Pourquoi les clandestins ne sont-ils (presque) jamais expulsés ?

Trois courageux militants identitaires viennent d’être lourdement condamnés par une justice plus prompte à relaxer l’ethnomasochiste Cédric Herrou que ceux qui souhaitent défendre les frontières de leur pays. 6 mois de prison ferme et de lourdes amendes. Au regard de ce jugement disproportionné, cet article est vital pour bien comprendre la situation en France.
Jamais le mythe du tonneau des Danaïdes n’aura trouvé une telle réalité. Une telle réalité inversée… Chaque année, plus de 120 000 étrangers sollicitent le droit d’asile, pour la grande majorité indûment. Mais déboutés du droit d’asile et autres clandestins sont rarement expulsés. Chaque année plus de 100 000 étrangers supplémentaires restent illégalement sur le territoire français, seulement à peine quelques dizaines de milliers repartent. Il s’agit moins là d’un processus d’immigration que d’invasion. Une invasion rendue possible par une législation faite pour défendre les étrangers en situation irrégulière. L’autorité – le préfet en l’occurrence – qui veut « reconduire à la frontière » un clandestin se trouve en butte à une législation kafkaïenne. Une législation conçue par les associations immigrationnistes subventionnées, précisément pour permettre aux clandestins étrangers de pouvoir rester ad vitam aeternam, en utilisant – aux frais de l’aide judiciaire – les arguties juridiques les plus invraisemblables. Jeanne Vexin, universitaire, droit et sociologie, livre ici à Polémia un texte technique mais indispensable pour comprendre la situation indépendamment des rodomontades politiques.

Si les prérogatives régaliennes en matière de droit des étrangers ont longtemps été régies par une ordonnance du 2 novembre 1945, c’est à partir de 1980, dans un contexte de régression économique, que s’est façonné, au fil des vagues de flux migratoires et des orientations politiques des gouvernements en place, le « droit d’entrée et de séjour des étrangers » ; aux confins des procédures civiles et pénales, et très imprégné de droit administratif, cette nouvelle branche du droit est devenue une matière complexe, mouvante et finalement dévolue à un exercice difficile.

La question de savoir pourquoi « on n’expulse pas » traduit finalement par le choix de ses termes et de la forme syntaxique négative, le sentiment que peut inspirer la vision du monde réel, plutôt qu’une appréhension juridique juste : techniquement, l’expulsion est l’une des modalités par laquelle un étranger peut être contraint par le Préfet de quitter le territoire français, en cas de menace pour l’ordre public. Dans l’immense majorité des cas, on évoquera davantage « l’obligation de quitter le territoire », créée il y a à peine 13 ans…

Ainsi l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est-elle la principale mesure d’éloignement qui concerne les étrangers (la reconduite à la frontière ayant été supprimée). Cette décision est prise par le Préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier en France ; elle oblige l’intéressé à quitter la France, par ses propres moyens, dans un délai de 30 jours ou sans délai dans des situations plus limitées, avec des possibilités d’aide au retour.

A l’issue de ce délai, ou ab initio si l’autorité préfectorale estime que l’étranger en situation irrégulière ne présente pas de garanties de représentation sérieuses et qu’il n’est pas atteint d’une pathologie médicale grave justifiant alors de facto le séjour, l’étranger peut être placé en centre de rétention administrative (à l’exclusion des mineurs). Depuis 2016, la règle est celle de l’assignation à résidence (dont aucune des administrations n’a les moyens matériels de vérifier l’effectivité); l’exception, la privation de liberté.

S’entrouvrent alors des méandres kafkaïens dans le cadre d’une course contre la montre pendant laquelle l’autorité préfectorale devra, dans un rythme effréné, satisfaire à une série de diligences imposées par la loi pour ne pas retenir l’intéressé au-delà « d’un délai raisonnable » avant de pouvoir organiser —aux frais de l’Etat— son retour vers un pays susceptible de l’accueillir.

Aux côtés de l’étranger, avocats choisis ou commis d’office (rémunérés par l’Etat), des interprètes (rémunérés par l’Etat), des associations subventionnées (par l’Etat) et engagées, toutes dédiées à employer tous les moyens possibles (y compris juridiques ) pour maintenir l’étranger en situation irrégulière sur le territoire.

