Michel Marbot, devenu le roi polonais des pâtes alimentaires, dont l’entreprise Malma a été volontairement mise en faillite par la banque italienne UniCredit sur fond de conflits d’intérêts et d’agissements plus ou moins mafieux, a fait la une des médias polonais en juillet dernier avec sa grève de la faim devant le siège du parlement. Nous avions déjà évoqué la démarche radicale de ce patron français arrivé en Pologne en 1990, marié à une Polonaise et père de sept enfants, pour défendre ses salariés, et je l’ai rencontré la semaine dernière dans sa résidence de Varsovie. En exclusivité pour Nouvelles de France, Michel Marbot raconte son aventure industrielle qui a débuté avec l’ouverture du pays à l’économie de marché et aussi les agissements d’un groupe d’intérêts politico-financier qui a volontairement mis à sac son entreprise et placé deux cents travailleurs dans une situation dramatique. Face aux violations flagrantes des droits de notre compatriote par les juges et les procureurs polonais, l’ambassadeur de France en Pologne a même décidé récemment de placer Michel Marbot sous la protection consulaire de la France !
Je vous avais déjà rencontré il y a 17 ans à l’ambassade de France alors que j’étais avec un groupe de volontaires du service national en entreprise (VSNE), je vous avais aussi vu à la télévision polonaise à plusieurs reprises. Vous aviez racheté un fabricant de pâtes polonais vendu par l’État au moment des premières privatisations et créé la marque « Malma » devenue très appréciée des Polonais. Comment êtes-vous devenu dans les années 90 le roi polonais des pâtes alimentaires et un Français reconnu en Pologne.
Un jeune entrepreneur français en Pologne qui devient un grand nom des pâtes alimentaires en Europe
C’est en 1990, juste après à la chute du rideau de fer, qu’allant à la rencontre de l’Histoire, je me suis installé en Pologne pour aider à la reconstruction du pays de ma femme et de mes enfants. J’ai alors réalisé la première privatisation totale d’une entreprise publique en Pologne. À l’époque communiste, toutes les usines de la filière blé, dont les pâtes, étaient gérées par le conglomérat PZZ. J’ai racheté deux de ces usines. Une première à Malbork en 1991 et la deuxième à Wroclaw en 1993, soit environ 20 % de la capacité productive de pâtes en Pologne. L’usine de Malbork était archaïque mais ses produits étaient réputés. L’usine de Wroclaw était arrêtée depuis un an et les salariés sont restés très unis par cette épreuve. En outre, l’usine de Wroclaw avait le seul moulin à blé dur de Pologne. Mon premier pas fut de mobiliser les employés et de créer une marque, nous choisîmes Malma (pour Mal-bork et ma-caroni) qui rime avec Mamma mia ! En tout j’ai investi 50 millions d’euros, apportant à la Pologne les nouvelles technologies développées dans les années 80. Je suis arrivé très jeune et sans un sou et me suis beaucoup endetté pour lancer cette entreprise mais le retour a été très rapide. Notre marque fut d’emblée un leader quantitatif, qualitatif, innovant et culturel. Nous avions toujours une longueur d’avance. Pourtant, il fallut 10 ans pour atteindre une excellence reconnue internationalement. Car nous avions toujours ce but en tête. J’ai créé un programme télévisé culturel au cours duquel nous préparions et dégustions mes pâtes avec des célébrités. Dès 1991 Wieslaw Michnikowski, le Bourvil local, l’actrice Beata Tyszkiewicz puis en 2002 Sophia Loren furent nos ambassadeurs. Avant Malma, vous arriviez sur un marché ou dans un magasin et le vendeur vous versait des pâtes en vrac dans un sac. Nous fûmes les premiers à distribuer des pâtes joliment emballées. Mes amis Pierre Châtelier et Philippe Devismes s’en occupèrent avec beaucoup d’enthousiasme et de talent. Très tôt, nous avons pu acheter du grain Amber Durum canadien directement à la Commission Canadienne du Grain, donc à l’office gouvernemental, sans aucun intermédiaire, grâce au ministre de l’Agriculture polonais qui m’emmena avec lui au Canada. Ceci nous permit d’avoir une très haute qualité à des prix imbattables. Notre technologie ainsi que nos recettes de fabrication firent le reste : nous fûmes à même de frôler l’idéal : des pâtes plus fermes, plus jaunes, plus savoureuses avec une texture et une fermentation traditionnelles. C’est alors seulement que tomba le verdict : en 2001, le plus grand gastronome italien, Luigi Veronelli, écrivit dans son éditorial du Corriere della Serra avoir goûté les meilleures pâtes sous tous rapports (« la migliore pasta in ogni confronto »), ce qui eut véritablement l’effet d’une bombe en Italie. Ensuite nous avons présenté ces pâtes à la convention de Slow Food, un mouvement international né en Italie, et le « pape » italien de Slow Food confirma que les meilleures pâtes du monde sont polonaises, soulignant que ce fait était une victoire de la culture gastronomique italienne. La presse italienne s’empara du sujet et nos pâtes furent servis par les plus fameux restaurateurs du pays : chez don Alfonso, Rosiello, Gennarino Esposito et i Curti de Naples, ou encore chez Vittorio de Bergame, au Pantagruelico à Venise, et aussi chez Alain Ducasse, Pierre Gagnaire et au Bon Marché à Paris, chez Tetsuya à Sydney et chez Alice Waters à Berkeley. Ce fut notre moment de gloire, en 2003. Un des plus importants designers mondiaux, Massimo Vignelli, auteur des logos d’American Airlines, IBM, Knoll, nous dessina un logo véritablement international avec les couleurs de la Pologne, le rouge et le blanc, car nous étions fiers de nos origines ! Sophia Loren disait dans notre film publicitaire : « En Pologne, ce que je préfère c’est la musique de Chopin et les pâtes Malma ». Nous exportions un produit considéré comme un luxe à l’étranger, un produit grand public en Pologne, vendu 50 % plus cher que nos meilleurs concurrents, l’affaire dégageait ainsi une excellente marge opérationnelle. Nous étions leader sur notre marché dont nous détenions plus de 20 % une situation plutôt rare pour un produit premium. C’est le tiercé gagnant dont toute marque rêve. Pourtant, en 2006, notre entreprise était complètement stoppée une première fois dans un contexte dramatique pour l’entreprise et ses employés qui occupèrent leurs usines pendant 8 mois, afin d’éviter leur disparition. En 2007 la production reprit miraculeusement. En 2011, les usines furent arrêtées pour la seconde fois. Une tragédie donc…
Une faillite organisée depuis l’Italie
Comment cela est-il arrivé ?
