Si en Pologne-même le conflit autour du Tribunal constitutionnel (TC) s’est quelque peu calmé du fait du départ de son président Andrzej Rzepliński qui avait la fâcheuse habitude de commenter dans les médias les lois adoptées par le parlement dominé par le PiS avant-même leur examen par le TC, la Commission européenne n’a toujours pas baissé les bras. La crise constitutionnelle polonaise à l’origine des critiques européennes contre le gouvernement du PiS avait été provoquée au départ, rappelons-le, par la tentative de la majorité sortante, en violation de la constitution, de nommer à l’avance 5 juges en remplacement de juges dont le mandat devait prendre fin après les élections d’octobre 2015. En 2015, les manigances de la majorité libérale et euro-enthousiaste PO-PSL (dont est issu l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk) n’avait pas attiré les critiques européennes, mais il en est autrement pour les conservateurs du PiS. Certes, la manière dont le PiS a cherché à régler l’affaire à son profit à coup de lois successives (6 en moins d’un an !) n’a sans doute pas été très propre. Ceci dit, la constitution polonaise stipule clairement que c’est le parlement qui détermine l’organisation du Tribunal constitutionnel au moyen d’une loi, ce qui laisse une grande liberté d’action au PiS qui dispose aujourd’hui de la majorité absolue. Pour le vote de la loi régissant l’organisation du Tribunal constitutionnel comme pour la désignation des juges de ce tribunal, la constitution de la Pologne ne requiert en effet pas une majorité qualifiée.
Dans ces conditions il est très curieux de voir le premier vice-président de la Commission européenne « chargé de l’Amélioration de la législation, des Relations interinstitutionnelles, de l’État de droit et de la Charte des droits fondamentaux » prendre clairement parti pour l’opposition libérale polonaise et demander à l’Union européenne de jouer le rôle d’une sorte de Cour suprême de la République de Pologne, qui serait appelée à résoudre le conflit entre le Parlement polonais et une partie des juges du Tribunal constitutionnel, qui est aussi un conflit entre une majorité parlementaire qui avait promis à ses électeurs de réformer la justice et une partie des juges du pays (que la présidente du Tribunal administratif supérieur – NSA – appelait à l’automne « une caste spéciale de gens »), et encore un conflit entre la majorité conservatrice issue des élections du 25 octobre 2015, favorable à un plus grand respect des souverainetés nationales au sein de l’UE, et son opposition libérale-libertaire devenue quasi-fédéraliste.
La situation est d’autant plus absurde que ce premier vice-président de la Commission européenne, qui a décidé en février d’en appeler contre le gouvernement polonais au Conseil de l’Union européenne, c’est-à-dire aux autres États membres de l’Union, en vue d’une éventuelle procédure de sanction, n’est autre que l’ancien ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, un pays qui n’a pas de Cour constitutionnelle et où la majorité parlementaire peut donc tout se permettre. On notera au passage que Frans Timmermans est un Travailliste, et donc de gauche, et qu’il ne comprend pas le polonais et n’a donc pas pu lire la constitution polonaise ni suivre les méandres du conflit dans la langue originale.
Ceci ne l’empêchait pas d’affirmer en octobre 2016 qu’il allait continuer à faire pression sur le gouvernement polonais pour que celui-ci se plie aux desiderata de son opposition. Pas très modeste, le commissaire hollandais affirmait alors agir pour le bien de la société polonaise. Dans un échange tendu à la 53e conférence de Munich sur la sécurité qui se tenait du 17 au 19 février, le ministre des Affaires étrangères polonais Witold Waszczykowski a fait remarquer au Hollandais Frans Timmermans que son gouvernement respectait la constitution polonaise et non pas l’idée que se fait M. Timmermans de cette constitution.
Il faut dire que la Commission européenne a tout fait depuis le début pour alimenter un conflit avec ceux qui ont été portés au pouvoir à l’automne 2015 par le peuple polonais. Car qui s’est-elle choisie en avril 2016 pour diriger la représentation de la Commission auprès de la Pologne ? Marek Prawda, qui avait été remercié deux mois plus tôt par le nouveau gouvernement polonais en tant que chef de la représentation de la Pologne auprès de l’UE, une représentation qu’il avait dirigée sous la majorité précédente. Ce n’était pas seulement administrer un camouflet à un État membre, mais c’était aussi prendre le risque d’avoir à Varsovie un représentant qui serait en même temps un opposant actif au pouvoir en place. Un rapport de M. Prawda à la Commissaire européenne à la politique régionale, la Roumaine Corina Cretu, a fuité dans les médias polonais en février de cette année. Ce rapport décrit la Pologne comme un pays où l’État de droit est systématiquement bafoué et où les juges seraient victimes de harcèlement au travail et de persécutions physiques dans la rue. Des explications ont été demandées par Varsovie à la Commission européenne, mais celle-ci a refusé de commenter un rapport qui aurait dû rester confidentiel. Interrogé par une radio polonaise, le directeur de la représentation de la Commission européenne s’est défendu en expliquant que les phrases du rapport citées avaient été sorties du contexte, tandis que la Commission affirme avoir toute confiance en son représentant.
Il semblerait donc que l’UE n’ait pas assez de problèmes, et qu’après en avoir créé pendant plusieurs années avec la Hongrie il faille désormais en créer pendant plusieurs années avec la Pologne.
(Article publié originellement sur le site Visegrád Post)
Pour en savoir plus :
Comprendre la genèse du conflit autour du Tribunal constitutionnel polonais
En Pologne, le PiS veut réformer en profondeur une institution judiciaire héritée du communisme
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