« Russie, tu es dans mon cœur »
Le 22 avril 1899 naquit Vladimir Nabokov, l’écrivain le plus extraordinaire de l’émigration russe, l’écrivain le plus européen, mais aussi le plus russe.
Il a réussi à devenir un écrivain bilingue : ses livres en anglais sont connus et appréciés autant qu’en russe. « Ma tête parle anglais, mon cœur russe et mon oreille français », disait l’auteur de Lolita. C’est lui qui est parvenu à expliquer au lecteur étranger le sens de la nostalgie russe.
L’écrivain Vladimir Nabokov a vu le jour dans la famille aristocratique du célèbre homme politique russe Vladimir Dmitrievitch Nabokov. Chez eux, on parlait trois langues : russe, anglais et français. Le futur écrivain parlait les trois langues dès son enfance passée à Saint-Pétersbourg, où il a par la suite commencé ses études à l’école Tenichev avant de les poursuivre à Cambridge. Nabokov avait deux occupations favorites : la littérature et l’entomologie, il composait des poèmes et attrapait les papillons. Peu avant la révolution de 1917, il a édité à ses propres frais un recueil de poésie à Saint-Pétersbourg.
La révolution a forcé les Nabokov à fuir en Crimée, puis, en 1919, à s’exiler. En mars 1922, le père de l’écrivain a été tué et l’écrivain a alors commencé à gagner lui-même sa vie en donnant des leçons d’anglais. A la même époque paraissent ses premiers récits dans des journaux et maisons d’éditions organisés à Berlin par les émigrés russes. Peu après, l’écrivain épouse Vera Slonim et achève son premier roman, Machenka. Dans Machenka apparaît le thème inhérent à la plupart de ses romans ultérieurs. C’est le thème de la Russie abandonnée en tant que paradis perdu et incarnation du bonheur de la jeunesse ; le thème du souvenir qui fait face au temps détruisant tout et qui subit une défaite dans cette lutte vaine. Ainsi, Vladimir Nabokov a gagné son premier grand succès grâce à la nostalgie russe, ayant réussi à l’interpréter stylistiquement et en faisant en sorte qu’elle soit comprise par le lecteur étranger. « Personne n’a encore écrit comme ça en russe », affirmaient les critiques russes en exil.
En Europe, il a écrit presque tous ses meilleurs livres publiés sous le pseudonyme de Sirine. Vers 1937, il compose huit romans en russe, son style devient de plus en plus complexe, avec une forme toujours renouvellée. La Défense Loujine, Le Don, Invitation au supplice, qui n’avaient pas été publiés en Russie soviétique, bénéficiaient d’un grand succès auprès des Russes en exil et sont devenus des chefs d’œuvres de la littérature russe.
A la fin des années 1930, la politique des nazis en Allemagne a mis un terme à la diaspora russe de Berlin. Vivre en Allemagne avec une femme juive devient impossible pour Nabokov et la famille déménage d’abord à Paris, puis, après le début de la Seconde guerre mondiale, aux Etats-Unis. La disparition de la diaspora russe en Europe signifiait pour Nabokov qu’il avait perdu son lectorat russe. Dans ce contexte, l’unique possibilité pour lui était d’écrire en anglais. Depuis 1937, il n’écrit qu’en anglais à deux seules exceptions près : la traduction deLolita en russe et son autobiographie Autres rivages.
En Amérique, Vladimir Nabokov n’abandonne pas ses occupations d’entomologie. Il a apporté une contribution importante à la lépidoptérologie (partie de l’entomologie traitant des lépidoptères), découvrant 20 nouvelles espèces de papillons et publiant 18 articles scientifiques. Sa collection de 4 324 papillons a été offerte au musée zoologique de l’Université de Lausanne.
En outre, l’écrivain a enseigné la littérature russe et mondiale, a publié plusieurs cours de conférences de critique littéraire, a traduit en anglais Eugène Onéguine et Le Dit du prince Igor et s’est passionné sérieusement pour les échecs : il était un joueur assez fort et a publié plusieurs problèmes d’échec intéressants.
1958 a marqué un tournant pour Nabokov : Lolita est paru d’abord en Europe, puis en Amérique. L’histoire d’un homme adulte épris d’une passion pour une fillette de 12 ans était impensable pour son époque, mais c’est ce caractère scandaleux qui a apporté à l’auteur la gloire mondiale et le confort matériel.
Nabokov rentre en Europe et depuis 1960, il habite Montreux où il écrit ses derniers romans Feu pâle et Ada. L’écrivain meurt en 1977. A la fin de sa vie, Vladimir Nabokov a ainsi répondu à la question d’un envoyé de la BBC sur la probabilité de son retour en Russie : « Je ne retournerai jamais pour la simple raison que la Russie dont j’ai besoin est toujours avec moi : la littérature, la langue et ma propre enfance russe ». N