Les personnes âgées maltraitées… n’est-ce pas honteux dans un pays dit civilisé ? C’est le sujet qui occupe tout un chacun, en ce mardi matin, puisque les salariés des EHPAD sont en grève, dénonçant un manque de moyens, et donc de personnel, induisant un travail mal fait, et dans l’urgence : « Je suis stressée donc stressante et à mon sens maltraitante », confiait, fin décembre, dans une lettre ouverte au ministre de la Santé, une infirmière d’EHPAD épuisée, tant physiquement que psychologiquement.
Pour répondre à cette détresse, celle des soignés comme celle des soignants, Agnès Buzyn a posé sur la table 50 millions d’euros. C’est à dire bien trop peu, disent les professionnels, au vu des besoins.
Évidemment, on serait tenté de rester dans une optique comptable. Et de conseiller quelques transferts salutaires : on pourrait, au hasard… supprimer les subventions à la presse ! 387 millions d’euros en 2015, selon Contribuables associés, soit huit fois ce qu’Agnès prévoit de donner aux EHPAD. Et comme la presse papier, essentiellement lue par les personnes âgées, finira de toute façon par disparaître avec elles, ce principe de vases communicants en direction d’une population qui, l’achetant et payant des impôts, l’a doublement soutenue pendant des dizaines d’années ne serait que justice.
Mais ce ne serait pas voir tellement plus loin que le bout de son nez, car ces millions-là, aussi, seront vite consommés. Et après ?
Et après, on se repentira d’avoir, comme des abrutis finis, des demeurés patentés, de viles imbéciles… détruit la famille. Pierre par pierre, réforme après réforme, loi après loi. Méticuleusement. Oh, bien sûr, je sais : nous ne sommes plus au XIXe siècle, ma petite dame, il y a bien longtemps que les personnes âgées – en tout cas, la majorité d’entre eux – ne vivent plus sous le même toit que leurs enfants : les logements sont trop petits, les vieux vivent trop longtemps.
N’empêche qu’il reste une toute petite chose, non monnayable – il en existe encore -, pour la bonne raison qu’elle n’a pas de prix, qui s’appelle l’affection filiale. Naturellement, j’ai lu comme vous Hervé Bazin et André Gide et sais qu’il est des familles où l’on se déchire plus qu’on ne s’étreint. Mais, enfin, les faits sont là : la plupart des parents, tout imparfaits qu’il sont, aiment leurs enfants, et vice versa. Et ce vice versa est infiniment plus précieux, y compris pour le gouvernement, que toutes les subventions que l’on pourra allouer. Car lorsqu’ils visitent leurs vieux parents, c’est un coup de main gratuit qu’ils donnent aux aides-soignants : un repas qu’ils ont la patience d’accompagner, une position confortable dans le lit qu’ils aident à trouver, des inquiétudes qu’il savent apaiser, des idées noires qu’ils s’ingénient à dissiper, une surveillance qu’ils peuvent, l’espace de quelques heures, assurer. Et pendant ce temps, le personnel soignant peut vaquer ailleurs, laissant sereinement ce patient. Et tout cela… bénévolement.
Sous Hollande existait encore un ministère des Familles, que l’on aurait pu écrire ministère Défamille, tant il a œuvré avec le succès que l’on sait – son dernier trophée ? Les chiffres désastreux de la natalité – à tout détricoter. Sous Emmanuel Macron, il n’y en a carrément plus, comme si, à l’instar du ministère de la Guerre passé jadis à la trappe, le mot était vaguement effrayant et, en tout cas, complètement dépassé. Et l’on s’apprête à brouiller un peu plus la filiation, à la disperser façon puzzle aux quatre coins du monde – et ce n’est pas une image – avec la PMA/GPA. Comment des enfants pourraient-ils assister des parents qu’ils n’ont, in fine, pas tout à fait identifiés ? Sans affection désintéressée, il ne faudra donc plus compter que sur les prestations de soignants rémunérés.
Mais le problème restera entier : comment trouver des subventions, via les impôts, sans renouvellement des générations ? C’est toute la question.
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire