Nicolas Hénin ou le syndrome de Stockholm persistant

Originaire du Mans, fils d’un économiste et historien français, Nicolas Hénin se destinait à une carrière d’universitaire spécialiste du monde arabe. Mais à l’occasion d’un voyage au Proche-Orient il se découvre une vocation journalistique en signant ses premiers reportages pour Jeune Afrique. Dans le contexte qui précède l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il s’installe à Bagdad pour le compte de Radio France.

Analyste des dynamiques géopolitiques de la région et correspondant de guerre indispensable, il contribue à de nombreuses publications écrites (Marianne, Le Point) mais signe aussi beaucoup de reportages télévisés. À partir des « printemps arabes » de 2011, il couvre les événements de pays comme la Libye, l’Égypte ou encore la Syrie. Un engagement professionnel qui ne sera pas sans conséquences, puisqu’il est enlevé en même temps que le photographe Pierre Torrès dans la ville de Raqqa, en Syrie, le 22 juin 2013. Ses ravisseurs de l’État Islamique l’emprisonnent aux côtés d’autres journalistes, comme James Foley et David Haines, qui seront plus tard exécutés. Il faudra attendre le 18 avril 2014 pour qu’il soit heureusement libéré, suite à des tractations restées secrètes, suite également peut-être à la forte mobilisation civique et médiatique.

Depuis, Nicolas Hénin poursuit sa carrière de journaliste, mais de façon nettement moins  brillante. Sorte de consultant hybride, à mi-chemin entre le rescapé de service et l’expert régional, il distille de plateaux télévisés en colonnes de journaux ses avis qui se veulent pertinents et nuancés au sujet du conflit syrien et du monde arabe, mais qui sont en réalité des reprises absolument simplistes et peu subtiles du discours inflexible du quai d’Orsay, lui-même tout sauf éclairé. Fustigeant sans relâche le régime Assad, dont il n’a pourtant pas été captif, il se place dans la droite lignée du troupeau des « Charlie », toujours prêts à réagir au terrorisme par de vagues élans humanitaristes aux accents masochistes. Se refusant à tout discours de fermeté militaire, diplomatique ou simplement idéologique vis à vis du djihadisme islamiste, il prône plutôt un droit-de-l’hommisme victimaire visant à trouver des excuses culturelles et sociales aux radicalisés français, et à réaffirmer l’existence d’une opposition modérée au régime Assad, pourtant fantomatique sur le théâtre des opérations. Il se montre aussi plus ou moins indifférent au sort réservé aux chrétiens dans les zones contrôlées par l’État islamique, affirmant qu’ils sont tués pour attirer l’attention, et que relayer la chose est donc « contre-productif ». Dans cette optique, il se prononce contre l’octroi de visas aux populations chrétiennes venues d’Irak, mais n’hésite pas à décrire le problème migratoire comme « un drame politique », qu’il impute une fois encore… au régime Assad.

Autrefois mû par une observation distanciée sur le terrain, Nicolas Hénin semble donc s’être réfugié dans une dimension alternative composée d’abstractions idéologiques pures, où la mièvrerie universaliste fait loi, et où les enjeux géopolitiques de la région sont constamment réduits à l’euphémisation du danger représenté par l’État islamique et à la diabolisation du régime syrien légal. Une analyse sans doute fondée sur un syndrome de Stockholm persistant, et dont la pertinence se trouve très largement remise en cause au lendemain des attaques de Paris.

Parcours professionnel

Nicolas Hénin fait ses études secondaires au très prestigieux lycée Henri-IV, et poursuit sa formation en classe préparatoire au lycée Fénelon. Par la suite il se tourne vers la géographie, à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, apprend l’arabe et se spécialise dans les relations internationales au Moyen-Orient. Il consacre son mémoire aux relations entre Israël et l’Égypte, ce qui l’amène à séjourner au Caire. Au cours de cette période, il développe un intérêt pour le journalisme, et fournit ses premières contributions sous la forme de reportages pour Jeune Afrique. A son retour en France, il intègre l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), dont il sort diplômé en 1999. En 2002, il s’installe en Irak où il séjournera deux ans comme journaliste indépendant. Il collabore à de nombreux médias : RFI, Radio Canada, mais aussi Marianne et L’Hebdo de Lausanne. Il réalise également des films documentaires diffusés sur Arte. Par la suite il est correspondant pour l’hebdomadaire Le Point dans de nombreux pays du monde arabe. Il réalise aussi des reportages diffusés sur diverses chaînes de télévision par l’entremise de l’agence Solas Films. Il est enlevé le 22 juin 2013, alors qu’il se trouvait dans la ville de Raqqa en Syrie pour couvrir la guerre civile. Libéré en avril de l’année suivante, il publie en janvier 2015 Jihad Academy, une analyse des fautes commises par l’Occident dans l’émergence de l’État islamique. Il est désormais journaliste indépendant et a par exemple contribué au journal britannique The Guardian.

Sa nébuleuse

Pierre Torrès, James Foley, David Haines, Édouard Elias.

Publications

Jihad Academy : nos erreurs face à l’État islamique, Fayard, 2015.
Papa Hérisson rentrera-t-il à la maison? Avec Pierre Torrès, Flammarion, 2015.

Distinctions

Nicolas Hénin a été plusieurs fois nominé au Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, tant pour ses réalisations télévisées que pour ses reportages écrits.