Paradoxalement, si mon usine de Wroclaw ne s’était pas trouvée sur un beau terrain de 6 hectares au centre de la quatrième ville de Pologne et si ma marque n’avait pas connu un tel succès je ne serais sans doute pas en faillite aujourd’hui. Mais si je n’avais pas bien traité mes travailleurs dans les années fastes, je n’aurais jamais été capable de résister à l’agression dont j’ai été la victime. Permettez-moi de revenir en arrière. En 1991, j’avais donné à mes employés des conditions de travail excellentes pour le pays. Ma société était un modèle social : couverture médicale privée pour tous, allocations pour les enfants à charge, formation continue. En outre, je garantissais à tous mes employés une indemnité de licenciement équivalant à deux années de salaire. Comme nous avions une bonne rentabilité opérationnelle notre endettement avait diminué de moitié en 10 ans passant de 50 à 25 millions d’euros tandis que ma famille contrôlait 100% de la société. Nous allions enfin pouvoir entreprendre une nouvelle phase de notre développement avec le lancement des pâtes fraîches et la conquête du marché export des pâtes luxe. Hélas une crise majeure vint nous frapper. En 2001, le gouvernement polonais, poussé par le lobby bancaire étranger, conduisit une politique excessive de refroidissement de l’économie. Les taux d’intérêts furent durablement portés à près de 20%, ce qui favorisa la spéculation et la monnaie s’apprécia de 25%. Pour nous ce fut une catastrophe car les produits concurrents d’Italie furent soudain 25% moins cher. Les taux réels de nos emprunts attinrent 45%, un montant, chacun le comprend bien, exorbitant pour une entreprise industrielle ! Il était urgent de réduire l’endettement. Malma était une bonne société ; il fallait un partenaire financier pour la sauver !
Et c’est à ce moment seulement qu’entre en jeu la banque italienne UniCredit ?
En 2002, la banque italienne UniCredit, venait de prendre le contrôle de la deuxième banque polonais Pekao SA, avec laquelle nous avions quelques relations depuis 10 ans. Elle me proposa de refinancer toutes mes dettes envers les autres banques pour introduire Malma en bourse. Je trouvais idéal de m’appuyer sur une grande banque italienne pour cette entrée en bourse, s’agissant de pâtes. Aussi donnais-je mon accord à cette consolidation. Or, 6 mois plus tard, un ancien premier ministre polonais, Jan Krzysztof Bielecki, fut nommé président de Pekao. C’est un homme très puissant aujourd’hui en Pologne, l’éminence grise du gouvernement de Donald Tusk, le principal conseiller économique du premier ministre, et nous avions eu quelques problèmes avec lui dans le passé. C’est lui qui, en 1990, avait fait l’évaluation de mon entreprise en vue de sa privatisation. Le monde est petit ! Dès son arrivée aux commandes de la banque, il commença à jouer avec nous, repoussant sine die notre entrée en bourse. Comme nous ne pouvions du coup plus rembourser nos crédits, la banque m’appliqua des pénalités et comme je ne pouvais guère les payer, elle les finança elle-même ! Ainsi des crédits à fonds perdus de Pekao à Malma payaient les intérêts de Malma à Pekao, que Pekao comptait intégralement dans ses profits. Le président de la banque tira de ces bénéfices indus moult primes. Il érigea cette spirale en une trappe pour Malma : d’une main il sauvait le naufragé, de l’autre il lui enfonçait la tête dans l’eau et il finit même par me demander de creuser ma propre tombe. Bien entendu, je cherchais à m’échapper de cet étau. Je découvris d’abord avec stupeur qu’aucun système de protection légal ne fonctionnerait. Je dénonçai Pekao à l’Inspection des Banques qui ne trouva rien à redire. Je découvris plus tard que, pour éviter les sanctions de l’Inspection des Banques le président Bielecki avait augmenté fictivement par cinq la valeur de mes actifs immobiliers, pour justifier que la banque ne m’avait accordé aucun crédit abusif. Je découvris aussi que Pekao avait embauché l’épouse de l’Inspecteur Général des Banques. Je découvris enfin que, pour amadouer ses commissaires aux comptes, la banque m’avait contraint à leur confier une mission dont le prix avait été fixé par la banque et payé par une avance de la banque. C’est une infraction pénale très grave de la banque. Je ne pouvais non plus me placer sous la protection de la loi des faillites car la banque avait pris en gage tous mes actifs et elle refusait de les utiliser pour financer une telle procédure. La banque comptait sur moi pour licencier mes ouvriers et lui remettre les clés de notre patrimoine immobilier ainsi que la marque Malma, exonérant ainsi la banque de payer les deux ans d’indemnités de licenciement à mes salariés. Bref, la banque Pekao voulait faire sans scrupules en m’utilisant à mon insu ce que moi je m’étais refusé depuis 20 ans de faire, par fidélité envers mes employés et à ma mission en Pologne. C’était contraire au droit et à tout éthique car la banque avait financé une entreprise avec des travailleurs et non des immeubles. Pekao refusa aussi toutes les excellentes solutions de rachat de son crédit que je lui proposais dès 2005, notamment le remboursement de 80 % de la dette, par des investisseurs qui auraient continué l’exploitation sur place.
