Le génie de Gene Wilder

Il avait le regard égaré, une crinière blonde à la Pierre Richard, un sourire parfaitement nigaud. Lui, c’était Gene Wilder, évidemment, qui vient de nous quitter (quel mauvais gag), à 83 ans, des suites d’une longue maladie, comme on dit.

Pour être tout à fait honnête, sa carrière fit tout, hormis des étincelles, mais il est deux films qu’il transcenda de sa présence et que les historiens du cinéma seraient bien inspirés de ne pas oublier, signés de son ami Mel Brooks : Les Producteurs (1968) et Frankenstein Junior (1974).

Pour demeurer dans l’humour juif new-yorkais dont ces compères furent les infatigables hérauts, il conviendra d’inverser les ordres chronologiques et de préséance. Frankenstein Junior, donc, à la fois hommage et parodie de l’âge d’or du cinéma fantastique made in Universal, Dracula de Tod Browning (1931), avec Bela Lugosi dans le rôle-titre et, surtout, Frankenstein de James Whale, la même année, avec l’immense Boris Karloff dans celui de la Créature – et non point dans celui de son créateur, le baron Frankenstein, incarné par Colin Clive, tel que trop souvent confondus par les cinéphiles parfois distraits.

Là, pas un bouton de guêtre ne manque à la restitution d’époque : musique telle qu’il s’en composait jadis, splendeur des décors si criants de vérité à force d’être faux et éclairage comme on n’en fait plus. Et Gene Wilder, descendant de l’aristocrate fou, campant un professeur d’université passablement allumé qui, assurant à ses élèves que la douleur n’est que vue de l’esprit, couine comme un goret lorsque s’enfonçant un scalpel dans le genou ; la scène est d’anthologie.

Mais le meilleur ne reste pas à venir, puisque se situant quelques années auparavant ; soit l’indépassable pochade de Mel Brooks, Les Producteurs, où Gene Wilder, producteur véreux de Broadway, acoquiné avec encore plus aigrefin que lui – inoubliable, quoique trop souvent oublié Zero Mostel –, monte une sublime arnaque consistant à plumer les assurances.

Comment ? Tout simplement en montant le spectacle le plus improbable qui soit, Springtime For Hitler, ballet écrit par un ancien de la Waffen-SS qui souhaite réhabiliter son passé militant. Le bide semble assuré et le remboursement des assurances en question aussi. Surtout avec un maquilleur assez peu porté sur les dames, un metteur en scène sous acides, et une séance de casting où un travesti noir entend redonner à la figure du défunt chancelier son lustre d’antan. Bide ? Non, triomphe public, critique, financier… et faillite des deux filous.

Il faudra attendre Jacques Attali et Bernard Madoff pour que l’humour juif retrouve enfin ses lettres de noblesse. Si Gene Wilder, de là où il nous contemple, voyait ça, il serait sûrement aux anges. Surtout s’il savait que le film susnommé était d’autorité projeté dans les cénacles de l’extrême droite française d’alors, pour l’édification politique de futures masses radicales en devenir, à ce qu’il paraît, à ce que l’on m’en a dit autrefois. On savait encore rire et faire rire à l’époque ; même si on ne le faisait pas toujours exprès. Aujourd’hui, on n’en a plus le droit. C’est toute la différence. Gene Wilder nous manque déjà.

Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire

 

Related Articles