Les règles du jeu seront arbitrées par une multiplicité de magistrats ; juges judiciaires (juges des libertés et de la détention) pour contrôler la légalité de l’arrêté de placement en rétention administrative, l’application correcte des procédures ayant conduit à détecter la situation irrégulière (contrôles d’identité, contrôles des titres de séjour etc…) et pour décider de la prolongation de la retenue administrative de l’intéressé, le juge administratif qui jugera du bien-fondé de l’obligation de quitter le territoire, la cour nationale du droit d’asile…

On l’aura compris, La mise en œuvre d’une obligation de quitter le territoire est une course d’obstacles aux règles du jeu complexes ; et la partie est drastiquement limitée dans le temps. Le handicap, du côté de la partie poursuivante : l’Etat.

Dans un contexte de réduction constante des moyens octroyés aux autorités publiques (Police, magistrature, préfectures), de complexité croissante des procédures, de multiplication des droits octroyés aux étrangers, et d’accroissement des flux migratoires, on aura compris que la mise en œuvre des obligations de quitter le territoire, relève du miracle administratif.

Complexité de l’intervention du juge judiciaire

Au cœur du dispositif, le juge judiciaire est l’organe qui validera et, le cas échéant prolongera la rétention administrative à l’issue de laquelle l’autorité préfectorale aura pour mission de faire exécuter la reconduite vers un pays légalement susceptible d’accueillir l’étranger.

Remaniée par la loi du 10 septembre 2018 « pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », la rétention administrative dans un centre dévolu à cet effet, fait l’objet d’un séquençage complexe.

La décision préfectorale initiale de placement en rétention est valable 48 h après l’interpellation de l’étranger, la fin de sa garde à vue ou à l’issue d’une période d’incarcération ; une première prolongation judiciaire d’une durée maximale de 28 jours peut être octroyée au Préfet requérant pour organiser le départ du retenu ; le débat sur cette première prolongation est âpre. Forts des argumentaires bâtis par des associations spécialisées dans la défense des étrangers, les avocats de ces derniers contesteront la validité administrative de l’arrêté initial, soulèveront des causes de nullités multiples affectant la procédure ayant conduit à l’interpellation de l’étranger.

Il faut assister à ces audiences pour prendre la mesure de la formidable énergie mise au service de la libération des intéressés. Dans les locaux souvent sinistres des centres de rétention, 365 jours par an, épuisant un nombre de magistrats trop faible et souvent non formés à ce contentieux, s’organisent des débats surréalistes qui transforment chaque cas en un combat idéologique. Et même s’il se justifie évidemment que le juge judiciaire soit celui qui garantit la liberté individuelle, il faut se représenter la multitude et souvent le peu de sérieux des moyens de nullité auxquels il aura à répondre, pour chaque cas, pour rendre une décision (bien sûr susceptible d’appel) en droit.

C’est ainsi qu’après une discussion sur la validité de la décision administrative de placement en rétention, seront quasi systématiquement contestées les conditions du contrôle d’identité (faut-il rappeler à cet égard qu’on ne peut interpeller un étranger sur la simple présomption qu’il est étranger par sa langue ou sa tenue vestimentaire ….), les conditions de l’interprétariat dont il bénéficie, les conditions dans lesquelles il aura pu avoir accès à un téléphone portable, la configuration des lieux dans lesquels il aura été retenu (pas de barreaux aux fenêtres, affichage de l’arrêté affectant le local à la retenue…), les conditions dans lesquelles il aura eu accès à la liste des associations susceptibles de l’aider (laquelle doit lui avoir été dûment notifiée à plusieurs reprises), les conditions lui ayant permis d’avoir à tout moment recours à une aide médicale, etc ….avant que ne soient évoquées les garanties de représentation lui permettant d’être assigné à résidence (liens familiaux, insertion professionnelle, ancienneté du séjour irrégulier …).

On observe d’emblée à quel point la cause initiale ayant conduit à la rétention, à savoir l’obligation de quitter le territoire, est reléguée au rang d’élément abstrait auquel l’étranger lui-même devient indifférent.