Je ne comprends toujours pas l’intérêt de la banque Pekao à agir ainsi !
Parce que l’intérêt était ailleurs, en Italie… J’ignorais, lorsque Pekao dénonça mes crédits, que la banque avait, deux semaines auparavant, trouvé un partenaire immobilier pour mes terrains, l’Italien Pirelli, et qu’elle cherchait un repreneur uniquement intéressé à m’exclure et à démanteler l’entreprise. Pour faciliter cette recherche, la banque exigea de moi un pouvoir pour rechercher un investisseur en mon nom. Munie de ce pouvoir elle négocia avec ses partenaires le démantèlement de mon entreprise, non sans signer avec eux des conventions de confidentialité à mon égard ! C’est un dol qualifié, mais ni le Parquet ni la Justice ne l’ont reconnu comme tel. Soudain, le 2 août 2006, la banque saisit les comptes de Malma qui cessa du jour au lendemain de produire. Ainsi notre marque évaluée alors à 10 millions d’euros, soit 40% de la valeur de la dette, disparut purement et simplement du marché. Pendant huit mois, l’entreprise resta en plan, non assurée, les brevets des marques non protégés, avec un an de stock de blé abandonné sans ventilation dans nos silos, les travailleurs non payés sans RMI ni chômage… La banque opérait un sabotage. Pourtant c’est moi qui fut inculpé en 2010 à la demande de Pekao, pour m’être échappé des mailles du filet en permettant à l’entreprise de reprendre son activité et en sauvant plus de 150 emplois ! En effet, en 2007, je louais le fonds de commerce à une société américaine qui investit 2,5 millions d’euros dans son redémarrage. Les salariés reprirent leur travail et les pâtes Malma retrouvèrent leur place dans les rayons des magasins. Grâce à ce bail, l’entreprise Malma reprit de la valeur. Évaluée par le Tribunal à 4 millions d’euros en 2007, après avoir été arrêtée par Pekao pendant 8 mois, sa valeur a été estimée à 22 millions d’euros par le Tribunal en 2011. Comme l’entreprise est bien le gage de la banque, celle-ci aurait dû s’estimer heureuse d’une solution qui est également conforme à l’intérêt public. D’ailleurs le Tribunal de Commerce décréta en 2008 que la procédure de faillite était close.
Comment une grande banque européenne coule volontairement une entreprise industrielle polonaise pour faire la place à ses partenaires italiens, et comment on retrouve le même homme aux commandes de la banque UniCredit, et dans les conseils d’administration du fabricant de pâtes Barilla et de la société immobilière Pirelli
La banque Unicredit serait donc selon vous coupable d’avoir détruit son gage pour récupérer son crédit au lieu de coopérer avec son débiteur comme l’exige la loi…
C’est beaucoup plus grave que cela et digne d’un roman policier! Encore une fois, je suis un ancien banquier et je ne suis pas naïf. Je supposais rationnellement au départ que la banque chercherait à sauver l’entreprise dans son propre intérêt ; vu la valeur de la marque à l’époque, le sabotage de Malma était aberrant. C’est là, qu’aidé par une personne proche de la banque mais bouleversée par ce qui se passait, j’ai découvert le pot aux roses : des conflits d’intérêts et des opérations de type mafieux. M. Alessandro Profumo, CEO de la banque UniCredit, était à l’époque dans le conseil d’administration de Barilla, le leader mondial des pâtes et mon ancien partenaire dans le capital de Malma. Profumo était aussi dans le conseil d’administration du groupe Pirelli, le plus gros promoteur immobilier italien. Le 1er juin 2005, deux semaines avant de me classer dans ses clients difficiles et d’exiger de moi des pouvoirs spéciaux pour trouver un investisseur, Pekao avaient signé avec Pirelli et UniCredit un accord secret sous le nom de code lyrique de « Projet Chopin ». Que prévoyait cet accord non divulgué aux marchés, en violation flagrante des réglementations boursières à Milan, New York et Varsovie où ces sociétés sont cotées ? Pekao donnait à Pirelli gratuitement, je dis bien gratuitement, pour 25 ans une exclusivité sur tous les immeubles de la banque et de ses clients difficiles. Cet accord gratuit et secret nous ramène aux bons vieux temps de la colonisation car on parle potentiellement de 20 % du marché immobilier polonais, d’une nation de 38 millions d’habitants ! Le contrat est signé par Jan Krzysztof Bielecki, un soi-disant homme d’État, qui donnera sa démission de la Banque quand des actionnaires minoritaires de Pekao rendront l’accord public. Quant à Alessandro Profumo, il est aujourd’hui inculpé en Italie pour 700 millions d’euros de fraude fiscale. Nous avons apporté la preuve du Projet Chopin au procureur général de Pologne. Nous avons également noté en Italie des opérations simultanées inverses, incompatibles avec la bonne gestion financière, un cadeau de Pirelli à la banque Unicredit au moment, jour pour jour, où le groupe Pirelli recevait cet immense cadeau en Pologne de la filiale polonaise d’UniCredit. Tous est vérifiable sur internet. Nous parlons de plus d’un milliard d’euros, une somme colossale à l’échelle de la Pologne. Pourtant le procureur polonais a immédiatement classé l’affaire sous des prétextes futiles et c’est moi qui ai été inculpé pour avoir sauvé mon entreprise et surtout pour me faire taire.
