Les nationalistes européens sont à la Russie ce que les communistes étaient à l’Union soviétique

Photo : twitter.com/EuromaidanPR

(Deuxième partie de l’article publié sous le titre «Nacjonaliści, główny towar eksportowy Putina» – Les nationalistes, principale exportation de Poutine – dans l’hebdomadaire conservateur polonais Gazeta Polska du 23 avril 2014, traduit pour Nouvelles de France avec l’aimable autorisation des auteurs. Pour la première partie, consacrée au Front National français, au Jobbik hongrois et aux Ruch Narodowy polonais, lire «Les nationalistes européens au service de la Russie post-soviétique«.)

La dynamique du nationalisme européen pro-Poutine est très proche de celle qui caractérisait autrefois la gauche occidentale pro-soviétique. Dans les deux cas, le principal ennemi politique est le même. Il s’agit du principal concurrent de Moscou, c’est-à-dire les États-Unis et l’OTAN.

Quelles que soient les parties du globe concernées par les convictions géopolitiques des nationalistes en France, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Bulgarie ou en Hongrie, ces convictions se trouvent répondre aux intérêts de la Russie : soutien inconditionnel au sanguinaire dictateur syrien Bachar el-Assad, admiration pour les mouvements islamistes (le chef du Jobbik Gábor Vona a même qualifié l’islam de «dernier espoir de l’humanité», percevant cette religion comme le dernier bastion de la tradition capable de s’opposer à une Amérique impérialiste et putride), soutien à Viktor Ianoukovytch en Ukraine et aux régimes autoritaires d’Amérique latine qui s’opposent aux USA et soutiennent l’axe Moscou-Téhéran (d’où la sympathie si souvent exprimée pour Hugo Chávez qui se référait ouvertement au communisme). Pour les nationalistes européens, le meilleur attribut de l’allié potentiel, c’est sa haine contre le principal adversaire de Moscou et sa convergence avec les intérêts géopolitiques de la Russie, même si cet allié potentiel est islamiste ou communiste. Ses autres convictions peuvent même être en contradiction totale avec les valeurs et idées déclarées par les nationalistes (comme le christianisme, le conservatisme et les valeurs de droite). Dans ce domaine aussi, les groupes nationalistes contemporains ressemblent à l’ancienne gauche pro-soviétique qui était capable, malgré son athéisme déclaré et sa haine des religions, de soutenir des groupes fondamentalistes musulmans du moment qu’ils attaquaient «l’impérialisme américain» et soutenaient Moscou.
Une autre question rapproche les nationalistes actuels de la gauche européenne pro-soviétique. En s’adressant à ses électeurs, la gauche pro-soviétique parlait souvent des problèmes économiques réels et de l’exploitation des travailleurs en Europe. Aujourd’hui, alors que la gauche européenne fait largement partie du système politique et en est même le principal bénéficiaire, ce sont les nationalistes qui reprennent à leur compte le thème des menaces liées au fonctionnement des puissantes multinationales et aux pathologies du capitalisme contemporain, en y ajoutant une rhétorique anti-immigration. Ce sont eux qui parlent des problèmes que l’establishement politique européen fait semblant de ne pas voir. Un autre élément rapproche enfin l’ancienne gauche pro-soviétique des nationalistes pro-Kremlin actuels. Tout comme il était absurde de présenter l’URSS comme un État modèle où les travailleurs vivaient bien et n’étaient pas exploités, il est extrêmement curieux aujourd’hui de présenter, ainsi que le font les nationalistes européens, la Russie de Poutine comme source de renouveau moral alors que c’est un pays rongé par l’alcoolisme, la toxicomanie et le recours massif aux avortements, dans lequel la décomposition de la famille en tant qu’institution progresse à grande vitesse, et où la religion est entièrement soumise à l’État et les structures ecclésiastiques sont complètement infiltrées par les anciens services secrets communistes.

