Temps des fêtes, temps des cadeaux, temps des dons et de la générosité… Alors, entre le chapon et la bûche, on nous glisse, l’air de rien, un petit amendement sur le don d’organes : à partir de janvier, c’est-à-dire demain, toute personne qui n’aura pas expressément signifié son refus d’être débitée en morceaux post-mortem (et la frontière n’est pas toujours si sûre…) pourra être « prélevée ».
En droit, la chose figure déjà dans la loi Caillavet depuis le 22 décembre 1976. Celle-ci stipule en effet que « des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement »». Mais d’aucuns vous diront que, pour prélever, il faut que le mort soit encore frais, si l’on peut s’exprimer ainsi, et qu’on a vu parfois des gens resurgir de cet entre-deux qui échappe à la science. Bref, on considère que toute personne est par principe consentante. Toutefois, comme c’est à elle de consentir – ce que, par définition (rappelons qu’elle est morte), elle ne peut faire -, on consulte généralement les familles. Lesquelles se montrent plus réticentes.
Alors, bien sûr, comme toujours, c’est notre égoïsme qui est pointé du doigt. Comme le rapporte Le Monde, 79 % des Français sont favorables au don d’organes mais seulement 67 % des patients donnent réellement. Ainsi, « en 2015, selon les chiffres de l’Agence de la biomédecine, 64 % des oppositions aux prélèvements étaient le fait de l’entourage, contre seulement 35 % du fait du défunt lui-même ». Et 553 personnes sont mortes l’an passé faute d’un greffon disponible. On vient donc d’ajouter à la loi l’amendement qui réglera le problème : il faudra, désormais, signifier son refus, soit par une inscription sur le « registre du refus » via Internet, soit en confiant à l’un de ses proches un document qui le précise.
Il est bien difficile d’aborder cette question sereinement, comme tout ce qui touche à l’entourage de la mort. Un mot honni : la mort. Une réalité que le monde médical, et plus largement la société, ont évacuée jusqu’à vouloir la nier – et même prétendre la supprimer ! On ne meurt plus, on décède, puis on est DCD. Et pas chez soi, surtout. Non, à l’hôpital, dans le ronflement des machines et des écrans, entre les tubes qui soufflent, ceux qui injectent et ceux qui pompent. Quelle part d’humanité nous laisse-t-on, à l’heure de notre mort ? Quel choix, puisqu’on prétend nous donner à choisir entre la découpe (pardon, le don) et l’intégrité ?
Quiconque n’a pas eu à fréquenter un service de réanimation ne sait pas quelles tortures on inflige pour un hypothétique maintien en vie, sans considération de ce que sera cette vie si jamais elle perdure. Parce qu’il ne faut pas mourir – ce qui serait un échec de la médecine toute-puissante -, on enferme des âmes dans des corps-prisons qui jamais ne retrouveront la moindre autonomie. C’est cela, une vie digne ?
Le problème n’est pas le don d’organes. Déjà, on nous greffe des morceaux de veau ou de cochon qui font très bien l’affaire. Demain, nous serons tous en kit, ou peu s’en faut. Le problème de notre société, c’est d’accepter la mort.
Marie Delarue – Boulevard Voltaire