Pirelli n’était-elle pas en 2006-2007 au centre d’un grand scandale en Italie ?
Oui, et il s’agit de l’un des plus grands scandales de l’après-guerre en Italie ; il provoqua la chute du gouvernement Prodi et le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi. Pirelli avait, à travers un montage scabreux autour de sa filiale Olimpia Srl et avec l’aide d’UniCredit, pris à bon compte le contrôle de Telecom Italia, la deuxième entreprise italienne après Fiat. Entre 2000 et 2006, Pirelli avait soutiré 60 milliards nets de l’opération. En effet le bilan de Telecom Italia en 2000 affichait 30 milliard d’euros d’actifs immobiliers et zéro dette. Six années plus tard, le bilan présentait zéro immeubles et 30 milliards de dette. De plus 30 à moins 30, le compte est bon. Pirelli avait monté sa propre agence de renseignement surveillant politiciens et personnes influentes des affaires et du sport. La justice italienne se saisit de l’affaire, notant par exemple la cession de 2 millions de m² d’immeubles dans Milan pour 700 euros du mètre carré. Alessandro Profumo, pris de panique, devait se dégager de cette affaire en faisant racheter à prix fort par Pirelli ses parts dans Olimpia Srl, la holding de tête de Telecom Italia qui ne valaient plus un clou. Le Projet Chopin pourrait (le conditionnel est-il nécessaire ?) avoir servi de monnaie d’échange payée par les actionnaires minoritaires de Pekao. Ainsi Pirelli reçut l’exclusivité dont j’ai parlé plus haut et, toujours dans le cadre du « Projet Chopin », Pirelli racheta, en avril 2006, les projets immobiliers de Pekao en valorisant le m² de logement à Varsovie à 50 euros le mètre carré. Fin 2006, UniCredit a servi de véhicule pour blanchir en les envoyant en Europe de l’Est 2 milliards d’euros d’argent mafieux adressé par une filiale de Telecom Italia. La Banque centrale et le Parquet autrichiens enquêtent sur la banque UniCredit, pendant que le Parquet polonais… m’inculpe.
Et Barilla, quelle est son implication ?
Barilla est mon ancien partenaire en Pologne. C’est une entreprise remarquable où j’ai encore beaucoup d’amis. Mais en 1996, nous étions partenaires à 50/50 dans Malma et la nouvelle direction de Barilla de l’époque voulait prendre le contrôle de toutes ses entreprises conjointes à l’étranger. Un conflit en règle s’ensuivit qui conduisit à la sortie de Barilla et mon contrôle de 100% de Malma. Deux personnages clés représentaient Barilla dans le conseil d’administration de Malma en 1996. En 2006, l’un était devenu le CEO de Barilla et l’autre avait rejoint UniCredit et était le bras droit de Profumo pour les crédits aux entreprises ! Le monde est décidément petit. Mais il y a derrière tout cela une question de fond. Lorsqu’en 1991 je lançais Malma, les Italiens détenaient 30% du marché des pâtes polonais. En 2006 cette part n’était plus que de 5%. En éliminant les 20% de part de Malma, le seul producteur polonais de pâtes de blé dur de qualité supérieure, les clients italiens de la Banque, alors en grande crise, reprenaient automatiquement une part substantielle du marché. Et de fait, comme par hasard, le mois où la banque bloqua la production des pâtes Malma, Barilla lança une forte campagne de publicité planifiée à l’avance, la première de cette ampleur depuis 1996, date où Barilla avait cessé d’être mon partenaire. En 2011, la production de Malma a cessé définitivement et les Italiens ont aujourd’hui 25% du marché.
Des condamnations à l’encontre de… Michel Marbot
Comment dans ces circonstances la banque a-t-elle pu obtenir 4 ans plus tard, en 2011, votre mise en accusation ?
