Curieux, d’une grande liberté d’esprit, André Fraigneau (1905-1991) discernait les défauts ou la valeur d’une œuvre et savait déceler, lorsqu’il s’agissait de jeunes écrivains les promesses à travers les maladresses. Il pouvait également, s’il en ressentait l’envie, troquer son costume d’écrivain contre la blouse du peintre, exerçant les deux activités avec une aisance égale. Il hésita d’ailleurs entre ces deux vocations, s’essayant même à l’illustration d’ouvrages. Homme de radio, il s’intéressa à redécouvrir les écrivains enterrés, oubliés ou tombés en purgatoire. Il y aurait également la musique à aborder, son amitié avec Henri Sauguet. Et que dire de son écriture, lui qui écrivait sous la dictée de ses personnages, rendant l’auteur débiteur à jamais, entre autre, de Guillaume Francœur, son double. Rigueur janséniste du style et volupté du baroque, ascèse et plaisir d’être. Deux appels contraires qui caractérisent l’esthète. De l’importance des lieux dans l’œuvre, enfin. L’Europe, des rives du Rhin à celles de la Méditerranée, sans omettre bien évidemment Port-Royal-des-Champs, « on ne fréquente pas impunément ces lieux où de simples mortels donnaient rendez-vous à la Divinité ». Bref, le témoin d’un monde aujourd’hui définitivement disparu.
Nonchalant à l’égard des contingences matérielles de la vie, abandonné pendant les années de plomb du résistantialisme; il fut redécouvert par les « Hussards » qui lui dédièrent leur premier roman. Ne rien devoir à son époque, ne rien solliciter d’elle, parier contre ses goûts et ses fanatismes. Garder l’allure, le rythme et le style. Etre généreux en amitié. Son credo.
Ses lecteurs représentent jusqu’à trois générations qui se succèdent depuis 1930, au fil des rééditions. Professeur de littérature idéal, il accueillait volontiers ses « élèves » à la Rhumerie martiniquaise : « Nous nous retrouvions là, chacun apportant son dernier chapitre. Antoine Blondin écrivait L’Europe buissonnière, Michel Déon, Je ne veux jamais l’oublier, et moi L’Amour vagabond. » Ou, plus souvent, dans son antre de la rue Saint-Romain. Assis, ou allongé sur son lit, dans la demi-pénombre de sa chambre-salon, aux volets toujours clos, fumant cigarette sur cigarette. Bertrand Galimard Flavigny sera l’un de ces élus avec qui il enregistrera cinq émissions souvenirs, retranscrites dans le livre que lui consacrent les Editions Séguier.
Pour rendre écho à cette parution, la Revue Livr’Arbitres a réalisé, sous la direction de Michel Mourlet, un portrait de l’auteur de Les Enfants de Venise.
Elle organise à cette occasion une soirée-dédicace le 6 février (à 20h au restaurant Ratatouille, 168 rue Montmartre, 75002 Paris). Hommage au phénix, qui croyait à la nuit profonde et aux chemins obscurs de la Providence ! Et belle occasion de venir rencontrer les membres de la rédaction de notre apériodique.
Lu dans Présent
André Fraigneau ou L’Elégance du phénix : Editions Séguier, 2015. 229 p.