Présent
Un entretien avec Camille Galic
Propos recueillis par Catherine Robinson
Avec la hauteur de vue que nous lui connaissons, Camille Galic signe une singulière et passionnante biographie d’Agatha Christie dans la collection « Qui suis-je » des éditions Pardès. Elle nous livre le portrait d’une femme qui tient une place exceptionnelle au panthéon des auteurs de roman policier, visite minutieusement ses œuvres pour nous expliquer la femme et y retourne toujours pour énoncer des idées. Même dans une biographie, Camille Galic a ce talent de polémiste, cette façon bien à elle de dénoncer les choses derrière les choses et de les décrire jusqu’au détail, tout en préservant le plaisir de la lecture. – C.R.
— Alors qu’on vous imagine totalement immergée dans la politique, comment vous est venue l’idée de cet Agatha Christie ?
— J’en avais eu la très vague idée en lisant en 1969 le perspicace et amusant Tour de Jules Verne en 80 livres de Ghislain de Diesbach et puis, trop prise par mon travail et l’actualité, j’avais oublié. La retraite a du bon… Au demeurant, il me semble que la monographie publiée chez Pardès est très politique.
— En effet, vous évoquez entre autres un aspect méconnu de l’anglicane Agatha Christie qui fut très attachée aux rites religieux traditionnels. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
— Dès son enfance, elle a souvent dit avoir « pris un grand plaisir à assister à la messe du dimanche » et confié son admiration pour les cathédrales où elle aimait se recueillir. Mais si, dans une Requête adressée à Paul VI en 1971 et cosignée par Graham Greene par exemple, elle a demandé le maintien de cette « tradition vivante » qu’est le rite tridentin, c’est aussi parce que « ce magnifique texte latin » a inspiré « quantité d’œuvres d’art inestimables » et qu’il « appartient ainsi à la culture universelle aussi bien qu’aux hommes d’Eglise et aux chrétiens pratiquants ». Surtout à une époque où « la civilisation matérialiste et technocratique menace la vie de l’âme et de l’esprit ».
Paul VI céda en partie, et cette concession a gardé outre-Manche le nom d’« indult Agatha Christie » !
N’oubliez pas, d’ailleurs, que Poirot est un excellent catholique, qui ne s’endort jamais sans avoir dit ses prières à la Vierge.
— Eu égard à ses prises de position contre le divorce, la permissivité, pour la peine de mort et la « hiérarchie des races », peut-on dire d’Agatha Christie qu’elle était « réac » ?
— Oui, bien entendu, mais il ne faut pas commettre non plus le péché d’anachronisme. Sur ces points, la plupart des gens étaient « réacs » jusqu’aux lendemains tardifs de la Seconde Guerre mondiale. Je vous renvoie aux réflexions très sévères sur les juifs de Jaurès, pourtant défenseur du capitaine Dreyfus, et Alain Sanders a cité dans notre numéro du 18 décembre des propos de Charles De Gaulle, sur les « bicots » notamment, qui lui vaudraient aujourd’hui d’être renvoyé en correctionnelle. Dans le cas de Christie, elle était d’autant plus opposée au divorce qu’elle y avait été contrainte, et son attachement à la peine de mort résulte de sa compassion pour les victimes.
— Comment expliquez-vous son succès jamais démenti, et même croissant, puisque depuis 1980, écrivez-vous, « les ventes de ses livres ont quintuplé » ?
— Justement par la généralisation de la « civilisation matérialiste et technocratique » dénoncée dans la Requête à Rome. Pour les lecteurs soumis à la mondialisation et à la « tyrannie des médias » acharnés à la destruction de la tradition et de la loi naturelle, il y a quelque chose d’immuable et donc de profondément rassurant dans l’univers christien, où les coupables sont toujours punis et les innocents sauvés ou réhabilités.
— Qui, aujourd’hui, pourrait être la digne héritière d’Agatha Christie ?
— Je n’en vois pas parmi les Françaises et surtout pas la star Fred Vargas qui, d’ailleurs, refuserait la filiation. Pour les Anglaises, je pense que P. D. James est la plus indiquée, par les préoccupations morales que traduisent ses livres. Car Agatha Christie, à sa façon, était une moraliste.