Je suis inculpé aujourd’hui pour avoir volé des biens qui sont toujours dans l’entreprise où rien ne manque. Le costume d’escroc que l’on veut me faire porter est vraiment trop mal taillé. D’abord parce qu’un escroc, quand ça va mal, part avec la caisse au lieu de remettre ses garanties personnelles. Moi, depuis octobre 2005, je n’ai plus pris un sou de mon entreprise ni directement ni indirectement mais j’ai tout entrepris pour la sauvegarder. Ainsi, nous avions en mars 2006, lorsque la banque a bloqué l’entreprise, un an de stock de blé dans nos silos de l’usine de Wroclaw. Ce blé était gagé à la banque qui y avait libre accès. Comme j’exigeais en octobre 2006 qu’elle retire ce blé de mes silos, la banque joua la montre et refusa de payer l’entreposage. La comédie dura 6 mois. La banque m’informa qu’elle me tiendrait responsable de toute perte. Or, le blé n’était plus ventilé ni assuré, il n’y avait ni eau ni électricité dans l’usine car la banque avait saisi tous nos comptes et refusait de payer. En mars 2007, la situation était intenable. À cette période de réchauffement, le blé peut être infesté par des insectes qui pullulent et, s’il fermente en silos, il devient une matière explosive. La vie de mes employés était donc en danger. J’ai donc adressé une énième mise en demeure à la banque de retirer son blé sous forme d’ultimatum. Un mois plus tard, sans réponse de la banque, j’ai vendu le stock de blé au locataire de l’entreprise qui l’a sauvé in extremis, en le traitant, et l’a utilisé pour la production de pâtes Malma, conformément au contrat de crédit. Pendant 18 mois, le Tribunal de faillite n’a pas fait usage se son droit d’annuler cette transaction, ce qui était facile car le blé était toujours à sa place dans l’usine. En outre, le Tribunal de Commerce a, en première instance, débouté la banque dans sa demande de restitution du blé. Le procureur de Wroclaw n’a d’abord pas retenu les accusations de la banque contre moi. Pourtant j’ai été inculpé et condamné en juin 2011 à deux ans de prison avec sursis et 3 ans d’interdiction de gérer, bien que le tribunal n’ait pas retenu que je devais une quelconque indemnité financière à la banque ! J’ai donc été condamné pour avoir extorqué… rien du tout !
Des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif corrompus
Croyez-vous encore dans l’impartialité de la justice polonaise ?
Dans l’impartialité de la justice polonaise, oui. Mais certains juges hélas n’y croient plus (rire) ! En 2006, le Tribunal civil de Varsovie a refusé tout droit à ma famille, actionnaire de Malma et garante de sa dette, de demander des réparations à la banque pour le sabotage de Malma ! Six mois plus tard le président de ce même tribunal de Varsovie devenait avocat de la banque contre moi. Parallèlement, il fut désigné conseiller du gouvernement polonais pour modifier le code des faillites. Il ne suffisait donc pas à la banque d’avoir poussé la carrière de l’épouse de l’Inspecteur Général des Banques (elle est aujourd’hui vice-présidente du conseil d’administration de la filiale hypothécaire de Pekao, au cœur du projet Chopin) ; la banque a aussi débauché le président du tribunal de Varsovie et le rémunérait lorsqu’il était le conseiller du gouvernement pour concevoir une loi scélérate, grâce à laquelle la procédure de faillite de Malma devint pour la banque trois fois moins coûteuse et donc possible, en reléguant les créances des travailleurs derrière celles de la banque. Voilà pourquoi la faillite de Malma ne fut décrétée qu’en 2010 après la promulgation de la nouvelle loi. Et, comble de hasard, notre juge de faillite n’est ni plus ni moins que la compagne du président (en 2006-2007) de la première institution financière du pays, le groupe d’assurance PZU qui par nature est en conflit d’intérêts avec Pekao SA ! Je laisse de côté toute la controverse sur le personnage lui-même. Me voici donc dans les mains d’une justice « impartiale » qui trouve régulier que l’administrateur judiciaire occupe arbitrairement les conciergeries des usines sans avoir préalablement dénoncé le contrat de location ; qu’il fasse fouiller systématiquement les sacs personnels des travailleurs de son locataire à leur sortie de l’usine, sous peine de ne pas les laisser rentrer chez eux (cela a duré tous les jours pendant un an et demi sans qu’aucun recours ne soit efficace) ; qu’il emploie sa propre famille pour liquider l’usine ; qu’en reprenant les usines, il renonce à un contrat d’assurance conclu en direct avec la compagnie d’assurance pour passer par un agent intermédiaire, et accepte de cet agent d’un jour à l’autre une augmentation de 50 % du taux d’assurance alors qu’in fine l’assureur est le même ! Mon actuelle inculpation pour avoir loué l’entreprise est d’autant plus cocasse qu’à l’époque où je saisissais cette opportunité miraculeuse, j’étais sous le contrôle du juge de faillite qui avait approuvé l’opération ! J’ajoute que j’ai été inculpé par le Parquet de Varsovie après trois ans d’enquête contre X, sans avoir pu consulter mon dossier ni être entendu par un procureur, une atteinte grossière aux droits de la défense qui m’a valu d’obtenir de l’Ambassade de France la protection consulaire ! On peut constater que toute action de ma part ou de mes travailleurs contre la banque ou Bielecki avorte systématiquement, tandis que moi je suis condamné pour des décisions prises avec le consentement d’un tribunal.
Doit-on y voir la main de Bielecki ?
Nous somme ici dans un pays où le pouvoir et le Parquet défendent les intérêts des banques et de Bielecki. Malma, principal producteur de pâtes polonais a été saboté par la banque italienne UniCredit en 2006, a repris son activité en 2007 puis a été sabotée une deuxième fois en 2010 par une justice dont le devoir était de défendre l’intérêt général, sur une loi votée au cours d’une séance nocturne par un parlement soucieux du même intérêt, une loi dont la rédaction par l’avocat de la banque est si déplorable qu’elle peut être appliquée en violation de toutes les normes de justice européenne sans que personne ne réagisse. Pour arrêter l’activité de son locataire, l’administrateur judiciaire de Malma est même venu dans la nuit, en août 2011 démonter illégalement des machines, c’est à dire les voler. Toutes ces actions brutales ont été menées avec l’aide de la police qui a outrepassé ses droits !
