu’en France, et les Pays-Bas connaissent le plein emploi.
Vous affirmez aussi que la France n’a pas connu de récession depuis le début de 2009. C’est vrai, mais cela a aussi été le cas en Allemagne, aux Pays-Bas, au Canada, en Suède, en Norvège… La croissance a d’ailleurs été positive en moyenne dans 25 pays membres de l’OCDE. Mais depuis environ 30 ans, la France connaît un taux de croissance moins élevé que le taux de croissance moyen des autres pays européens. Avons-nous bénéficié de la protection de notre modèle social ?
Nous avions cru en 2007 que vous vouliez réformer, voire changer complètement ce modèle. A L’IREF nous considérons que le modèle social est le pire ennemi de la France, celui qui nous a assuré le « chômage durable ». Mieux vaut s’en débarrasser.
La mondialisation n’est pas coupable
Vous pensez que l’Europe devait nous protéger, et vous lui reprochez d’avoir au contraire « aggravé notre exposition à la mondialisation » et vous affirmez que la France doit aussi se défendre. Mais ce n’est pas la doctrine des autres pays européens, qui ont largement profité de l’ouverture économique mondiale.
En regardant attentivement les données statistiques, on s’aperçoit que les malheurs de la France sont plus anciens, bien avant la vague de la mondialisation. Depuis le début des années 1980 et l’apparition des premiers signes de la mondialisation, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, la Suisse, l’Allemagne ou les Pays-Bas ont affiché durant cette période un taux de chômage souvent deux fois inférieur au nôtre. Et ces pays sont bien plus mondialisés que le nôtre : les échanges internationaux représentent 130 % du PIB pour les Pays-Bas, 90 % pour la Suisse, 60 % pour l’Allemagne et… 40 % pour la France.
L’INSEE avait publié en 2006 une étude qui montrait que sur la période 1995-2001, les délocalisations n’auraient touché qu’un nombre très limité d’emplois dans l’industrie française. En moyenne, 13 500 emplois auraient été délocalisés chaque année, soit 0,35 % de l’emploi industriel. Et le paradoxe c’est que nos grandes entreprises se sont, pour la plupart, adaptées à la mondialisation. Elles investissent un peu partout dans le monde et créent des emplois. Si elles préfèrent délocaliser c’est parce que le coût du travail est extrêmement élevé en France. Il faut réformer le droit du travail – le principal ennemi de l’emploi en France – et baisser le coût du travail, notamment en mettant fin au monopole de la Sécurité Sociale en matière d’assurance maladie et de retraites. Nous aurons alors des milliers d’emplois créés ici aussi. Les ouvriers allemands ou néerlandais ne sont pas moins protégés que leurs homologues français ; néanmoins, dans ces pays largement ouverts à la mondialisation on approche le plein emploi !
Contrairement à ce que vous écrivez, la mondialisation n’est pas « inégale pour les peuples occidentaux, inhumaine pour les peuples émergents et destructrice pour la planète ». Depuis 1990, le nombre de pays dans le monde ayant choisi le système capitaliste et le libre échange n’a cessé d’augmenter et leur niveau de vie est en constante évolution. Nous n’avons jamais été en aussi bonne santé, et la pauvreté dans le monde n’a jamais autant reculé depuis les débuts de la mondialisation. Ce qui est inhumain pour les peuples ce sont les mauvaises politiques économiques et les États destructeurs.
Oui à la baisse des charges et à la flexibilité et non au traitement social du chômage
Vous avez raison d’écrire qu’« il est faux de penser que le travail est rare. Jamais il n‘y a eu autant de travail dans le monde ». Et vous faites plusieurs propositions concernant l’exonération des charges patronales pour l’embauche des chômeurs de plus de 55 ans et d’un jeune de moins de 25 ans d’outre-mer. Pourquoi continuez-vous à appliquer des remèdes sociaux au chômage ? Tous vos prédécesseurs – y compris de gauche – l’ont fait avec les résultats que l’on connaît. C’est l’échec complet. Allez plutôt chercher du côté de la flexibilité du marché du travail et du coût prohibitif de la protection sociale. C’est ce qu’a fait Gerhard Schröder en Allemagne avec les lois Hartz et c’est ce que sont en train de faire les Premiers ministres Monti en Italie et Rajoy en Espagne.
Oui, il faut adapter notre fiscalité mais en baissant les impôts
Vous avez raison : « Il faut adapter notre fiscalité pour protéger nos emplois industriels ». Pourquoi industriels seulement ? La France peut être compétitive dans le domaine des services (marchands), qui représentent aujourd’hui 70 % des échanges internationaux.
Mais ce n’est pas en créant de nouveaux impôts (sur les bénéfices minimums pour les grands groupes ou sur les exilés fiscaux) mais en réduisant justement la pression fiscale. Nous allons atteindre un taux de 47 % de prélèvements obligatoires par rapport au PIB. Un record dans le monde ! Dans cette situation, la bataille économique est perdue d’avance pour la France. Partout dans le monde la tendance est à la baisse des impôts. C’est bien le cas en Grande-Bretagne où le Premier ministre David Cameron a annoncé la baisse du taux marginal sur la plus haute tranche de revenus (plus de 150 000 £/an) de 50 à 45 % et la baisse du taux maximal (bouclier fiscal) de l’imposition de 45 à 40 %. En même temps, George Osborne, le chancelier de l’Echiquier, confirme une diminution de l’impôt sur les sociétés de 26 à 22 % d’ici à 2014. Ces réductions d’impôts seront compensées par la baisse des prestations sociales.
Où est passée la baisse des dépenses publiques ?
Vous préconisez « le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans les grosses collectivités territoriales ». Est-ce suffisant, alors que les dépenses publiques atteignent 56,6 % du PIB – ce qui nous classe en deuxième position parmi les 34 pays membres de l’OCDE ! La France dépense 150 milliards d’euros de plus par an que l’Allemagne et 116 Milliards de plus (en moyenne) que les autres membres de l’OCDE. Vos propositions sont largement insuffisantes. D’autres pays (Grande-Bretagne, Italie, Espagne) suppriment des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, baissent leurs salaires et réduisent drastiquement les budgets des ministères. Pourquoi ne pas le faire en France aussi où l’État est encore plus obèse qu’ailleurs ?
Rupture ?
Monsieur le Président, les Français vous ont élu en 2007 car vous aviez promis la « rupture » et les réformes nécessaires pour redresser l’économie. Ils ont attendu en vain pendant cinq ans. Aujourd’hui, la Lettre que vous venez d’envoyer, même si elle tranche sur de nombreux points avec les autres candidats aux présidentielles, est encore loin du compte. Vos électeurs vont-ils vous accorder un nouveau mandat au vu de ce programme illisible, où se mêlent quelques traits réalistes avec des discours populistes et des mesures dirigistes ? Vous avez encore quelques jours pour vous situer clairement du côté de la réforme, et nous parler de cette rupture tant promise, tant attendue, et tant absente à ce jour.
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