Où Nestor Burma rencontre l’Aristo

Belle idée que celle de Michel Marmin de célébrer, dans un petit livre très personnel, Où Nestor Burma rencontre l’Aristo (Auda Isarn), les destins atypiques – et parfois croisés – de deux grands du roman noir (que je considère comme deux grands de la littérature tous genres confondus), Léo Malet et André Héléna.

Le premier, avec son détective de choc, Nestor Burma, est plus connu du grand public que le second. Ne serait-ce que par l’adaptation des aventures de Burma à la télévision, avec Guy Marchand dans le rôle-titre. Le second, s’il est plus dans l’ombre, a son fan-club, des happy few qui, depuis des lustres, se passent le message. Des inconditionnels qui possèdent toute son œuvre ou presque (des dizaines de romans et des dizaines de pseudonymes pour les accompagner). A commencer par la série – douze titres – de l’Aristo dont les couvertures, signées Jef de Wulf, font mon bonheur.

Comme Léo Malet, né à Montpellier, André Héléna, né à Narbonne, est un Méridional. Son père, conservateur de la bibliothèque de la ville, archéologue, était une figure locale très respectée (une rue de Narbonne porte les noms du père et du frère d’André Héléna). Lui, désireux de jeter sa gourme, monte à Paris en 1936. Il fera un court passage dans la guerre d’Espagne, côté bolcho, mais il en reviendra vite (à tous les sens du terme). Installé à Leucate pendant l’Occupation, il tâte du maquis dans les Pyrénées, puis regagne Paname à la Libération.

Tendance bohème genre Montparnos, il fait cent petits métiers (libraire, VRP en insecticides, pigiste, etc.) et même un peu de prison (pour dettes). A partir de 1949, avec son premier polar, Les Flics ont toujours raison, il va devenir un des « forçats du roman noir ». Jusqu’à sa mort (qui passera inaperçue) en 1972, il publiera au moins deux cents titres, tous genres confondus (y compris le porno soft), souvent bâclés, abattage oblige, pour répondre à la demande d’éditeurs négriers. A signaler son passage au Fleuve Noir de 1965 à 1967 avec les enquêtes du détective très imbibé, Em Gary, son double d’écrivain-éponge…

Léo Malet et André Héléna, ces gars de la mouise, des potes ? Comme ci comme ça, comme le raconte Michel Marmin. Un peu de jalousie de la part d’Héléna parfois. Un peu de condescendance de Malet à l’occasion. Invité à se décrire, André Héléna trace cet autoportrait en 1949 : « Journaliste ? Pamphlétaire ? Romancier populaire ? Il est à la fois tout cela et rien de cela. Il a le culot des timides et la sentimentalité de ceux qui n’aiment pas. Héléna, un homme qui passe la pipe aux dents et le regard aigu. Et qui se fout de trop de choses et de trop de gens pour n’être pas un homme libre. »

Sorte d’Arsène Lupin parigot, l’Aristo est un bon vivant, sensible à l’art, aux dames et aux liqueurs fortes. C’est finalement un personnage presque lumineux au regard des autres romans d’Héléna : des Salauds ont la vie dure à La Croix des vaches en passant par J’aurai la peau de Salvador, Les Clients du Central-Hôtel, Les Anges de la mort, Le Baiser à la veuve, etc., on est plutôt dans le cafardeux, la déglingue, les rues mouillées, les hôtels miteux aux décors crasseux, les quinquets blafards et la mort à chaque carrefour.

Michel Marmin écrit : « Merveilleux auteur, André Héléna exploite avec un art consommé la technique du roman-feuilleton, qui consiste à laisser perpétuellement le lecteur sur sa faim et à relancer l’action à chaque épisode. » Et Dieu sait s’il y en a de l’action !

Il y a, comme on le dirait d’un joueur de tennis (la Nadal’s Touch, par exemple), une touche, une patte Héléna. Car, comme chez Malet, pourri de littérature (et Marmin le démontre à chaque page), il y a de l’écrivain rare – et du grand écrivain – chez cet auteur disparu trop tôt (il avait 53 ans) pour rejoindre un monde où les linceuls n’ont pas de poches…

Alain Sanders – Présent

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