Le rôle de la mafia italienne
J’ai lu dans la presse qu’un Napolitain a été dépêché par l’administrateur judiciaire pour menacer les travailleurs de l’usine de Wroclaw. En lisant le fameux livre Gomorra de l’écrivain et journaliste italien Roberto Saviano, je n’ai pu m’empêcher de penser au rôle éventuel de la mafia dans votre affaire.
On peut légitimement s’interroger. En juillet 2011, un mois avant la saisie illégale de nos machines, ce Napolitain a été introduit dans l’usine de Wrocław par l’administrateur judiciaire, contre la volonté du locataire. Ce psychopathe entra, en brisant une porte, dans la halle de production et menaça une trentaine de personnes avec sa hache et son couteau de boucher. Bien que pris en flagrant délit par la police et arrêté, il fut relâché au bout de deux heures seulement sur demande de l’administrateur judiciaire. Nous avons retrouvé plusieurs photos sur Facebook de cet homme dînant avec l’administrateur judiciaire, en grande amitié. Moi-même et ma famille avons reçu des menaces par SMS. Toutes mes plaintes ont été systématiquement classées sans suite par le Parquet. J’en conclus que ce psychopathe est protégé par la Justice polonaise, d’ailleurs le juge le reçoit hors des audiences… et UniCredit a embauché son fils pour un salaire confortable. D’une manière générale, on dit que la mafia a beaucoup investi dans l’immobilier en Europe de l’Est. Clairement, mes mésaventures sont contemporaines d’un grand scandale mafieux en Italie concernant Pirelli et Telecom Italia, et moi je ne suis qu’une petite pièce du puzzle. Mais comme je me bats depuis six ans et que je n’ai aucune intention de me rendre, cette petite pièce du puzzle a déjà fait éclater la vérité sur beaucoup de choses. Quant au mal, on me l’a déjà fait, la banque a menacé ma famille chez moi, je n’ai plus aucun revenu, je n’ai pratiquement plus le droit de travailler. Si je m’en sors, c’est aussi parce que je suis beaucoup aidé par ma famille et mes amis et que j’ai d’excellents et fidèles avocats.
Pourquoi les médias ont-ils tant tardé à s’intéresser à votre affaire ?
Parce qu’elle n’est pas simple et que l’on ne raconte bien une affaire complexe que lorsque l’on en connaît tous les tenants et aboutissants. En outre, la pression de la banque sur les médias est très forte, grâce à la publicité et aux financements. Bielecki est encore un intouchable. Savez-vous que le président du conseil de surveillance d’Axel Springer, le deuxième groupe de presse de Pologne n’est autre que le président d’UniCredit ? Dans mon affaire, les journalistes sont soumis à des menaces. Ainsi en novembre 2006, un journaliste économique a eu l’impudence d’interroger Jan-Krzysztof Bielecki sur Malma. Il a été littéralement viré de son journal une demi-heure plus tard. Cela va vous surprendre, mais le premier journal qui a pris mon parti, c’est Nie (Non), l’équivalent polonais du Canard Enchaîné, dirigé par l’ancien porte-parole du Général Jaruzelski, donc un ancien dignitaire communiste. Lui ne survit pas grâce à la publicité. En octobre dernier, j’ai fait un piquet devant le siège du conseil des ministres, pendant un mois, tous les jours avec ma pancarte « Justice pour Malma », quatre heures par jour. C’est à ce moment que le journal Gazeta Wyborcza, le plus influent journal du pays, pourtant plutôt proche du pouvoir actuel, a commencé à s’intéresser à nous et même à soutenir notre cause.
Vos salariés n’ont plus de travail depuis un an…
Les salariés voudraient rester ou au moins être licenciés en touchant leurs indemnités. Comme je l’ai déjà dit, ils ne touchent ni salaire ni indemnité de chômage, ni RMI, ni RSA… rien. C’est une terrible épreuve et il faut beaucoup de courage pour lutter dans de telles circonstances.
La grève de la faim de Michel Marbot devant le parlement polonais
Pourquoi avez-vous entrepris une grève de la faim ?
Parce qu’à partir du moment où l’administrateur prend le contrôle d’une entreprise il prend conjointement, d’après la loi, le contrôle des salariés et il est responsable de la liquidation des contrats de travail. Le 30 août 2011, donc un an après la déclaration de faillite, l’administrateur a repris au locataire les machines, fermé les halles de production, puis il a dénoncé le contrat de bail mais sans reprendre les travailleurs chassés ainsi, avec le locataire, de l’usine où ils travaillent depuis plus de vingt ans. Pour aller où ? Ceux-ci l’ont assigné en justice et ont gagné en première instance, mais la cour d’appel a invalidé ce jugement en juin dernier. La Cour nous a adressé ses motifs six semaines après les délais légaux et ils sont absurdes. Elle estime que l’administrateur judiciaire peut reprendre l’usine sans les travailleurs car son rôle est de liquider la société et non de mener une activité. Vous imaginez à quels abus un tel raisonnement peut conduire ? La banque qui est la première responsable de la faillite de Malma va recevoir 20 millions d’euros au lieu de 10, et les travailleurs qui sont pourtant des créanciers privilégiés n’auront rien. Quand j’ai appris cela, j’ai voulu réagir très fort. Les travailleurs voulaient faire la grève de la faim et j’ai cru plus efficace de la faire moi même, seul.
