Armes et libertés

Tribune libre de Gabriel Privat*

Depuis la tuerie de Newton, dans le Connecticut, qui fit 26 morts, le gouvernement de Barack Obama en tient pour le contrôle des armes. Les règles proposées semblent du bon sens à nos yeux de Français, avec l’interdiction de la diffusion d’armes de guerre, la limitation de la taille des chargeurs ou la vérification des antécédents judiciaires des acheteurs. Mais aux États-Unis, terre de libertés en matière de possession d’armes à feu, c’est une révolution, presque une atteinte au 2e amendement qui, depuis la Révolution américaine, sacralise le principe de la possession d’armes par les particuliers dans un but d’autodéfense.

Regardons calmement les choses.

Voici tant d’années que la diffusion d’armes est parfaitement libre qu’il sera impossible au gouvernement, en admettant qu’il puisse parvenir à ses fins, de contrôler le flux de circulation de celles-ci. Il y a, aux États-Unis, des millions d’armes à feu de tous calibres, possédées par des particuliers. Le contrôle des armes handicapera les nouveaux acheteurs mais ne pénalisera pas les possesseurs actuels. Qui plus est, les gangsters, eux, pourront toujours s’en procurer par des filières parallèles. Si le but est d’empêcher de nouvelles tueries, on peut craindre que la mesure soit inefficace. En effet, d’une part les armureries battent des records de ventes depuis le massacre de Newton, tant les particuliers craignent d’être victimes de restrictions à venir. Par ailleurs, rien n’empêchera un déséquilibré de commettre son forfait, vu le volume de matériel diffusé. Il lui sera aisé de se procurer des armes, s’il n’en a pas déjà un stock conséquent.

Dès lors, le but humaniste affiché est-il réel ? Ou bien le gouvernement Obama n’a-t-il pas trouvé, dans ce fait divers dramatique, un prétexte pour donner à l’État fédéral le droit, inédit, de limiter cette liberté fondamentale des citoyens américains ? La deuxième solution semble d’autant plus vraisemblable que le président Obama souhaiterait également établir un fichier des propriétaires d’armes. La constitution fédérale du pays rendra la mise en pratique de ces propositions difficile. Mais l’intention est là.

Certes, le nombre de morts par armes à feu aux États-Unis, un des plus élevés du monde, est impressionnant, et semble justifier une telle législation. Mais à y regarder de plus près, le problème américain ne serait-il pas culturel, avec une plus grande imprégnation de la violence dans la population ? Dès lors on devrait surtout souhaiter une réforme des mentalités par l’éducation à l’école et dans les familles, plutôt qu’une législation restrictive de libertés. En effet, tant qu’on sache, le nombre de morts par armes à feu est relativement faible au Canada et en Suisse alors que la législation sur la possession d’armes y est très libérale. Notamment, en Suisse, on compte 46 armes pour 100 habitants, sachant que les réservistes et les jeunes hommes effectuant leur service militaire possèdent leurs armes de service chez eux. La pénétration du matériel de guerre dans les foyers y est donc très importante, sans que cela porte particulièrement à conséquence dans la criminalité. On doit bien conclure à un problème de mentalités américaines qu’une législation liberticide ne pourra pas régler.

“Le nombre de morts par armes à feu est relativement faible au Canada et en Suisse alors que la législation sur la possession d’armes y est très libérale.”