L’empreinte du Kremlin en Bulgarie

Que Vladimir Poutine et sa manière de diriger son pays constituent un modèle pour la majorité des nationalistes en Europe, c’est une chose qu’illustre bien l’exemple bulgare avec son parti nationaliste radical Ataka qui aux élections anticipées de l’année dernière à obtenu 23 des 240 sièges au parlement bulgare. Volen Siderov, le leader d’Ataka, ne cache pas sa fascination pour la Russie et les murs de son bureau sont ornés de pistolets datant de la guerre russo-turque de 1877-78 qui a permis à la Bulgarie de se libérer de la domination ottomane vieille de 500 ans.
En 2012, Siderov a chaleureusement félicité le président Poutine pour sa réélection. Pour ses 60 ans, il lui a remis une plaque avec l’édifice du parlement bulgare, un insigne d’Ataka et un livre dont il est l’auteur. À cette occasion, Siderov a complimenté Poutine pour son autorité et sa bonne gestion. Siderov aime aussi exprimer sa satisfaction des bonnes relations entre la Bulgarie et la Russie malgré les pressions internationales. Dans son programme politique, Ataka promet une révision des conditions d’adhésion de la Bulgarie à l’UE et sa sortie de l’OTAN. Bien entendu, Ataka a reconnu la validité du référendum en Crimée à la suite duquel la Russie à annexé la péninsule. «La Bulgarie a toutes les raisons de soutenir le droit des peuples à décider pour eux-mêmes et de reconnaître les résultats des actes de démocratie directe», déclarait Siderov à la mi-mars.
Début avril, Ataka s’opposait fermement à des sanctions contre la Russie. «Si le gouvernement bulgare soutient des sanctions plus sévères, je travaillerai à le renverser», a alors prévenu Siderov, cité par le site Euractiv.com. «Il faut que les électeurs se réveillent et comprennent enfin que le gouvernement en Bulgarie doit mener une politique indépendante et mettre fin au colonialisme qui nous a été imposé», a-t-il également dit.
Pour les commentateurs bulgares, le leader d’Atatka a des opinions à la fois de gauche et nationalistes. «Il fait appel à la fierté bulgare et à l’appartenance à la religion orthodoxe, mais il demande aussi la renationalisation de l’industrie et vante les économistes américains de gauche Paul Krugman et Joseph Stiglitz», souligne le commentateur bulgare Boyko Vassilev. Et d’ajouter : «La direction prise par Poutine est aussi une indication de la route à suivre pour Ataka». De fait, avec la crise des valeurs en Europe, Vladimir Poutine se présente pour nombre de nationalistes comme un défenseur des valeurs et un dirigeant restaurant la fierté et la puissance de son pays. L’extase des rebelles européens est d’autant plus grande que Poutine apparaît comme un guerrier capable de prendre rapidement des décisions radicales (Crimée, Ukraine orientale…). Si les projets visant à restaurer l’Union soviétique à la mode nationale-radicale sont réalisés, ce que cherche visiblement à faire Vladimir Poutine, il y a fort à parier que les droites nationales de l’UE apporteront tout leur soutien.