En septembre 2014, il reçoit le Prix de la Fondation May Chidiac pour le courage en journalisme.

Il l’a dit

« Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Abdelhamid Abaaoud, Maxime Hauchard et plein d’autres. Point commun ? Une éducation catholique. » Tweet du 25 novembre 2015.

Au sujet des djihadistes de l’État islamique : «Il m’arrive encore maintenant de parler à certains d’entre eux sur les réseaux sociaux, et je peux vous dire que l’idée que vous vous faites d’eux est pour l’essentiel le résultat d’une campagne de marketing et de relations publiques. Ils se présentent comme des super héros. Cependant, hors caméra, ils sont pathétiques à bien des égards. Ce sont des enfants des rues ivres d’idéologie et de pouvoir. En France, nous dirions qu’ils sont – bêtes et méchants. Ils sont sans doute plus bêtes que méchants, même s’il ne faut pas minimiser le potentiel meurtrier de la bêtise », Atlantico, 20 novembre 2015.

«Je pense que beaucoup de gens, beaucoup de djihadistes qui partent se battre en Syrie, sont convaincus qu’ils partent là-bas pour aider », Euronews, 5 mars 2015.
« Le djihad, pour moi, c’est un mélange de guerre d’Espagne et d’embrigadement sectaire. Un mélange de guerre d’Espagne, parce qu’il y a cette réaction face à l’horreur, face à l’horreur de ce qu’il se passe actuellement en Syrie et dans une moindre mesure en Irak, et la volonté de partir là-bas pour défendre la veuve, l’orphelin qui se font massacrer… » Ibid.

Répondant à la question de la motivation des candidats au djihad en France : « Peut-être à cause du terreau globalement islamophobe qu’on trouve en France et parce que les musulmans de France se trouvent exclus. Mais de fait, cette exclusion ne concerne pas que les musulmans. 22 % des djihadistes français sont des convertis, sont des gens, pour la plupart, de culture catholique, certains même de culture juive, qui ont embrassé la foi musulmane – pensent-ils en tout cas – pour aller mener le combat en Syrie », Ibid.

« L’une des grosses erreurs qu’on fait, en Occident, avec l’EI, c’est de considérer qu’ils sont le mal. Évidemment, surtout dans ma position, je ne vais pas commencer à les défendre, mais le problème, c’est qu’ils ne sont pas le mal : ils ne sont que le symptôme, la conséquence. Le mal, c’est l’autoritarisme, le sectarisme qui déchire le Moyen-Orient, et c’est surtout l’extraordinaire violence politique qui touche les populations de la région. Il faut s’attaquer au mal et on détruira l’EI, par conséquence », Courrier International, 20 novembre 2015.

« En France, dans nos quartiers il y a très peu de syriens. Parce que les syriens c’est en gros les intellos qui étaient opposants à la dictature et qui sont partis au cours des dernières décennies, ils sont assez peu nombreux et plutôt bourgeois. Mais les jeunes de nos cités sont ultra concernés par le conflit syrien, ils le suivent de très près, et ça contribue à la radicalisation. Il y a une solidarité identitaire arabo-musulmane, c’est une nouvelle illustration de la trahison de l’occident, de cette société qui refuse de les intégrer à la maison, chez eux, en France, et qui refuse de porter assistance à leurs frères, là-bas, au Moyen-Orient », «On n’est pas couché », 21 mars 2015.

« L’État Islamique fait tout pour qu’on le pose sur le piédestal du super groupe terroriste. Alors qu’en fait, il n’est pas ça. Ils veulent jouer sur nos peurs, pour nous faire réagir en adoptant des positions outrancières, que l’on perde nos moyens parce qu’on serait tétanisés par la peur. Il faut rester pragmatique », Ibid.

« Si il y a bien quelqu’un, de cette bande de ravisseurs, qui n’a jamais prononcé le nom de Dieu, c’est bien Mehdi Nemmouche. Lui son plan c’était de passer à la télé : on est en train de lui donner satisfaction. Il voulait atteindre une forme de notoriété, presque warholienne, il cherchait presque à gagner une émission de télé-réalité… beaucoup de ces djihadistes sont des nolife qui cherchent un destin », Ibid.

« Les ravisseurs n’ont pas réussi à me rendre islamophobe, au contraire. Ceux qui pratiquent ce genre d’enlèvements n’ont rien à voir avec ceux que je côtoie dans la région depuis plus de dix ans », Jihad Academy, Fayard, janvier 2015.

« Notre civilisation doit tout aux ancêtres des Irakiens et des Syriens. Ils ont dû se regrouper pour vivre autour du système d’irrigation du Nil. Cette nécessité les a contraints à se civiliser, à inventer l’écriture, les lois… », La Croix, 24 juin 2014.

Ils l’ont dit
« Vous dîtes qu’on parle trop des massacres de chrétiens, mais on en parle pas énormément. Il faut quand même bien dire quelque chose sur les chrétiens d’orient qui, vous le savez, car vous connaissez bien la région, ont de plus en plus de difficultés en temps que minorité à habiter cette terre arabe. Il y avait un million et demi de chrétiens en Irak en 2003, il n’y en a plus que 500 000 aujourd’hui », Léa Salamé, On n’est pas couché, 21 mars 2015.

Lu sur L’OJIM

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