Et vous vous êtes installé devant le siège du parlement polonais, à 100 mètres de l’ambassade de France…
Je dormais dans ma voiture. J’étais très rigoureux, buvant de l’eau et le soir un bouillon strictement liquide de légumes, toujours à l’air frais et très actif. Je pesais 75 kg au début de ma grève et 67,5 kg à la fin. J’ai donc perdu 7,5 kg en douze jours. J’ai eu beaucoup de chance car le deuxième jour de ma grève, le précédent ministre de la justice, M. Kwiatkowski, un homme du parti au pouvoir fort respecté et crédible, a déclaré à la presse que j’avais raison. Le journal Gazeta Wyborcza a titré : “Le Français qui aide les Polonais” et puis une semaine plus tard « Pour notre dignité et pour la vôtre » qui est une paraphrase de la devise de l’armée polonaise. L’hebdomadaire Tygodnik Solidarnosc du syndicat Solidarité a placé en couverture une photo prise durant ma grève et a publié une opinion catégorique du professeur de droit du travail Jerzy Wratny, membre de l’Académie des Sciences. Et puis j’ai eu le soutien très fort de plusieurs partis politiques de l’opposition parlementaire. Le parti conservateur PiS de Kaczyński avec notamment M. Ujazdowski, député de la ville de Wroclaw, le parti radical-vert RP de Palikot (gauche libérale anticléricale), dont le porte-parole Andrzej Rozenek avait écrit les articles dans Nie. Tous et mes amis de Cracovie ont convaincu de la justesse de ma cause l’actuel ministre de la justice, M. Gowin, ainsi que le Défenseur des Droits qui va porter l’affaire devant la Cour Suprême. Je me sens très fort moralement. Je suis déterminé. Je suis sûr qu’on ne me laissera pas mourir sur l’herbe devant le parlement, parce que je suis Français et un pionnier du redressement de ce pays pour lequel j’ai un immense attachement.
Votre grève vise donc à la reconnaissance des droits des travailleurs en cas de reprise des usines par l’administrateur judiciaire, mais vous avez aussi une deuxième exigence en faveur de retraités de Malma qui vivent sur le terrain de l’usine et à qui l’administrateur judiciaire aurait coupé le chauffage en hiver et l’eau en été…
En cas d’expulsion anticipée, la loi polonaise impose au propriétaire d’assurer à son locataire un logement de remplacement. Pour vider les terrains de Malma de ses occupants, l’administrateur judiciaire veut éviter d’indemniser non seulement les travailleurs mais aussi les locataires et il pense qu’en leur coupant l’eau et le chauffage, les locataires partiront d’eux-mêmes de l’usine et, pourquoi pas, de ce monde.
Et ils sont toujours dans la même situation après votre grève de la faim ?
Le Défenseur des Droits intervient mais l’administrateur judiciaire a osé lui répondre que l’eau ne manque pas. Une journaliste de radio Wnet, ainsi que le député local Ujazdowski, ont constaté que l’administrateur judiciaire ment. C’est honteux.
Le déficit de démocratie en Pologne et dans les anciens pays de l’Est
Vous avez aujourd’hui des soutiens très importants de tous bords. Or vous affrontez une somme de mauvaise foi impressionnante de la part de l’institution judiciaire polonaise. Qui gouverne donc aujourd’hui en Pologne, le gouvernement ou un réseau post-communiste ?
En Europe de l’Est, les institutions démocratiques sont encore trop jeunes. Beaucoup cherchent à profiter d’une certaine naïveté ambiante. Après la chute du communisme, 70 % des actifs bancaires du pays ont été vendus aux sociétés financières internationales, c’est trop. Quand on pense que Pekao SA, la deuxième banque du pays, a été vendue pour la valeur de l’argent qu’elle avait en caisse, cela donne à réfléchir. Et quand on pense que les retraites des Polonais sont gérées par des étrangers, cela fait froid dans le dos. Les privatisations n’ont pas été accompagnées d’un renforcement de l’État de droit. La Pologne est un pays qui a fait des réformes très courageuses et je suis fier d’y avoir participé, mais ce qui est regrettable, c’est que la justice n’a jamais été réformée. Dans beaucoup de pays la justice commerciale laisse à désirer, mais si la corruption et l’incompétence touchent à ce point la justice pénale et la justice du travail, c’est l’effet d’un grand déficit de démocratie. La justice est le fondement de la société et donc le plus important des pouvoirs.
Pensez-vous à ce sujet que l’hostilité en 2005-2007 contre les frères Kaczyński, en Pologne mais aussi en Europe, était due, comme pour le Hongrois Victor Orbán aujourd’hui, à leur programme de lutte contre la corruption qui s’attaquait aux intérêts puissants dont vous parlez ?
Je ne partage pas toutes les idées des frères Kaczyński et ils ont certainement fait des erreurs, comme tout le monde, mais ce sont des hommes dont j’ai beaucoup admiré le courage et la détermination lorsqu’ils se sont attaqués aux plus puissants groupes d’intérêts. Ils ont fait en deux ans des réformes fondamentales dont la Pologne profite encore. Je pense par exemple à la réforme de la profession d’avocats. Il y avait en Pologne très peu d’avocats en titre, et ceux-ci désignaient eux-mêmes leurs successeurs par un examen oral. Ce petit monde évoluait en vase clos, miné, sous couvert de professionnalisme, par le népotisme et corruption. Les Kaczyński, envers et contre tous, ont ouvert le métier en imposant des concours écrits. Par ailleurs, ils ont défendu bec et ongles les intérêts de la Pologne dans les institutions européennes. Ils ont aussi imposé une baisse des taux d’intérêts qui a favorisé la croissance économique qu’ils portèrent, sous leur gouvernement, à 6 % l’an. Je regrette qu’aujourd’hui la Pologne soit gouvernée non pas par un mauvais parti, car il y a des gens très bien au sein du PO (Plateforme civique, le parti libéral), mais par une clique au sein de ce parti, dont le gourou est Jan-Krzysztof Bielecki. Or, sa cellule travaille auprès du premier ministre en toute opacité. Le système judiciaire est gouverné par un conseil de la magistrature désigné par les magistrats eux-mêmes, donc non démocratique (même si c’est le Président de la République qui signe les décrets de nomination, sans avoir son mot à dire). Il fonctionne lui aussi en vase clos depuis la chute du communisme. Le parquet est devenu indépendant du gouvernement, mais la grande question est de savoir de qui il est maintenant dépendant.