La Russie meilleure amie de la Grèce

«La Russie est un allié naturel de la Grèce. La Grèce, en tant que puissance maritime, doit coopérer avec la Russie, puissance terrestre.» Ce sont les paroles prononcées en décembre 2013 par Nikólaos Michaloliákos, le dirigeant d’Aube dorée, le parti politique nationaliste d’extrême-droite grec. En 2014, Ilias Kasidaris, porte-parole du parti, a développé la pensée de Michaloliákos. Il a affirmé que si Aube dorée gagnait les prochaines élections législatives la Grèce entrerait immédiatement dans une alliance étroite avec la Russie. En échange de garanties de sécurité russes pour la Grèce, Poutine obtiendrait «un accès libre aux mers chaudes».
Aux dernières élections législatives grecques, le parti Aube dorée est arrivé cinquième avec un peu plus de 6 % des voix. C’est un parti connu pour ses actes violents à l’encontre de ses opposants politiques et pour ses formations paramilitaires (et aussi pour son infiltration des forces de l’ordre). Il a même été impliqué dans des meurtres (assassinat en 2013 du rappeur gauchiste et syndicaliste Pavlos Fyssas) et des tentatives de meurtre. Avec l’escalade de la déstabilisation en Grèce, à laquelle a contribué Aube dorée, les membres de ce parti sont aussi devenus la cible d’attaques : deux d’entre eux ont été abattus par balle en 2013. Dans le programme politique affiché sur le site Web d’Aube dorée, la proposition d’une réorientation des alliances actuelles et d’une coopération très étroite avec la Russie est en première place. C’est de cette proposition que découlent les suivantes qui reflètent la très grande hostilité d’Aube dorée à l’OTAN et à l’Union européenne. Aube dorée signale clairement sa volonté de coopérer avec la Russie dans le segment le plus important pour ce pays : le commerce et le transport des matières premières.
Les membres d’Aube dorée sont aussi reçus par les partisans de Poutine en Russie, comme par exemple en novembre 2013 avec d’autres nationalistes de Grande-Bretagne et d’Italie à Moscou. Ils ont aussi été invités avec le Jobbik hongrois à la conférence «Forum national russe» organisée en septembre à Saint-Pétersbourg par Andreï Petrov, un homme lié à Poutine.
Il mérite d’être souligné en marge de ce texte que certains des partis nationalistes d’extrême-droite que nous avons décrits sont en conflit entre eux. Mais tous collaborent avec Poutine. Cette situation rappelle à nouveau celle de l’ancienne gauche pro-soviétique en Europe et de ses conflits internes malgré la collaboration avec Moscou.

De fausses solutions à de vrais problèmes

Tout semble indiquer que les nationalistes européens vont jouer le rôle qui était auparavant celui de la gauche pro-soviétique. Défenseurs des intérêts de Moscou, ils seront l’avant-poste politique du Kremlin. Ils seront un outil de déstabilisation de l’Europe aux moments opportuns pour la Russie pour donner à cette dernière une plus grande liberté de mouvement. Dans leur rhétorique, ils parleront de vrais problèmes que l’establishment politique européen minimise (et parfois provoque), comme les menaces liées à l’immigration, les absurdités bureaucratiques et la législation gauchisante de l’Union européenne, l’exploitation et la corruption par les multinationales, l’agression croissante de l’État laïque contre les modes de vie traditionnels en Europe et notamment contre l’Église. Parallèlement, ils avanceront des propositions géopolitiques concrètes conformes aux intérêts russes du moment, des propositions dont la réalisation favorisera la domination de Moscou en Europe.

Un article de Wojciech Mucha et Dawid Wildstein
Article original (en polonais) : http://www.gazetapolska.pl/30451-nacjonalisci-glowny-towar-eksportowy-putina

Du même auteur :
Les nationalistes européens au service de la Russie post-soviétique
Pour Dawid Wildstein, journaliste qui a passé 28 jours avec les manifestants, les Ukrainiens ne veulent pas rejoindre l’UE mais se débarrasser du système post-soviétique (entretien avec Dawid Wildstein)
L’illusion russe

Related Articles

71 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Tite , 9 mai 2014 @ 12 h 03 min

    Bravo !
    Une précision :
    Mac Do’ est déjà au Kremlin (en Russie bien sûr et non Bicêtre).

  • Frantz , 9 mai 2014 @ 12 h 51 min

    Contrairement à ce que Monsieur Bault affirme, ce n’est pas parce qu’on dénonce les manipulations médiatiques et politiques sur la situation en Ukraine, la russophobie pathologique des médias et des élites de ce pays, et l’alignement systématique de notre politique étrangère sur l’Amérique, qu’on est un “pro-russe” un adorateur de Poutine, un partisan zélé de la politique étrangère russe (qui a bien des choses à se reprocher) ou un nostalgique de l’URSS. A cet égard, la récente interview de V. Fédérovski – lui qui est pourtant très hostile à Poutine, et inquiet quant aux régression en matière de libertés démocratiques en Russie – ne dit pas autre chose, et c’est également le sentiment de beaucoup de russes que je connais, qui sont très inquiets de ce climat de russophobie entretenue dans la presse et dans les discours politiques.

    Enfin, parmi ceux qui affichent leur sympathie, ou du moins, des sentiments plus nuancés que la haine vis-à-vis de la Russie, ne se trouvent pas uniquement des nationalistes mais des gens de tous horizons : des communistes nostalgiques de l’URSS, des gaullistes, des libéraux conservateurs, des gens de gauche, des libertariens (comme Ron Paul) ou même des leaders politiques “respectables” et centristes, comme F. Fillon ou l’ancien chancellier allemand G. Schröder.

