Tribune libre de Jacques Garello*
Je termine dimanche soir mon séjour au Salon International de l’Agriculture. Je m’appelle Marianne, un nom qui me convient bien parce qu’il fait penser à ce qu’il y a de plus beau et de plus constant dans votre République Française : les subventions, le corporatisme et surtout l’immobilisme. Parce que nous, les vaches, n’aimons pas bouger. Nous ne faisons d’exception que pour les trains, mais nous commençons à nous inquiéter de voir de plus en plus de trains étrangers circuler sur des rails français et les grèves de cheminots nous chagrinent.
Je m’adresse à vous parce que j’ai un devoir de mémoire (j’ai compris que c’est l’acte civique par excellence). Je veux témoigner des belles heures de ce Salon, et je veux que les leçons de 50 ans ne soient pas perdues.
Mon témoignage, c’est d’abord celui de la continuité politique de notre pays. Depuis 1870, avec le Concours Général Agricole, ancêtre du Salon, tous les présidents, premiers ministres, ministres et secrétaires d’État, bref tout ce qui fait la grandeur de la France, ont défilé ici. En ce qui me concerne je n’ai eu le plaisir d’accueillir que VGE et les suivants, j’ai beaucoup aimé Jacques Chirac qui me caressait la croupe (un peu coquin), mais François Hollande a préféré tapoter mon museau, heureux de voir dans mon regard les lueurs d’intelligence dont il est hélas privé dans son entourage. De plus il aime faire des vacheries, comme celle qui a consisté à annoncer la mort politique de Sarkozy : « Tu ne le verras plus », a-t-il répondu à un enfant qui lui demandait où était Sarkozy.
Autre témoignage important : devant moi il n’y a plus ni gauche ni droite, ni parti majoritaire ni opposition : tout le monde vient, se fait photographier avec moi et proclame son amour pour l’agriculture, les paysans, les veaux, les vaches et les cochons, promet de tenir tête à ces cochons d’Anglais et Européens qui veulent la fin de la PAC. Mon paysan a l’air heureux, et j’en beugle d’aise. Le Salon est réellement le creuset de la France profonde, de la France enfouie, des promesses bovines.
Dernier témoignage : cette année le salon a été « au goût du cheval » et mon éleveur peste parce que des bovins de qualité se trouvent associés à des équidés roumains. Ici mon intelligence a été prise exceptionnellement en défaut parce que le Président Hollande, peut-être épuisé après dix heures de visite, a promis un étiquetage de traçabilité qui existe déjà.
Je ne passe que quelques jours à Paris, on veut que je sois la plus belle pour aller parader, mais derrière les apparences, voyez les leçons que la société française a pu tirer de ces Salons successifs. Il semble en effet que l’on veuille organiser la France comme un troupeau.
D’abord c’est le triomphe de la médiatisation, avec ce qu’il faut pour éblouir le téléspectateur : les enfants qui découvrent les lapins, les moutons noirs (que l’on connaît pourtant bien dans la vie politique), les bananes subventionnées, les produits bios.
Ensuite, c’est l’occasion de recevoir des messages forts. Le ministre de l’Agriculture Le Foll (aucun rapport bien sûr avec un triste épisode pour les vaches) a expliqué que l’avenir de l’agriculture est dans l’écologie. Inquiétant tout de même pour moi : il est l’ennemi des herbicides. Les animaux et la nature faisant bon ménage : enfin ! On a beaucoup parlé aussi de la nécessité d’avoir une agriculture « made in France », ce qui m’a un peu gênée parce que je suis de race Salers, dont les ancêtres, à ce qu’on dit, sont Espagnols, et parce que tout ce qui m’entoure, à commencer par la machine à traire qui est importée de Suisse, ou le van qui me transporte de marque allemande, ou le chien de garde qui est un collet d’Ecosse, a souvent une origine étrangère douteuse.
L’organisation en troupeau est aussi le rêve de tout dirigeant politique, notamment à gauche où l’on aime bien le collectif. Ainsi les citoyens français, à ce qu’on m’a dit, sont-ils conditionnés au point de suivre aveuglément les éleveurs qui les dirigent. Ils rentrent périodiquement à l’étable, qui est en forme de bureau de vote. Ils ne savent pas qu’ils sont à terme menés à l’abattoir.
Mais la trace la plus visible d’animalité dans la société française est la transposition au genre humain de ce que l’on a réalisé pour les bestiaux. L’insémination artificielle, les manipulations génétiques et l’eugénisme sont à l’ordre du jour. L’euthanasie ne sera plus réservée aux vétérinaires, elle pourra être pratiquée par des médecins.
Ainsi me devais-je de vous rappeler pourquoi le Salon de l’Agriculture est durablement au cœur de la République et entend y rester. Quand la stabulation sera terminée, quand vous verrez à nouveau les bêtes dans les prés, ayez une pensée pour moi, Marianne, songez à tout ce que j’ai gardé en mémoire. Je ne suis pas aussi douée que l’éléphant, mais j’ai pu vous rappeler l’essentiel. Vachement bien à vous.
*Jacques Garello est un économiste libéral français, professeur émérite à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III. Il est fondateur du groupe des Nouveaux Économistes en 1978 et président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) depuis 1982. Il est également membre du Conseil d’administration de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF).
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS
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