Penchons-nous maintenant sur le principe de la possession d’armes en lui-même. C’est le principe de liberté qui la justifie. Il s’agit de l’idée selon laquelle les hommes libres doivent être prêts à assurer eux-mêmes leur défense. Ce principe conduit à une législation souple aux États-Unis sur la légitime défense, notamment en cas de violation de domicile, et à la présence d’une importante garde nationale, héritière des « minutemen » de la Révolution américaine, armée citoyenne prête à défendre le sol national en cas d’agression. Cette garde nationale envoya même quelques unités en Irak en 2003. Cette disponibilité du citoyen américain pour défendre son sol et ses libertés semblent de bon sens. En effet, un État bienveillant est en mesure, dans des situations exceptionnelles, d’attendre d’autant plus de dévouement et d’esprit de sacrifice de la part d’hommes qui ont intégrés l’idée qu’ils sont une nation d’hommes libres et que la préservation de cette liberté a un prix. La liberté, y compris en temps de paix, s’incarne. Les armes à feu semblent une incarnation des plus parlante de cet esprit. Le véritable souci réside plus, on ne le dira jamais assez, dans un certain état d’esprit culturel dans le rapport à la violence, que ne connaissent pas nombre d’autres pays pourtant libéraux en matière de possession et diffusions d’armes, comme le Canada, la Suisse, mais aussi la Belgique, la Finlande (avec 56% de Finlandais possédant une arme chez eux).

On peut supposer que les velléités du gouvernement Obama sont vouées à l’échec tant l’état d’esprit américain est fortement favorable à cette liberté.

Qu’en est-il en France, pays qui nous intéresse plus particulièrement ? La situation y est pour le moins trouble. L’esprit d’autodéfense a pour ainsi dire disparu. La garde nationale, fondée durant la Révolution par La Fayette, héritière des anciennes milices bourgeoises nées au Moyen Âge, fut le ferment d’un esprit de libertés exacerbé, qui conduisit ces soldats à mener, à Paris, la plupart des émeutes révolutionnaires, jusqu’à la dissolution de ses régiments en 1871 après la Commune. Outre la garde nationale existaient des unités de gardes mobiles, jeunes appelés au service militaire chargés de missions moins opérationnelles que les conscrits incorporés dans les régiments de ligne. La réserve opérationnelle, fondée après la guerre de 1870, n’a jamais connu le succès espéré. Actuellement, les trois armes (Terre, Air, Mer) comptent un peu plus de 55 000 réservistes et la gendarmerie 40 000, effectuant des périodes de manœuvres plus ou moins longues selon la disponibilité de chacun. L’esprit d’engagement des citoyens français au titre de la défense du territoire national et de la capacité à donner son sang pour sauver les libertés semble donc assez faible.

Cette faiblesse structurelle est due autant à la méfiance traditionnelle de l’État jacobin issu de la révolution de 1789 envers toute forme de défense armée qui ne serait pas sous son total contrôle ; qu’à la législation de plus en plus restrictive en matière de possession et diffusion d’armes à feu en France. La chasse et le tir en club, sports nobles s’il en est, subissent depuis de nombreuses années désormais une véritable propagande des anti, faisant passer ces sportifs pour de doux imbéciles alcooliques, des frustrés de la gâchette ou des cas sociaux. Les sketchs moquant les chasseurs, s’appuyant sur les pires caricatures des disciples de Saint Hubert, ne manquent pas. Les amateurs d’armes sont donc des imbéciles. Quant aux armes elles-mêmes, l’achat est devenu extrêmement limité depuis l’évolution de la législation en 1995. Les armes font toutes l’objet d’une déclaration. Les armes de chasse à un seul coup, ou les armes de faible calibre peuvent être légitimement possédées, mais les armes utilisées dans les clubs de la Fédération française de tir sont soumises à une autorisation renouvelable de trois ans en trois ans. Autrement dit, en dépit de l’achat régulier de l’arme, sa possession définitive n’est jamais assurée. Le stock de cartouches est lui-même limité. Ainsi, les armes ne sont tolérées que dans le cadre de leur destination pour la chasse ou le tir en club, mais certainement pas dans un esprit de défense.

“D’après le syndicat des armuriers, 32% des Français posséderaient une arme à feu, et 10 000 000 d’armes circuleraient en France, parmi ces honnêtes gens, mais sans être déclarées.”

