Tribune libre de Christian Vanneste*
Les députés français, à une très large majorité, ont voté ce mardi le Traité de stabilité budgétaire. Le menu proposait de manger deux fois son chapeau puisqu’il s’agissait pour les socialistes d’entériner l’accord signé au mois de mars par 25 États européens, à l’exception du Royaume-Uni et de la République Tchèque et qui est clairement un héritage du Merkozisme. C’est aussi, d’une manière aveuglante, cette fois, le signe que, dans le couple franco-allemand, la France joue le second rôle, sans même le brillant que lui donnait parfois Sarkozy. De Gaulle conduisant Adenauer devant l’autel d’une généreuse réconciliation, c’est fini. Maintenant, c’est Merkel obligeant les Français à être sérieux, s’ils ne veulent pas un jour recevoir la visite d’inspection à laquelle les Grecs ont eu droit. L’obsession monétaire allemande, un long moment troublée par une réunification trop brutale, a repris le dessus, et à force de rigueur interne et de savoir-faire exporté, s’impose à tous.
Fallait-il accepter un texte qui limite notre souveraineté et prive deux fois le peuple de son pouvoir, d’abord parce qu’on ne lui demande pas son avis et qu’ensuite, ses représentants devront désormais rendre des comptes à la technostructure européenne, lorsqu’ils voteront le budget ? Un tel abandon de souveraineté consacre la dérive technocratique de l’Europe : le choc des images entre les révoltes populaires qui se multiplient au sud et les ballets mondains de l’Eurogroupe et du FMI au nord devrait inquiéter davantage. Pour autant, ce mécanisme que l’Europe-fourmi impose à l’Europe-cigale, aurait dû être voulu par tous depuis longtemps puisqu’il consiste à rappeler, même et surtout aux keynésiens, qu’une relance fondée sur un déficit conjoncturel important n’a de sens et n’est possible que si le déficit structurel est le plus faible possible, et permet d’entrevoir des années d’excédents. Lionel Jospin l’avait oublié avec sa cagnotte. Quarante ans de déficit pour le fonctionnement, un service de la dette qui est devenu le premier poste des dépenses de l’État disent assez combien la France appartient aux cigales, surtout lorsqu’on compare sa situation à celle de l’Allemagne, des Pays-Bas ou de la Suède qui ont su faire les efforts nécessaires avant qu’on ne les y oblige. La Règle d’Or est un principe de bons sens que j’ai approuvé en votant l’amendement du Nouveau Centre qui le proposait naguère et que l’UMP refusait. J’aurais préféré qu’elle soit le choix de notre souveraineté, plutôt que la conséquence d’un rappel à l’ordre humiliant et contraignant pour l’avenir.
“On ne fera pas l’Europe sans référendum, comme le Président Hollande l’a fait hier, et le Président Sarkozy avant lui.”
L’Allemagne se porte économiquement bien. C’est le fruit de la rigueur que les Allemands se sont imposés. Leur santé économique dépend en grande partie de la capacité des autres pays européens d’acheter avec un euro qui surévalue leur ancienne monnaie des produits que les Allemands vendent en euros qui sont des marks sous-évalués. L’intérêt de l’Allemagne consiste donc à préserver l’euro, à financer suffisamment ses clients en difficulté pour pérenniser son marché, et à garantir son aide en contraignant ses débiteurs à une cure d’austérité salvatrice. L’évaluation de cette politique demande un regard vers le passé et un autre vers l’avenir. Le rappel des faits est angoissant : une série de décisions politiques pour le moins peu réfléchies, telles que la parité entre les marks de l’ouest et de l’est en Allemagne, ou la fuite en avant à l’américaine dans la relance dépensière par Sarkozy en 2007, la bulle immobilière espagnole ou la croissance folle de la dépense publique à crédit des Grecs doivent faire douter de la qualité de la plupart des dirigeants européens. Leurs décisions communes dont ils confient l’exécution et son contrôle à une Commission d’autant plus arrogante et inefficace qu’elle est plus nombreuse ne sont pas rassurantes : comment a-t-on pu laisser rentrer la Grèce dans l’Euroland avec des chiffres faux et néanmoins mauvais ? Le solde négatif du budget de ce pays était de 7,8% en 1999 et il rentre en 2001 ! Dans les années qui suivent, la hausse des prix atteint 35%. Comment a-t-on pu mélanger politique et économie d’une manière aussi irresponsable ? On ne peut fermer la porte de l’Europe à la mère de la démocratie et de notre civilisation, disait Giscard ! Comment a-t-on pu vouloir élargir et approfondir en même temps, et à la carte ? Au lieu d’un Euroland cohérent restreint à la Communauté d’origine, on a aujourd’hui un ensemble baroque qui comprend des pays qui ne devraient pas y être et d’autres qui le pourraient, mais qui ne l’ont pas voulu comme les pays scandinaves. On a une monnaie, mais qui ne correspond pas à une économie. Si la parité des marks a donné une forte fièvre à l’ex-RDA, mais ne l’a pas tuée, c’est parce que dans un pays dont les habitants ont une conscience nationale et une même langue, on accepte certains sacrifices, y compris celui de se déplacer. C’est pourquoi l’avenir l’Europe paraît bien sombre : elle se trouve face à un dilemme. Soit elle fait le grand saut dans le fédéralisme, avec un budget fédéral important, capable des transferts qui ont lieu aux États-Unis, soit la zone euro éclate. Comment imaginer que la première solution soit mise en œuvre sans consulter les peuples ? Comment croire que ceux-ci l’approuvent alors que l’Europe n’est plus une espérance démocratique mais un étau technocratique qui se resserre chaque jour davantage ? Comment dessiner le paysage européen de l’après-euro ? On peut penser comme Joseph Stiglitz que l’euro serait plus solide…sans l’Allemagne ou que les premiers pays à l’abandonner pourraient se délivrer de la saignée à laquelle ils sont soumis et retrouver ainsi la santé de leur pente naturelle et de leur réalité économique. On peut pencher, comme Christian Saint-Etienne, pour un euro du sud et un euro du nord, mais quelle sera alors la situation de la France qui bénéficie encore de la confiance des marchés alors que ses performances économiques sont douteuses, lorsqu’on les compare à celles de l’Italie, par exemple, et qu’elles demeurent plombées par la surévaluation bloquée du franc par rapport au mark au sein de l’Euro ? Elle risque de perdre sur les deux tableaux, par rapport au nord dont elle aura la monnaie sans la puissance et par rapport au sud qui retrouverait le charme des dévaluations compétitives.
L’Europe meurt de la confusion de ses choix : elle se voulait à l’origine politique et a choisi la voie économique pour y parvenir. Certains considèrent que ce moyen doit être aussi la seule fin. Faute d’avoir réalisé l’union politique, on a alors tenté de construire cette unité sur la base d’une monnaie artificielle ne correspondant à aucune réalité économique nationale. Ce levier est devenu un obstacle et même un repoussoir. Mais il y a plus grave : l’Europe a tourné de plus en plus de dos à la démocratie en négligeant de consulter les peuples dont on craint les réponses. On ne fera pas l’Europe sans référendum, comme le Président Hollande l’a fait hier, et le Président Sarkozy avant lui. Enfin on feint d’ignorer ce qui constitue essentiellement l’Europe, sa civilisation. Le jour où les dirigeants européens ont gommé les valeurs chrétiennes de son héritage, ils ont privé l’Europe de son âme !
*Christian Vanneste est un ancien député UMP du Nord.
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