Tribune libre de Christian Vanneste*
Triste journée pour l’Europe que vendredi dernier. Battue 2-0 par le Royaume-Uni. Il y a d’abord eu le but de Cameron contre le gardien Hollande. Le premier voulait un rabais sur le budget européen. Il l’a eu. Le second sautait comme un cabri en disant : croissance, croissance, croissance. Les dépenses de recherche et de grandes infrastructures seront en berne. C’est un succès politique pour le leader conservateur et un échec pour le Président français. C’est surtout une nouvelle illustration de l’impasse européenne. Un de ces ballets inutiles et coûteux qui réunissent ses dirigeants s’achève. La seule bonne nouvelle est que les myriades de fonctionnaires superflus et hors de prix qui en règlent la chorégraphie devront se serrer un peu la ceinture. Pour le reste, on se demande où est passée la subsidiarité. Certes, la réduction de l’enveloppe consacrée à l’aide alimentaire émeut les âmes sensibles, mais est-ce à l’Europe d’intervenir dans un domaine qui relève à l’évidence de la solidarité de proximité, nationale, et même locale ? Plus grave est le recul sur la recherche et les grandes infrastructures. C’est à nouveau le renoncement lamentable à la stratégie de Lisbonne. C’est aussi l’affaiblissement des ambitions européennes de faire de notre continent un acteur dynamique, un concurrent sérieux au plan mondial. C’est encore le consentement de l’Europe à n’être qu’un marché ouvert, à la monnaie trop forte. L’euro est un boulet plus qu’un atout, alors qu’il aurait dû et pu être un levier pour des finances nationales plus saines et une économie européenne plus combative.
Par ailleurs, les anglais ont aussi marqué un penalty. L’horreur absolue : dans un pays où on donnerait un royaume pour un cheval, des barbares ont importé, de la perfide Europe, de la viande de cheval camouflée en « beef » et ont osé en empoisonner les estomacs britanniques. Pris la main dans le sac, l’importateur fait, volontairement ou non, trois aveux. Le premier révèle l’opacité des circuits transfrontaliers : une marque suédoise commercialise un produit qu’une entreprise française conditionne au Luxembourg à partir d’une matière première roumaine. Le second souligne,une fois encore, que certains pays sont entrés en Europe avec des pratiques, si on ose dire pour la région du continent particulièrement visée, peu orthodoxes. Le troisième indique que la forêt règlementaire européenne et la superposition des agences nationales et communautaires, toutes pourvues en fonctionnaires et spécialistes compétents et bien rémunérés, sont des écrans faussement rassurants et pas vraiment protecteurs. Avec ce qui se passe chez nous pour les médicaments, on commençait à s’en douter. Pour être tout à fait honnête, ce scandale dénonce d’ailleurs davantage la vision anglaise de l’Europe que celle de ses Pères fondateurs : un grand marché de libre-échange sans cesse élargi plutôt qu’une Europe construite solidement sur une base plus restreinte dont les fondations peuvent être approfondies. C’est l’absence de choix clair entre ces deux options qui crée l’impasse actuelle.
“Il serait difficilement compréhensible que l’Europe augmente des dépenses dont les effets sont si peu visibles, quand tous les pays sont contraints à une rigueur d’autant plus forte qu’elle a été tardivement décidée.”
Les quatre principaux groupes du Parlement européen ont clamé leur désaccord et promis un vote négatif. Étant donné l’éloignement de ces députés par rapport à leurs électeurs, et leur dépendance à l’égard de leurs gouvernements respectifs, il est probable que cette protestation perdra de sa vigueur avec le temps. Il serait difficilement compréhensible que l’Europe augmente des dépenses dont les effets sont si peu visibles, quand tous les pays sont contraints à une rigueur d’autant plus forte qu’elle a été tardivement décidée. Toutefois, comme l’a justement remarqué François Hollande, il est de plus en plus clair qu’il n’y a pas de politique européenne. Le « compromis équilibré » est l’habillage diplomatique d’une addition de politiques nationales, à court terme, celui des échéances électorales internes, et à plus long terme, celui de l’intérêt national, plus ou moins clairement exprimé. « I want my money back », avait dit Maggie. Cameron est sur la même ligne, et Hollande, à deux pas de Waterloo, s’est incliné comme Mitterrand avait, en 1984, dit adieu, à Fontainebleau, aux espérances françaises. D’une manière moins affirmée, l’Allemagne défend néanmoins ses intérêts. Seul grand pays dont la monnaie serait plus forte que l’euro, si elle avait subsisté, avec un taux d’emprunt avantageux, elle a évidemment intérêt à ce que le système perdure, quitte à renflouer ses clients débiteurs. La libre circulation des personnes à partir de l’Europe du sud va lui apporter trois avantages : une immigration salutaire pour une démographie en chute libre ; des immigrés européens ; une pression à la baisse sur des salaires qui sont devenus un élément de la compétitivité allemande. Comme d’habitude, la France, auréolée de sa victoire africaine, joue en demi-teinte sur le terrain de l’Europe et de la politique économique. On tente un modeste cocorico : la Politique Agricole Commune est sauvée. Il n’aurait plus manqué que le seul avantage français tiré de la politique européennne fût perdu ! En 1966, on était parvenu à un autre compromis, celui de Luxembourg, arraché par la France du Général De Gaulle, à une époque où les performances économiques de notre pays lui permettaient de donner des leçons aux autres. Comme l’a montré le compromis d’hier, les intérêts nationaux chers au Général ne sont pas morts. Le réalisme devrait nous conduire non pas à nous battre sur le marché européen pour les défendre et éviter qu’ils soient par trop rognés, mais à faire en sorte que les intérêts des nations européennes soient défendus avec succés dans le monde. C’était ce que De Gaulle appelait l’Europe des patries.
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
5 Comments
Comments are closed.