L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe implique un droit d’égal accès aux techniques de procréation artificielle avec les couples mariés hétérosexuels.
Tribune libre de Grégor Puppinck, avec la collaboration d’Andreea Popescu*
En droit français, le mariage est l’institution par laquelle un homme et une femme s’unissent pour fonder une famille avec la protection de la société. Indissociable de la famille, le mariage est une institution au service de cette dernière.
De même, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît à « l’homme et la femme », à « partir de l’âge nubile », « le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Se marier et fonder une famille est un seul et même droit, car la famille est la finalité du mariage. Interprétant cet article, la Cour européenne des droits de l’homme a énoncé que « le but poursuivi [par l’article 12] consiste essentiellement à protéger le mariage en tant que fondement de la famille » (1), car la famille est « la cellule fondamentale de la société » (2), « l’élément naturel et fondamental de la société » (3), l’« unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants » (4). Tout cela est excellent.
Plus encore, toujours selon la Cour, « le mariage confère un statut particulier à ceux qui s’y engagent. L’exercice du droit de se marier est protégé par l’article 12 de la Convention et emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques » (5). Par ce statut, les couples mariés bénéficient du soutien de la société pour fonder une famille, car ils contribuent au bien commun. Ce statut confère des droits et obligations spécifiques.
Un État ne peut pas accorder à deux personnes le droit de se marier puis leur refuser la faculté de fonder une famille. Ce serait offrir un droit formel (la cérémonie) vidé de sa substance (la fondation d’une famille) (6). L’obligation de l’État à cet égard est d’abord négative ; il ne doit pas empêcher un couple marié d’avoir des enfants selon les voies naturelles et/ou légales. De plus, une fois mariés, l’État ne peut plus faire de distinction entre les couples dans la jouissance des droits attachés au mariage.
Ainsi, permettre aux couples de même sexe de se marier a non seulement pour effet, mais plus encore pour finalité même de leur reconnaître ou accorder la faculté de fonder une famille. Cette faculté peut s’exprimer par l’adoption ou la procréation artificielle qui est ouverte à tout couple marié. L’exercice de cette faculté bénéficie de la protection de la Convention, notamment contre les discriminations, en ce qu’elle constitue une composante importante de la vie privée et familiale (affaire Costa et Pavan c. Italie,28 août 2012, n° 54270/10).
S’agissant de l’adoption, la Coureuropéenne des droits de l’homme s’est prononcée récemmentdans une affaire concernant le rejet de la demande d’adoption d’un enfant mineur formée par la compagne homosexuelle de la mère de l’enfant (Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012). La Cour a alors rappelé que la Convention garantit seulement à l’homme et à la femme le droit de se marier, et « n’impose pas aux gouvernements des États parties l’obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel » (7) et qu’aucun « droit au mariage homosexuel ne peut pas non plus se déduire de l’article 14 [non-discrimination] combiné avec l’article 8 [protection de la vie privée] » (8). Elle a de plus constaté qu’un couple (homosexuel) non marié n’est pas « dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés » (9). C’est cette différence de situation juridique qui permet à la Cour de ne pas conclure à une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans la possibilité d’adopter l’enfant du partenaire de même sexe. Par conséquent, à défaut d’une telle différence de statut, c’est-à-dire en cas d’ouverture du mariage aux couples homosexuels, il serait alors discriminatoire de leur refuser par principe la faculté d’adopter.
“N’est il pas merveilleux de constater la puissance acquise par la loi, qui, par sa capacité de fiction juridique, a le pouvoir de créer un « droit naturel à la procréation artificielle », de naturaliser l’artifice, et « d’égaliser » toutes les différences, même les plus évidentes ?”
S’agissant de la procréation artificielle, l’arrêt Gas et Dubois est aussi important. Dans cette affaire, la Cour a jugé que réserver l’insémination artificielle avec donneur anonyme de sperme (IAD) aux couples hétérosexuels infertiles n’est pas discriminatoire car, d’une part les couples hétérosexuels et homosexuels ne sont pas en tout comparables, et d’autre part, parce que l’accès à cette technique est, en France, « subordonné à l’existence d’un but thérapeutique » (§63). Or, en droit français, ce but thérapeutique doit viser notamment à remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté ou à éviter la transmission d’une maladie grave. Or, l’infertilité des couples homosexuels n’est pas causée par une telle pathologie physique. Il s’agit ici d’une prise de position très importante, car la stratégie des militants homosexuels est de se placer sur le terrain du droit à l’accès aux soins de santé. Or, leur infertilité n’a pas une cause physiologique, et la fonction de la médecine n’est pas d’exaucer artificiellement les désirs d’enfants, ou de mettre en œuvre un droit à l’enfant que les couples auraient acquis envers la société. Cela étant, dès lors que l’État s’engage à aider les couples stériles et infertiles (10) à fonder une famille par la procréation artificielle ou médicalement assistée, il lui sera très difficile dans les faits de le refuser aux couples mariés de même sexe en raison du caractère extensif du principe de « non-discrimination » et de l’évolution de la médecine au-delà de sa finalité thérapeutique.