L’argument invoqué est la lutte contre la criminalité. Regardons les chiffres ; en 1979, période de libre circulation et libre possession des armes en France, le nombre de morts par armes à feu, impliquant une très large majorité de suicides, était de 2713 décès. Au fur et à mesure que nous progressons dans les années 1980, le nombre de décès augmente dramatiquement, mais, considérant que la législation n’a pas changé, peut-être faudrait-il imputer cette évolution à d’autres critères ; montée des suicides avec la crise économique et augmentation de la criminalité. Le pic fut atteint en 1993 avec 3789 morts par armes à feu. Les chiffres déclinaient déjà légèrement en 1994 et 1995, donc avant la législation Balladur. Depuis lors, sans doute grâce à la loi et au recul de la possession d’armes chez les particuliers, le nombre de morts n’a cessé de décroître, pour atteindre de nouveau, en 1999, son niveau de 1979 avec 2607 morts. Mais c’est par la coercition que le niveau de décès de la période libérale a été retrouvé. Si nous rentrons dans le détail, le nombre de décès par suicides suit exactement la courbe déjà présentée. Concernant le nombre d’homicides par armes à feu, il est notable que les chiffres ont diminués à partir de cette législation pour se stabiliser autour de quelque 200 morts par an. En termes de réductions du nombre de morts, c’est donc une réussite. Mais une réussite qui s’est opérée au prix de la suppression de libertés. Pouvait-il en être autrement ? L’exemple suisse est une fois encore éloquent d’un État qui parvient à rester libéral en matière de protection du principe de défense citoyenne tout en comptant un nombre de décès par armes à feu parmi les plus bas du monde.

Cette législation restrictive a surtout pour conséquence pratique d’amoindrir l’esprit de défense citoyenne en France, de mener la vie dure au million de chasseurs de français et à la centaine de mille de tireurs sportifs tandis que l’esprit d’incivilité, lui, au contraire se développe, dans le même domaine. En effet, alors que l’État veut assumer la totalité de la défense par les armes, amoindrissant cet esprit chez les citoyens, il promeut, bien malgré lui, un esprit incivil qui conduit ces mêmes Français à cacher leurs armes. D’après le syndicat des armuriers, 32% des Français posséderaient une arme à feu, et 10 000 000 d’armes circuleraient en France, parmi ces honnêtes gens, mais sans être déclarées, puisque pour l’État, il y a moins de 3 000 000 d’armes soumises à déclaration ou à autorisation en circulation. Parallèlement, les ventes d’armes illégales au profit du banditisme ne cessent de croître, d’années en années, d’après l’observatoire national de la délinquance. Pour tout dire, l’extrême rigueur dans le contrôle des armes par les honnêtes gens a conduit, suivant une pente historique (rappelons que, déjà en 1939, la détention d’armes était sévèrement contrôlée), à un recul de l’esprit de défense citoyenne et à la promotion, en parallèle, d’un esprit de défiance et de dissimulation des stocks vis-à-vis d’un État qui ne sait plus inspirer la confiance, ce qui n’est pas sans poser problème face à une éventuelle crise politique majeure où il deviendrait nécessaire de faire appel aux propriétaires d’armes pour contribuer à la défense. Cette rigueur se double d’une incapacité à contrôler l’approvisionnement des gangsters en armes de guerres. Une fois encore, notre pays s’est endormi sur un volcan.

*Gabriel Privat est professeur d’Histoire. Il anime un blog.

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5 Comments

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  • Athanase , 4 février 2013 @ 8 h 46 min