C’est ce qu’on a vu avec l’enquête sur la tragédie de Smolensk où est mort le président de la république Lech Kaczyński et 94 personnalités de premier plan de la majorité, de l’opposition, des corps constitués, de l’armée.
En renonçant à la recherche de la vérité, le gouvernement laisse la voie libre à toutes les spéculations et cela favorise l’irrationalité du débat. C’est très mal et cela divise la nation en chapelles qui vivent côte à côte en s’ignorant. On retrouve ce manque de dialogue dans le domaine social. Les gens ont peur de parler, de se parler pour tirer du dialogue un progrès. Il y a un déficit de démocratie. Or la démocratie, c’est le choix du peuple. Churchill avait raison de dire que « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Et lorsque je vois l’état de la justice polonaise je pense à ce mot de De Gaulle : « L’armée est une chose trop sérieuse pour la confier aux militaires. » De même, la justice est trop sérieuse pour la confier aux juges et aux procureurs. La première réaction aux scandales politico-économiques qui secouent la majorité au pouvoir a été la proposition de confier les nominations dans les entreprises d’État à un comité d’experts inamovibles. Ce projet permettrait à Bielecki et à sa clique de conserver leur pouvoir économique sans avoir à se soucier des élections.
Un combat mu par la foi en Dieu
J’ai vu sur le profil Facebook mis en place par votre fille pour faire connaître votre combat des appels à la prière pour vous soutenir, et je me demandais donc si vous êtes croyant, si votre foi est un moteur de votre action…
Ce n’est pas un mystère ! Un entrepreneur vit de foi et d’optimisme. Si on n’a pas la foi, il est difficile de se lancer dans de grandes aventures. Je suis un catholique ouvert car j’ai beaucoup voyagé. J’apprécie les gens qui ont une foi, une position philosophique, et ont le courage de la proclamer. C’est la leçon de Jean-Paul II : l’œcuménisme est un forum où chacun sait et ose s’affirmer dans le respect de l’autre. Le bon compromis est celui où personne ne perd son âme. Un grand rapprochement spirituel est en cours par la force des choses car le monde est de plus en plus imbriqué. Étant confronté tous les jours à mes propres faiblesses, j’essaye de regarder les faiblesses des autres avec indulgence. Pendant six années, j’ai dû attaquer pour me défendre. Les mesquineries et les erreurs de la banque, les incohérences et la partialité de l’institution judiciaire ont soudain mis en lumière la justesse de ma cause. Ma grève de la faim m’a donné une force, celle de pouvoir enfin énoncer mes intentions, sans être mis en doute. Aujourd’hui il est enfin clair que la banque n’a jamais eu l’intention de sauver l’entreprise et les emplois et que moi, au contraire, j’ai toujours tout fait pour qu’elle continue de fonctionner et qu’elle permette à ses travailleurs de vivre dignement. Aujourd’hui je domine ce combat éminemment éthique, un combat fondamental pour mes travailleurs, pour la Pologne, pas pour mettre en exergue les faiblesses de ce pays mais au contraire pour qu’il persévère dans son courage. Pendant ma grève de la faim, le légat du Vatican m’apportait la communion tous les jours. L’hostie, comme l’amitié et la solidarité de ceux qui sont venus me voir régulièrement et que je remercie du fond du cœur, sont une nourriture spirituelle à laquelle on est encore plus sensible pendant une grève de la faim. J’écoutais 20 fois par jour la chanson de Jacques Brel, « Quand on n’a que l’amour », et cela remplaçait un repas. Ces 12 jours ont été pour moi une renaissance et sûrement pas un suicide. On n’aurait jamais entendu ma voix sans cet acte fondamental et mobilisateur. L’information parut à l’étranger sur la base de dépêches de l’AFP, celles de mon père et de notre sénateur Jean-Yves Leconte, de Dominique Torres, d’Annie Kahn, de Marguerite Rey et de mon ami Philippe Marini reprises dans Le Figaro, dans La Libre Belgique et dans Nouvelles de France. Au bout de quelques jours, la présidente de la Diète, la chambre basse du parlement polonais, Madame Ewa Kopacz, m’a fait savoir que les motifs de mon action pouvaient porter grand tort à l’image de son pays, et que si ma grève devait continuer elle prendrait une initiative forte de soutien. Les Polonais sont très sensibles à l’image de leur pays à l’étranger, alors je les retrouve plus que jamais dans ce combat pour la justice et le respect de la dignité humaine.
De notre correspondant permanent en Pologne.
Voir aussi :
> le message vidéo de Michel Marbot à la fin de sa grève de la faim.
Lire aussi :
> La grève de la faim d’un patron français en Pologne pour défendre ses salariés
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