Ainsi, bien que « l’orientation sexuelle » ne figure pas parmi les motifs interdits de discrimination définis dans la Convention (art.14), la Cour l’a progressivement introduit et a élevé à un degré très élevé de protection, au point de le faire prévaloir parfois sur des droits garantis explicitement par la Convention (11). Ainsi, à ce jour, « comme les différences fondées sur le sexe, les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves » (12). En outre, la marge d’appréciation laissée à l’État par la Cour à cet égard est restreinte (13). Pour la Cour, « discriminer c’est traiter différemment, sans aucune justification objective et raisonnable, des personnes se trouvant objectivement dans la même situation ou dans une situation similaire » (14). Pour pouvoir traiter différemment les couples hétérosexuels et homosexuels, les États doivent prouver que cela est absolument nécessaire pour la préservation de la famille « au sens traditionnel du terme » ; cela n’est possible qu’à la condition que l’État ait la volonté de préserver la famille traditionnelle comme fondement de la société, et de la distinguer des autres formes de vie familiale. Si l’État y a renoncé en permettant le mariage homosexuel, la différence de traitement peut alors sembler discriminatoire aux yeux (de la plupart) des juges de Strasbourg, en tout cas en l’état actuel des rapports de force idéologiques au sein de la Cour.
La construction jurisprudentielle des droits familiaux des personnes et couples homosexuelles a été réalisé par la déconstruction puis par la reconstruction du « droit de se marier et de fonder une famille ». Ce droit a d’abord été déconstruit en deux droits distincts par la séparation du mariage et de la procréation. À l’occasion d’une affaire de transsexualisme, il y a dix ans, la Cour a estimé que les couples transsexuels doivent pouvoir se marier car « l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit [de se marier] » (15). Pour cela, la Cour a consacré la théorie du genre en se déclarant n’être « pas convaincue que l’on puisse aujourd’hui continuer d’admettre que ces termes [l’homme et la femme] impliquent que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques. Depuis l’adoption de la Convention, l’institution du mariage a été profondément bouleversée par l’évolution de la société… » (16). Dans un second temps, actuellement, le mouvement est au réassemblage du droit dans sa forme initiale (unité entre le mariage et la procréation) afin de permettre à tout couple marié de fonder une famille par l’accès à l’adoption et/ou aux techniques de procréation médicale assistés.
Le droit de se marier et de fonder une famille est redevenu un droit naturel, il en a recouvré toute la puissance normative, mais entre temps, c’est la réalité naturelle qui a changé pour inclure les couples de même sexe, naturellement infertiles, mais artificiellement susceptibles « d’avoir » des enfants. Ainsi, finalement, n’est il pas merveilleux de constater la puissance acquise par la loi, qui, par sa capacité de fiction juridique, a le pouvoir de créer un « droit naturel à la procréation artificielle », de naturaliser l’artifice, et « d’égaliser » toutes les différences, même les plus évidentes ?
Alors même que l’homosexualité est traditionnellement perçue comme antinaturelle, elle a d’abord été revendiquée par le mouvement homosexuel comme étant contre-naturelle, comme expression de la liberté subversive de l’homme face à la nature, de la supériorité de sa subjectivité sur l’objectivité. À l’inverse, on assiste aujourd’hui à une remobilisation de la nature par le « lobby gay » lui-même pour obtenir, si cela était possible, une normalisation sociale, non plus revendiquée comme liberté, mais présentée comme une fatalité. Une fatalité dont l’injustice devrait être compensée par la société, au nom de l’égalité de tous face à la vie, et au désir de bonheur.
*Grégor Puppinck est docteur en droit, directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), Andreea Popescu est juriste à l’ECLJ après avoir occupé ces mêmes fonctions à la Cour européenne des droits de l’homme.
1. Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni, nos 22985/93 et 23390/94, [GC] arrêt du 30 juillet 1998, § 66 ;
2. Charte Sociale européenne de 1961 ;
3. Article 16 § 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 23 §§ 1 et 2 du Pacte International sur les droits civils et politiques de 1966, article 10 § 1 du Pacte International sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966, 5ème et 6ème considérants du Préambule de la Convention sur les droits de l’enfant, article 16 de la Charte Sociale européenne (révisée) de 1996, article 33 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 1989, les Résolutions 1720 (2010) 1864(2012) de l’APCE des 19 janvier 2010 et 27 janvier 2012 respectivement ;
4. La Convention internationale des droits de l’enfant ;
5. B. et L. c. Royaume-Uni, § 34 ;
6. Rees c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, série A no 106, p. 19, § 50 ; F. c. Suisse, n° 11329/85, 18 décembre 1987, A-128 § 32, Sheffield and Horsham c. Royaume-Uni, n° 22985/93 et 23390/94, [GC] arrêt du 30 juillet 1998, § 66; B et L c. Royaume-Uni, 36536/02, arrêt du 13 septembre 2005, § 34
7. Schalk et Kopf, précité, §§ 49 à 64
8. ibid., § 101
9. Gas et Dubois c. France, n° 25951/07, arrêt du 15 mars 2012, § 68 ; Burden, § 63 ; Joanna Shackell c. Royaume-Uni (déc.), no 45851/99, 27 avril 2000 ; Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999-VI, Lindsay c. Royaume-Uni (déc.), no 11089/84, 11 novembre 1986 ; et Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, 2 novembre 2010 ;
10. Les articles L. 2141-1 et suivants du code de la santé publique ; Aux termes de l’article L. 2141-2 du même code, la PMA n’est autorisée en France que dans un but thérapeutique en vue de « remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué » ou « d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité ». La PMA est autorisée au profit d’un homme et d’une femme formant un couple, en âge de procréer, mariés ou justifiant d’une vie commune.
11. Eweida et autres c. Royaume Uni, 15 janvier 2013, no. 48420/10, 59842/10, 51671/10 and 36516/10.
12. Karner c. Autriche, n° 40016/98, arrêt du 24 juillet 2003, § 37
13. Karner c. Autriche, § 41 ;
14. Gas et Dubois c. France, n° 25951/07, arrêt du 15 mars 2012, § 58 ;
15. Christine Goodwin c. Royaume-Uni, [GC], no 28957/95, arrêt du 11 juillet 2002, § 98.
16. Christine Goodwin c. Royaume-Uni, [GC], § 100.
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