Né à Bordeaux en 1879, mort à Paris en 1925, Georges Dorignac a connu un trop court destin d’artiste. Qui connaît son œuvre ? La Piscine de Roubaix (ou, pour parler à l’ancienne, le musée d’art et d’industrie André Diligent) a choisi d’exposer cet artiste qui fut ami du sculpteur Despiau et côtoya à Montparnasse Soutine, Modigliani, Chagall.
Dorignac est pour l’essentiel un dessinateur, un fusiniste qui emploie le charbon au maximum de sa noirceur, mâtinée de sanguine éventuellement. Visages et figures ont une plénitude presque sculpturale. Cet adjectif fut souvent accolé à ses œuvres. Rodin aurait dit en les voyant : « Dorignac sculpte ses dessins. » Ce ne sont pourtant pas des dessins par lesquels un sculpteur prépare une œuvre, en indiquant le modelé par plans. Mais ce sont les dessins d’un artiste qui sent intensément la forme. L’utilisation de l’estompe ne lui nuit pas, elle vient habiller un trait puissant qui ne saute pas aux yeux mais qui subsiste sous le charbon. Les dessins de Dorignac ont de sculptural aussi d’être noirs comme le serait uniformément une pierre. Apollinaire ne les comprit pas. Il écrivit à l’occasion du Salon d’Automne de 1913 : « Dorignac peint des ombres chinoises, artiste savant qui se trompe. » Le critique se trompait.
Le répertoire de Dorignac est simple. Des visages de femmes anonymes, tantôt jeunes et gauguines (Etude de tête de face), tantôt vieilles et burinées (Paysanne au fichu). Des figures de travailleuses des champs qui rappellent certaines études de Van Gogh (Femme cueillant une fleur) ou des œuvres de Constantin Meunier (Femme assise aux sabots, La Haleuse). Les nus possèdent les mêmes qualités.
Dorignac eut une activité de décorateur, comme beaucoup d’artistes de sa génération qui essayèrent de promouvoir et réhabiliter les arts appliqués. Il conçut de grands projets de tapisseries, de céramiques, de mosaïques, de vitraux. Malheureusement, et a priori, les projets restèrent à l’état de carton. Le Dorignac décorateur est différent du dessinateur : dans de grands aplats s’organisent les différents éléments, par exemple des volatiles (Les Joies de la campagne, fusain sur carton). En 1923, il expose une grande toile (2 mètres sur 3), projet pour une tapisserie : Jeanne d’Arc écoutant les voix, tout en naïveté. La même année, il reçoit une commande d’Etat : un carton sur le thème du Paradis terrestre destiné à être tissé à la manufacture de Beauvais. Il ne sera jamais tissé…
Qui était Dorignac ? Une lettre de 1912 adressée à Meunier du Houssoy, son ami et collectionneur, donne quelques éléments. Il ne travaille pas pour la gloire, ni pour les honneurs, ni pour la fortune. Alors quoi ? « C’est un besoin impérieux de créer, une douce folie, qui fait qu’à la fin des journées, vous avez le cerveau vide, les reins douloureux et le cœur content si, avec beaucoup de vous-même, vous avez mis sur le papier, ou sur la toile, une étincelle de ce que vous croyez être le beau, ou le vrai. »
Georges Dorignac, le trait sculpté. Jusqu’au 5 mars 2017, La Piscine, 23 rue de l’Espérance, 59 100 Roubaix.
Photo : Georges Dorignac, Nu, 1912. Fusain, craie noire ? sur papier, 51,2 x 44,5 cm. Bordeaux, Musba – Musée des Beaux-Arts. Photo : L. Gauthier, F. Deval