La comtesse Greffulhe de Laure Hillerin

« La vie, c’est un citron. Il faut presser ce qu’il y a de bon et laisser le reste. Quand c’est un peu bon, c’est un péché véniel, et quand c’est tout à fait bon, c’est un péché mortel. » L’auteur de ces lignes quelque peu désabusées ? La belle comtesse Greffulhe qui inspira à Marcel Proust son mythique personnage d’Oriane de Guermantes et qui régna pendant plus de soixante-dix ans sur la vie littéraire, politique et artistique de notre pays. Dans une biographie riche d’anecdotes, de notes et de références politiques et littéraires, Laure Hillerin fait revivre celle qui avait ses entrées dans toutes les cours européennes, défendit le capitaine Dreyfus (s’attirant au passage les foudres de Léon Daudet) et loua avec force dithyrambes la politique de Léon Blum sous le Front populaire. Comblé par leurs nombreux échanges épistolaires, ce dernier l’avait surnommée « l’Oracle » ! Et pendant la guerre de quatorze, Léon Daudet – toujours lui –reprochera longtemps à la comtesse ses relations avec Caillaux, brocardant « le salon défaitiste Greffulhe où Caillaux est un dieu ». Elle fut également proche de Millerand, le ministre de la Guerre et aimait bien Jules Guesde et Marcel Sembat. Ce qui ne l’empêcha pourtant pas d’être l’amie de la fortune anonyme et vagabonde et de fréquenter les Rothschild ainsi que de nombreux juifs américains fortunés. Rien d’étonnant cependant quand on se rappelle que les Rockefeller furent les grands financeurs de la Révolution bolchévique…

Trajectoire d’une étoile
Arrière-petite-fille de Madame Tallien et descendante illégitime de l’Empereur, Elisabeth de Caraman-Chimay peut également s’enorgueillir de pouvoir remonter par sa mère – une Montesquiou-Fezensac – jusqu’aux rois mérovingiens par les ducs d’Aquitaine. Sa génitrice la marie très jeune au comte Henry Greffulhe, dont la famille s’est enrichie dans la Banque. Las ! La joie est de courte durée. Trois semaines après ses noces, célébrées avec faste, elle écrit à sa mère : « Les soirées sont un peu dures. Les conversations aussi… Henry n’est plus mon Henry. Ses yeux ne sont fixés sur rien. » Tout est dit. La voilà donc recluse dans le château de sa belle-famille à Bois-Baudran, entre une belle-mère confite en dévotion et un mari grand chasseur de toutes sortes de gibiers devant l’Eternel. Les conversations tournent essentiellement autour du gibier et des chiens. La bibliothèque est fermée à clé. Qu’à cela ne tienne ! La jeune mariée force les huisseries, mais réussit surtout à revenir dans son cher Paris. « Ayant un mari qui me lâche, j’en prends mon parti gaiement. » Elle devient alors reine du Tout-Paris, met au monde une petite Elaine, éblouit le monde par ses toilettes et son chic naturel. Elle déploie surtout une belle activité dans tous les domaines. Mélomane avertie, elle fonde en 1890 la Société des grandes auditions musicales de France et patronne Gabriel Fauré dont elle devient la muse. Enthousiasmée par la musique de Wagner lors d’un séjour à Bayreuth, elle parvient à faire programmer en 1902 Le Crépuscule des Dieux dans un théâtre proche du faubourg Saint-Denis avec le tsar Nicolas II comme invité de prestige ! Quelques années plus tard, lors d’une exposition d’art russe au Grand Palais, elle rencontre Diaghilev, s’enthousiasme pour la musique russe et découvre les Ballets russes et Nijinski en 1909. Isadora Duncan viendra danser en son hôtel particulier de la rue d’Astorg et elle vouera un véritable culte au peintre Gustave Moreau. Egalement férue de science, elle défendit avec force les travaux de Marie Curie et apporta un soutien appuyé à Edouard Branly en trouvant le financement de l’Institut du radium.Elisabeth Greffulhe aimait les belles choses et plus particulièrement la haute couture et les somptueuses robes de Worth. Elles firent l’admiration de tous. Réalisées dans les tissus les plus précieux – je pense en particulier à la somptueuse robe d’inspiration byzantine qu’elle portait le jour du mariage de sa fille –, certaines d’entre elles ont enrichi les collections du palais Galliera.

Un amour de… Proust
Un chic, une grâce, une élégance qui n’avaient pas échappé au regard de Marcel Proust. Dans un article mondain du Gaulois, il décrivait ainsi une soirée à Versailles : « La salle est remplie et quelle salle ! Quel Tout-Paris ! Madame la Comtesse Greffulhe délicieusement habillée. La robe est de soie lilas rosé, semée d’orchidées et tout entourée de gaze lilas. » Il n’aura de paix et de cesse que de quémander une photographie de celle dont « le rire s’égrenait comme le carillon de Bruges ». Cette dernière restera sourde à sa demande, la considérant comme vulgaire et évoquera le créateur du personnage de la duchesse de Guermantes en ces termes : « Ses flatteries avaient un je-ne-sais-quoi de collant qui n’était pas de mon goût. » Pan sur le bec ! Un jugement cependant qui ne l’empêchera pas d’entretenir jusqu’en 1920 une correspondance suivie avec celui dont Léon Daudet ne cessait de louer le talent ! Mais si elle lisait ses lettres, elle ne jeta pas le moindre regard au volume de La Recherche qu’il lui dédicaça et dont les pages ne furent jamais coupées. Ainsi ignora-t-elle volontairement le texte qui assura, en quelque sorte, son immortalité !

Françoise Monestier

— Laure Hillerin, La comtesse Greffulhe : L’ombre des Guermantes, Flammarion 2014, 24 €

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