Les produits associés au passé ont la cote: la console Nintendo rétro NES Classic Edition, Les pays d’en haut, la Fiat 500, Pokémon Go. Depuis cinq ans, la vente de produits rétro a d’ailleurs atteint un sommet. «Il va falloir s’habituer. C’est là pour de bon», dit Damien Hallegatte, professeur de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi. Et pour cause: ça marche.
L’étude Nostalgia Weakens the Desire for Money, publiée en 2014 dans le Journal of Consumer Research, montre qu’on est moins attaché à l’argent quand on ressent de la nostalgie, ce sentiment aigre-doux qui surgit lorsqu’on pense au passé.
L’an dernier, les albums de musique vieux de plus d’un an et demi se sont d’ailleurs vendus à raison de 4,3 millions d’exemplaires de plus que les albums plus récents, selon Nielsen, du jamais-vu. Il y a 10 ans seulement, les ventes de nouveaux albums étaient supérieures à celles des plus anciens de plus de 150 millions d’exemplaires.
Les entreprises gagnent aussi à faire du rétromarketing, la vente de produits associés au passé, parce qu’il en coûte moins cher de relancer une vieille marque que d’en créer une nouvelle.
Pokémon Go en est un bon exemple. Le jeu a connu beaucoup plus de succès qu’Ingress, un autre jeu pourtant similaire lancé en 2012 et conçu par le même développeur. Pourquoi cette différence?
La nostalgie fait partie de la réponse. Beaucoup de jeunes qui ont aujourd’hui la fin de la vingtaine ont joué avec les cartes et les jeux vidéos de Pokémon il y a 15 ans, et l’application vient aujourd’hui réveiller leurs souvenirs. Selon Taykey, une maison d’analyse, les joueurs de Pokémon Go de 25-34 ans sont justement le groupe d’âge prédominant.
La nostalgie n’est donc pas une affaire de vieux. Damien Hallegatte explique que tous les groupes d’âge sont susceptibles de ressentir cette émotion, mais que les jeunes dans la vingtaine le sont un peu plus que les autres.
«Pokémon Go a la caractéristique qui fait la force de tous les produits rétro, soit de rappeler le passé tout en étant au goût du jour», dit-il.
Le rétromarketing est maintenant utilisé pour les produits culturels — jeux vidéos, films, séries télévisées, musique — plus que pour tout autre produit, quoique à peu près tout s’y prête bien, des voitures aux vêtements en passant par les électroménagers.
La nostalgie n’est toutefois plus ce qu’elle était.
Aujourd’hui, les psychologues savent que la nostalgie est un sentiment positif, bien que la recherche dans ce domaine n’ait réellement débuté qu’en 2006. Autrefois, par contre, on la considérait comme une maladie ou un désordre psychologique. C’est la parution, en 1979, du livre Yearning for Yesterday, du sociologue Fred Davis, qui a commencé à empreindre ce sentiment d’une connotation positive.
Il faut l’admettre, il y a bien eu quelques exemples de mise en marché de produits associés au passé avant 1979. En 1960, par exemple, l’Art déco a connu un certain renouveau. «Mais c’était presque un épiphénomène, explique Damien Hallegatte. C’était limité aux meubles, et ça ciblait seulement les riches.»
La tendance au rétromarketing s’est véritablement amorcée dans les années 1990. «L’objet qui a marqué le début de la vague, c’est la New Beetle», raconte François Marticotte, professeur de marketing à l’ESG-UQAM. À l’époque, les baby-boomers ont eu envie de revivre leur jeunesse. Les jeunes hippies devenus plus vieux se sont aperçus que l’avenir ne tenait pas toutes ses promesses, qu’il y avait encore des guerres, que l’environnement se dégradait, que l’avenir n’était pas toujours mieux que le passé, explique Damien Hallegatte. Ils se sont donc tournés vers le passé. Les entreprises en ont profité. Dans les années 1990, les Rolling Stones sont alors repartis en tournée et les Beatles ont sorti leur anthologie.
La publicité nostalgique et les produits rétro ciblent aujourd’hui toutes les générations. Le consommateur y trouve un moyen de se faire des racines dans un monde où tout change de plus en plus rapidement.
Le terme «rétro» lui-même a d’ailleurs fait son entrée dans le vocabulaire populaire durant la conquête de l’espace. Il faisait allusion aux rétrofusées qui ralentissaient les véhicules spatiaux à leur entrée dans l’atmosphère, explique Damien Hallegatte. «Ça leur permettait d’éviter de se désagréger. C’est pareil pour nous. Le rétro nous permet de ralentir la marche du progrès et de garder un ancrage.»