A ce prix est donc rendue – ou pas – la première décision de prolongation de la rétention administrative.

Le marathon des Préfets

Pendant une période de 28 jours, les autorités préfectorales devront effectuer toutes les diligences utiles à l’organisation du retour ; il faudra dans un grand nombre de cas établir la nationalité de l’étranger, dans le cas —très fréquent— où l’intéressé aura détruit ses papiers (pour ralentir une éventuelle procédure de retour), faire établir un laisser passer par un consulat pour permettre l’acheminement du retenu. Cette étape difficile mobilise un nombre considérable de fonctionnaires de police pour assurer les escortes des individus, lorsque l’étranger accepte d’y être conduit. De façon usuelle, les étrangers retenus refusent en effet de telles présentations, obligeant ainsi les autorités à reprendre un rendez-vous, à remobiliser des escortes etc….certains consulats sont également particulièrement réfractaires à la délivrance du laisser passer, refusant ainsi le retour de leurs nationaux….A cela s’ajoute naturellement l’obligation pour les préfectures d’organiser avec les compagnies aériennes les modalités du retour.

C’est dans ces conditions que, dans de nombreux cas, les Préfets sont obligés de solliciter du juge l’octroi d’une deuxième prolongation de 30 jours, dont les critères d’octroi sont plus restreints que ceux ayant présidé à la première, puisqu’elle ne peut être motivée que par l’urgence absolue, la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, la perte des documents de voyages de l’intéressé, l’obstruction volontaire à l’éloignement ou le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat. Ce sera l’occasion d’un nouveau débat où la charge de la preuve des diligences effectuées pèsera sur le Préfet requérant.

Enfin, la loi prévoit encore la possibilité de deux renouvellements de 15 jours, qui visent à contrer les démarches de l’étranger pour faire échec à son éloignement comme le dépôt tardif et dilatoire d’une demande de protection au titre de son état de santé, l’introduction d’une demande d’asile dans un délaine permettant pas à l’autorité administrative d’évaluer cette demande avant la fin de la rétention….et le final refus d’embarquer.

L’expulsion, vue de l’esprit ?

C’est donc aux termes d’un processus complexe et érosif que l’obligation de quitter le territoire français prendra, dans une proportion très relative, réalité ; et pour quelle perception ?

L’étranger en situation irrégulière qui, dans l’immense majorité des cas, aura exprimé son désir de se maintenir en France, aura évidemment perçu que son souhait est justifié et relayé par une partie du système (avocats, associations, dispositions législatives favorables). A la question de savoir si il perçoit qu’il a enfreint la loi en séjournant irrégulièrement sur le territoire, l’immense majorité des retenus répond uniquement par sa légitimité à vouloir bénéficier de conditions de vie qui lui paraissent meilleures que dans son pays d’origine. Il faut dire à l’appui de cette perception que l’Etat lui garantit dès son entrée une sécurité médicale (CMU) et financière (dispositifs d’hébergement et minimums vitaux) qui délivrent un message forcément saisi comme un encouragement à se maintenir dans la situation irrégulière.

De fait, la notion même de séjour irrégulier n’est pas vécue comme telle. Ou au mieux vécue comme un avatar purement administratif ayant vocation à se régulariser. On l’aura compris, l’expulsion, si elle est effective, ne résistera donc pas aux tentations d’un retour à bref délai…

Récemment le Ministre de l’Intérieur se félicitait d’une légère augmentation des mesures d’éloignement ; cette autosatisfaction démagogique et statistique n’est plus en rapport avec les réalités. Une telle mesure, pour être sérieuse, devrait être comparée au nombre des retours clandestins des intéressés, et au nombre des nouveaux primo-arrivants…. Auxquels s’ajoute la cohorte de ceux qui, ayant obtenu un permis de séjour dans l’un des Etats membres, circulent dans l’espace Shengen… On l’aura compris, le nombre des expulsions pèse peu face aux flux considérés. Jamais le mythe du tonneau des Danaïdes n’aura trouvé une telle réalité.

Jeanne Vexin

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