    C’est peut-être cet éventail très large de personnalités “pro-russes” (raccourci rapide que j’utilise par commodité mais inexact) qui fait que la comparaison avec les pro-URSS d’hier, presque tous communistes, ne tient pas.

  • jpm , 9 mai 2014 @ 13 h 04 min

    c’est quoi ce délire ?

  • Paname , 9 mai 2014 @ 14 h 22 min

    Merci Stéphane le Toulousain: j’allais répondre la même chose.
    Cette bouillie, mon chat n’en voudrait pas…

  • hubert , 9 mai 2014 @ 14 h 57 min

    A ce sujet, cet article exprime tout à fait l’analyse que je m’étais faites de ces “nouveaux nationalistes” français. Tandis que certains aspirent à un idéal fondé sur nos valeurs ancestrales, d’autres, tels les poutinotâtres, se nourrissent de fantasmes. Ceux-là-même qui se scandalisaient d’une attaque éventuelle de la Syrie par la France, se félicitent de l’encerclement armé de l’Ukraine et de son invasion par la Russie, malgré les morts et la terreur de la population. Alors qu’ils sont révoltés par l’emprisonnement de Nicolas par Vals, ils applaudissent Poutine qui met tous ses opposants politiques en prison. Alors qu’ils exigent que les racines chrétiennes de l’Europe soient inscrites dans la Constitution, ils zappent le passé criminel de Poutine, chef du KGB, qui pendant des années à torturé et tué principalement les catholiques ainsi que ses opposants idéologiques. Alors qu’ils vénèrent les orthodoxes, ils méconnaissent leur profonde rivalité d’avec Rome, et leur haine du catholicisme, ainsi que leur agressivité à notre égard. J’ai étudié autour de moi qui sont ces jeunes qui déclarent naïvement que “la France est pourrie”, mais qui rêvent de la Sainte Russie. Ils lisent peu, ils ont peu de culture, ils se sont fait eux-mêmes, ils ont peu de racines, ils fantasment parce que Poutine représente ce que n’est pas Hollande : sportif, musclé, vif et décisionnaire, très théâtral d’ailleurs, puissant. C’est Rambo, quoi. Mais Rambo, on l’a jeté à la poubelle parce qu’il est méchant : mondialiste, franc-maçon, pour le mariage gay etc. Bon, on le remplace par St Poutine, plein de muscles et qui n’est pas tout ça. De plus, en lisant les commentaires des internautes de NDF, ils sont manichéens et ont peu d’arguments, à par l’invective. Mais ils font honte, et n’honorent pas ce blog…Heureusement, il y a des PG : “Cet article pointe le doigt là où cela fait mal : il est de fait qu’on ne lutte pas contre un impérialisme en confiant son destin à un autre impérialisme.”. Je rajouterais : quand on a un minimum de dignité, on ne remet pas son destin entre les mains de mercenaires mais on puise sa force dans les valeurs pour lesquels nos pères ont versé leur sang et sont tombés au champ d’honneur. Or, pour cela, il faut vraiment croire en Dieu.

  • hubert , 9 mai 2014 @ 15 h 03 min

    Exactement !

  • Creuxduloup , 9 mai 2014 @ 15 h 58 min

    Poutine est ce qu’il est.. Personnellement je ne le trouve pas plus dangereux qu’Erdogan ou l’émir du Qatar à qui nous léchons les bottes et vendons nos trésors..
    Quant à l’Ukraine, Kiev n’est-il pas le berceau de l’évangélisation de la Russie ? Les rapports des deux pays sont “organiques”.
    Que celle-ci considère comme vital qu’elle reste une alliée et non pas le cheval de Troie de l’Amérique et de la mondialisation… Cela me semble très défendable et légitime. Si ce que vous appelez l’impérialisme russe voulait grignoter la Pologne ou les pays baltes, ce serait une autre histoire. Mais rien ne montre que c’est l’intention de Poutine..

Comments are closed.