par Philippe Herlin*
Une actualité chasse l’autre et déjà on parle beaucoup moins de Chypre dans les médias. On cherche même à nous faire croire que le gros de la crise est passé parce qu’il n’y a pas eu de bank run lors de la réouverture des banques. Évidemment, puisque les restrictions sont maintenues ! Pas la peine de courir à sa banque si les retraits restent de toute façon limités à 300 euros par jour et par personne ! Le bank run est simplement remis à plus tard, car bien sûr, de nombreux investisseurs veulent quitter définitivement l’île.
La confusion ne fait même que s’accroître sur place puisque la taxe sur les comptes de plus de 100 000 euros pourrait atteindre 60% ! En fait on ne sait même pas, il faut attendre, la banque centrale ayant indiqué que la décision finale serait prise “dans pas plus de 90 jours après la fin de l’évaluation”… Et le solde ne sera pas à la disposition de l’épargnant, il sera placé sur un compte bloqué pendant six mois pour les empêcher de retirer leur argent. Mais en fait on ne sait pas vraiment car de nombreuses entreprises locales ne survivraient pas à de telles dispositions.
Dans le même temps on apprend que de nombreux Chypriotes bien informés ont sorti leur argent dans les jours qui ont précédé la crise (mais le Président de la république garantit une enquête exemplaire, on est rassuré), et que les clients de la filiale britannique de la banque chypriote Laïki, dont les comptes ont été transférés chez sa concurrente Bank of Cyprus, ne seront pas touchés. Les Russes sont tous des évadés fiscaux, les Anglais sont tous d’honnêtes retraités, bien sûr.
Mais il y a surtout une idée que les autorités européennes et les médias ont instillé dans l’esprit des Européens et à laquelle il faut faire un sort, c’est la garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros. A Chypre, effectivement, ceux-ci ne seront pas touchés. Pour quelle raison ? Parce que l’Europe et le FMI ont apporté 10 milliards d’euros ! Les besoins de l’île se montent à 17 milliards, il lui faut donc trouver 7 milliards, d’où la taxe sur les “gros” comptes, mais sans ces 10 milliards, tous les comptes auraient subi une ponction.
Si une crise bancaire d’une ampleur équivalente se produisait, par exemple, en Espagne, ce ne sont pas 10 milliards qu’il faudrait mettre sur la table mais plusieurs centaines. Autrement dit, une somme impossible à réunir. Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a parlé de “modèle” à propos de la restructuration de Chypre. Le “modèle”, en l’occurrence, c’est le financement des pertes bancaires par les déposants, pas la garantie des dépôts de moins de 100 000 euros ! D’ailleurs, on le rappelle, dans la première version du plan de restructuration, ceux-ci subissait une ponction de 6,75%.
Ce serait une lourde erreur, pour l’épargnant, de s’accrocher à ce chiffre de 100 000 euros et de se croire à l’abri.
*Philippe Herlin est chercheur en finance. Il est l’auteur de France, la faillite ? Les scénarios de crise de la dette.
[Cette tribune a initialement été publiée par Goldbroker.com]
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