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L’histoire de l’humanité est jalonnée d’éruptions volcaniques de très forte amplitude : explosion du Santorin vers 1 600 avant notre ère dont l’impact sur les civilisations méditerranéennes serait à l’origine du mythe de l’Atlantide, éruption du Vésuve en 79 de notre ère ensevelissant la ville de Pompéi, celle de 1815 du volcan indonésien Tambora, sans doute l’une des plus dévastatrices des temps historiques, ou l’éruption plus récente du Pinatubo, aux Philippines, dont les rejets atmosphériques firent chuter la température terrestre de 0,6 °C entre 1991 et 1993. Si la source volcanique de ces éruptions spectaculaires est aujourd’hui clairement établie, c’est loin d’être le cas de toutes celles qui ont marqué notre histoire. Encore récemment, il en était ainsi de l’une des plus violentes éruptions à laquelle fut sans doute confrontée notre civilisation.
Mise en évidence dès le milieu des années 1970 par l’étude de carottes de glace prélevées au Groenland puis en Antarctique, quelques années plus tard, cette mystérieuse éruption marqua le Moyen Âge de son empreinte : « L’analyse de ces échantillons de glace polaire révéla que le plus important pic de concentration en aérosols sulfatés de ces 2 300 dernières années avait eu lieu autour de 1259. Or, ce type de dépôts est caractéristique du dégazage qui accompagne une éruption explosive de grande ampleur », rappelle Jean-Christophe Komorowski, volcanologue à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP).
Plusieurs fausses pistes
Dans les années qui suivent cette découverte, des scientifiques du monde entier tentent de retrouver le coupable en étudiant de plus près ces enregistrements climatiques. L’analyse géochimique de minuscules particules de cendres associées aux dépôts sulfatés de 1259 montre que le magma qui alimenta cette éruption était composé à plus de 70 % de silice. Un tel niveau de concentration est caractéristique d’un volcanisme de type explosif. Cela implique l’éjection dans la stratosphère d’un grand volume de magma fragmenté sous forme de pluies de pierres ponces, de cendres et d’écoulements pyroclastiques. Le fait que des vestiges de la mystérieuse éruption aient été recueillis au niveau des deux pôles indique par ailleurs que l’événement s’est déroulé dans la région intertropicale.
Sur la base de ces éléments, plusieurs édifices volcaniques comme El Chichón, au Mexique, le Quilotoa, en Équateur ou le Mont Tarawera, en Nouvelle-Zélande, sont tour à tour suspectés d’être à l’origine de la mystérieuse éruption avant d’être écartés : « Bien que ces volcans étaient connus pour avoir engendré une grande éruption autour du XIIIe siècle, la composition chimique des matériaux éjectés n’était pas compatible avec celle de l’éruption mystérieuse. Le volume de matériaux éjectés dans la haute atmosphère s’avérait quant à lui insuffisant au regard de l’importance du pic de sulfates de 1259 », détaille le volcanologue de l’IPGP. Au début des années 2010, le responsable de la mystérieuse éruption demeure toujours introuvable. C’est le moment que choisissent Jean-Christophe Komorowski et Franck Lavigne, professeur en géomorphologie volcanique et directeur du Laboratoire de géographie physique de Meudon1, pour relancer l’enquête.
Revenir à la source
À la différence de leurs prédécesseurs, les deux scientifiques vont mettre de côté les produits éruptifs emprisonnés dans les archives climatiques pour se focaliser sur la source de l’éruption. Grâce au travail de modélisation entrepris par Myriam Khodri du Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentation et approches numériques2 (LOCEAN/IPSL) de Paris, les chercheurs savent désormais que le mystérieux volcan s’est réveillé en 1257. En se basant sur le déroulement de la violente éruption explosive du Pinatubo en 1991, la plus importante du genre survenue au cours du XXe siècle, ainsi que l’étude des archives historiques menée par Sébastien Guillet à l’université Panthéon-Sorbonne, la climatologue parvient à la conclusion suivante : moins de trois années se sont écoulées entre l’explosion du mystérieux volcan et la retombée au sol des aérosols soufrés que celle-ci a engendré.
L’analyse des cendres volcaniques retrouvées dans les carottes de glace suggère en outre que l’éruption de 1257 a été cinq fois plus violente que celle du Pinatubo, soit une puissance suffisante pour expulser 40 kilomètres cubes de roches volcaniques. « Compte tenu de la quantité colossale de matière éjectée par le volcan, la chambre magmatique a dû se vider totalement fragilisant ainsi l’édifice qui a fini par s’effondrer sur lui-même, explique Franck Lavigne. L’environnement actuel de notre mystérieux volcan s’apparente donc à une caldeira de plusieurs kilomètres de diamètre aux abords de laquelle se sont accumulées les pierres ponces projetées par l’explosion. » Un édifice volcanique de nature explosive localisé dans la ceinture tropicale disposant d’une gigantesque caldeira dont les flancs sont recouverts d’une épaisse couche de pierres ponces. Tel est désormais le portrait-robot du suspect idéal.
L’Indonésie au centre de l’enquête
En partant de ces informations, les scientifiques français vont pouvoir restreindre considérablement la zone d’investigation. Écartant d’emblée le continent africain qui n’abrite aucun volcan explosif, ils éliminent ensuite de l’équation l’ensemble de l’Amérique latine. Dans cette région du globe où les volcans sont étudiés depuis de nombreuses années, aucun candidat potentiel n’a en effet jamais généré d’éruption aussi spectaculaire que celle de 1257. La recherche du monstre se recentre alors sur l’Indonésie, un archipel volcanique que Franck Lavigne arpente inlassablement depuis plus de 25 ans : « Ce vaste chapelet d’îles rassemble plus de 130 volcans actifs parmi lesquels une dizaine n’ont encore jamais été étudiés. » À l’appui d’images satellites, le géomorphologue et son équipe passent alors en revue chaque île indonésienne en quête de volcans disposants d’une vaste caldeira. Les chercheurs finissent par dresser une liste de sept édifices volcaniques pour lesquels aucune datation ou analyse géochimique poussée n’a encore jamais été réalisée. « À ce stade de l’enquête nous étions persuadés que la clé de l’énigme reposait sur la découverte de vastes carrières de pierres ponces très peu altérées, la présence en abondance de ce matériau volcanique étant à coup sûr la signature d’une grosse éruption explosive très récente », confie Jean-Christophe Komorowski.
Située à quelques encablures de la célèbre île de Bali, l’île de Lombok a le profil idéal : de vastes carrières de pierres ponces disséminées sur l’ensemble du territoire, une caldeira de 8 kilomètres de long sur 6 de large, celle du mont Rinjani, le deuxième plus haut volcan d’Indonésie. Mais le Rinjani est-il pour autant à l’origine de la mystérieuse éruption de 1257 ? Celle-ci n’a-t-elle pas été provoquée par un volcan encore plus imposant ? Pour en avoir le cœur net, Franck Lavigne et Jean-Christophe Komorowski monteront plusieurs expéditions sur l’île de Lombok à partir de 2012.
Les chercheurs parviennent bientôt à identifier le coupable… dont ils révèlent le nom en 2013 dans la revue Pnas(link is external). Le documentaire diffusé samedi soir sur Arte nous permet de revivre cette enquête passionnante mêlant modélisations scientifiques, analyse d’archives historiques et études de terrain.