    Une autre raison fondamentale qui fait le socle du 2e amendement de la constitution américaine : c’est la nécessité que la population libre puisse le rester en face d’un gouvernement tyrannique. Dans un tel cas, la population a les moyens et la force (puisque celui qui a la force est celui qui a la puissance de feu) et même le devoir de renverser un état qui ne respecte plus le contrat de servir le bien commun. Il ne s’agit pas de la mentalité révolutionnaire française ni d’esprit anarchiste (renverser pour renverser) mais de préserver le bien commun (well fare) et l’esprit de la constitution dont chaque amendement fait partie des autres pour former un tout cohérent. S’attaquer au 2e amendement c’est s’attaquer à tous les autres et par là, c’est clairement la volonté d’Obama, de déconstruire ce qui a fait les Etats-Unis et l’esprit des pères fondateurs. Ce qu’Obama veut c’est une Amérique sociao-marxiste, post-américaine et post-chrétienne c’est à dire ce que nous voyons déjà ici chez nous dans cette vieille Europe fatiguée, livrée aux tyrans et n’ayant même plus le ressort, les idées et la volonté de défendre son bien.

  • conneriephobe , 4 février 2013 @ 9 h 08 min

    Ce n’est pas la possession d’armes à feu – sauf peut-être les fusils d’assaut et autres armes de guerre – dans les foyers qui devrait mobiliser le gouvernement d’Obama mais les saletés de médicaments prescrits de façon systématique à des personnes psychiquement fragiles et qui finissent par les rendre fous ce qui expliquerait leur passage à l’acte.

    Des études américaines démontrent que tous les derniers auteurs de tueries suivaient un traitement contre la dépression avec des remèdes pires que leur mal.

    Personnellement, cela me fait beaucoup plus peur. A quand le prochain massacre ?

  • leclerc , 4 février 2013 @ 10 h 27 min

    le petit Français blanc et interdit d’avoir une arme chez lui sans etre inscrit a un club ou autre alors que les attaques de banque et autre se font par des etrangers qui ont tout armes de guerre explosif sans etre inquietes celà et il normal ???????

  • bernique , 4 février 2013 @ 10 h 31 min

    Dépression, surtout chez les jeunes auteurs des dernières tueries, due à une addiction à la TV et aux jeux video violents, l’un renforçant l’autre dans un contexte d’éducation familiale de plus en plus réduite et “cocooneste” !

  • degadesatataouine , 4 février 2013 @ 18 h 32 min

    Pour les Etats-Unis il faut ignorer l’excuse fétichiste de la Constitution à laquelle , comme toutes les constitutions, on fait dire ce que l’on veut suivant les spécialistes chargés de l’interpréter.
    Une constituton qui n’ a pu prévenir une guerre civile qui fit 600.000 morts malgré autant de références à Dieu y compris sur les billets de banque, “In God we trust”,il y a de quoi rigoler quand même.
    Comme le dit l’auteur le problème est culturel ,inévitable avec des cinglés de la détente descendants dans leur énorme majorité des couches faméliques et sous développées européennes, mais suggérer de changer les mentalités n’est ce pas invoquer ce qu’un libéral ne poura appeler autrement que de la ” propagande étatique”?
    Et comment ce “pouvoir tyrannique” pourrait -il prendre naissance contre la volonté des lobbies et les armes de ses” braves” citoyens?

    Ceci dit l’arme à domicile présente deux dangers qui justifient son interdiction:
    -l’accident et il suffit de se rapporter aux pertes subies en Algérie durant le maniement ou le nettoyage de l’arme pour en être convaincu alors qu’il s’agissait d’un personnel entraîné à son maniement et contrôlé.
    Personnellemnt j’ai,alors enfant, manqué de peu de tuer un camarade en jouant avec le pistolet de son colonel de père que nous avions trouvé et ce fut une bonne leçon pour ne pas laisser traîner une arme dans ma famille..
    -sa disponibilité au moment d’une émotion intense avec les conséquences meurtrières qui en découlent.

    Enfin ,sur le principe :c’est à l’Etat d’assurer la sécurité des biens et des personnes et s’il ne le fait pas c’est que le peuple a le gouvernement qu’il mérite et armé ou pas armé, sa nature débile ne changera pas.
    En outre pour des partisans de la Loi et de l’Ordre,remettre en question ce principe indiscutable apparait paradoxal à moins que Loi et Ordre soient incompatibles avec Libéralisme ce qui n’est pas impossible.

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