Lu dans la presse polonaise, à propos des statues de Lénine et Mao érigées sur une place de Montpellier parmi celles d’autres « grands hommes du XXe siècle ». La rédaction de l’hebdomadaire conservateur de droite Uważam Rze (deuxièmes meilleures ventes parmi les hebdomadaires d’opinion) s’étonne dans son commentaire en première page de ce que le maire d’une grande ville française, membre du Parti Socialiste français aujourd’hui aux commandes du pays, ait choisi de faire honneur à ces deux grands criminels contre l’humanité. Comment se fait-il que les protestations de l’opinion publique soient aussi molles ?, se demande Paweł Lisicki, le rédacteur en chef du magazine. « Je me demande quelles seraient les réactions si quelqu’un voulait dresser une statue en mémoire d’Hitler ou d’un autre dirigeant du IIIe Reich. Bizarrement, je suis certain que par bonheur personne n’aurait une telle idée et que, même si cela arrivait, une telle initiative serait bloquée. Ce monument [la statue de Mao, ndlr], est une infamie pour la gauche française et il prouve que la tradition communiste reste vivante et dangereuse. », conclut-il.
Le quotidien Rzeczpospolita (« La République »), qui à défaut d’être le plus lu se vante d’être le plus cité dans les médias polonais, rappelle à ce propos les réactions en 2010 lors de l’inauguration de la statue de Lénine. Des députés européens avaient alors signé une pétition pour demander à la ville de Montpellier de renoncer à son projet. Parmi eux, le député Vytautas Landsbergis, le premier président de la Lituanie après que la petite république balte s’est libérée de la tutelle soviétique en 1990 : « C’est de la bêtise. C’est comme si on dressait un monument à Hitler. Lui aussi était un grand homme d’une certaine époque de la nation allemande. Et Staline lui-même a été un grand fils de la nation géorgienne et il y était adoré même s’il a fait tuer la moitié des Géorgiens. » Landsbergis affirme plaindre les Français, et notamment les habitants de « cette belle ville de Montpellier », d’avoir aussi peu de bon sens.
Avec la statue de Mao, « il ne faut pas s’attendre à une nouvelle protestation de députés européens », fait remarquer Landsbergis au journal Rzeczpospolita. « Ce qui domine, c’est le conformisme et la réticence à reprocher quoi que ce soit aux communistes. »
Rzeczpospolita rappelle aussi que Mao, qui a pris le pouvoir en 1949 en Chine, a été, en termes de nombre de victimes de sa politique de persécution des opposants au parti et de transformation forcée de l’économie et de la société chinoises, le plus grand criminel de l’histoire de l’humanité, avec au bas mot 65 millions de morts à son compte.
Dans un autre commentaire, l’hebdomadaire Uważam Rze tourne en dérision l’explication du président de l’agglomération de Montpellier, Jean-Pierre Moure, qui explique que « Mao a effectivement causé des millions de morts mais il a aussi joué un grand rôle dans la montée en puissance de la Chine au XXe siècle. » : « Comment expliquer cette bêtise sans fond de la gauche française ? C’est simple : les chars de l’Armée Rouge en 1945 sont parvenus « seulement » jusqu’à Berlin et les Français n’ont jamais fait l’expérience de ce qu’était la « libération » soviétique. Ce sont en effet les communistes eux-mêmes qui guérissent le mieux des sympathies procommunistes. »
Les Polonais savent de quoi ils parlent : de la guerre de 1919-1921 contre une Armée Rouge qui cherchait à étendre la révolution communiste à toute l’Europe en écrasant au passage une Pologne qualifiée de bourgeoise et qui venait de regagner son indépendance, à l’occupation soviétique et au régime communiste satellite qui a duré jusqu’en 1990, en passant par l’agression soviétique de 1939 aux côtés de l’Allemagne nazie, les déportations et disparitions en masse de 1939-41 dans la zone occupée par l’URSS puis en 1944-45 à l’encontre des membres de la résistance polonaise (l’Armée de l’intérieur, AK, dirigée depuis Londres par le gouvernement polonais en exil et qui comptait plusieurs centaines de milliers de combattants actifs), l’interdiction faite par Staline aux Alliés de venir en aide aux Polonais lors de l’insurrection de Varsovie d’août et septembre 1944 (environ 200 000 morts, en majorité des civils tués par les Allemands alors que l’Armée Rouge attendait la fin des massacres sur l’autre rive de la Vistule avant de reprendre son avancée), puis l’emprisonnement et l’exécution de nombreux résistants polonais de l’AK dans les années qui ont suivi la fin de la guerre.
Sans doute aurait-il fallu envoyer Jean-Pierre Moure et Georges Frêche, l’auteur de cette initiative alors qu’il était président de la région du Languedoc-Roussillon, aujourd’hui décédé, ainsi que certains autres dirigeants de la gauche française, en voyage d’apprentissage de l’histoire dans les pays d’Europe centrale, dans les goulags de Sibérie, au Tibet et les camps de concentration chinois, comme on propose parfois d’envoyer les nostalgiques d’Hitler en visite dans les anciens camps de la mort nazis.
Faut-il encore rappeler à ces messieurs qu’à côté des camps de la mort nazis en Europe l’histoire des grands génocides compte aussi les champs de la mort des Khmers Rouges au Cambodge, des Khmers Rouges dont le leader Pol Pot s’était formé à Paris au contact des communistes français et était soutenu par ce « grand homme du XXe siècle », le Grand Timonier Mao Zedong.
Monsieur Moure, êtes-vous bien certain que, comme vous l’affirmez (citation lue sur Atlantico) « les idéologies représentées sur la place sont toutes des idéologies de libération et de conquête des droits malgré leurs parts d’ombre » ? Avez-vous pensé à ce que peuvent ressentir nos amis polonais, baltes, hongrois, roumains et autres habitants de l’ancien bloc de l’Est de passage dans votre ville de Montpellier à la vue d’une statue de Lénine, de même que les Chinois, Vietnamiens, Cambodgiens et Tibétains en exil qui auront la malchance de tomber sur votre toute nouvelle statue de Mao ?
De notre correspondant permanent en Pologne.
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