Lorsque nous parlons de bande dessinée et de montagne, un titre mythique s’impose : Tintin au Tibet (1960). Et nombreux sont les enfants qui pensèrent à leur reporter préféré et à Tchang en découvrant la montagne pour la première fois. Mais le champ est bien plus vaste que cette belle aventure népalaise, puisque l’exposition du musée de l’Ancien Evêché de Grenoble, dont ce très beau livre est tiré, a retenu pas moins de 90 ouvrages après un inventaire qui dépassait les 400 titres. Sans que l’on puisse parler de la bande dessinée de montagne comme d’un genre à part entière, il faut donc bien constater que la montagne a représenté et représente toujours un sujet important pour les auteurs de BD, du domaine franco-belge jusqu’aux mangakas.
De Töpffer à Fripounet et Marisette
Traiter en un même ouvrage de l’histoire de la bande dessinée et de celle de la découverte de la montagne n’est pas si saugrenu. Car c’est en Suisse qu’est né l’ancêtre direct de la bande dessinée, sous la plume de Rodolphe Töpffer : Les Amours de M. Vieux-Bois (1827) où la montagne tient déjà une place de choix. En 1851, c’est au tour de Gustave Doré de se saisir du thème montagnard pour de jubilatoires vignettes réunies sous le titre facétieux : Des-agréments d’un voyage d’agrément. N’oublions pas l’une de nos héroïnes nationales : Bécassine, qui s’improvise alpiniste dans les pages de La Semaine de Suzette en 1907. Bien entendu, les publications s’accélèrent à partir des Trente Glorieuses, sous l’effet de la « démocratisation » des loisirs. La montagne n’est alors plus le terrain d’initiation des seuls aristocrates ou de certains bourgeois mais devient peu à peu accessible à la classe moyenne naissante. Donald alpiniste paraît en 1954 et Lili monitrice en 1958. Le réalisme des paysages arrive avec un épisode de Fripounet et Marisette : Le Secret de la goule rouge, qui se déroule dans le massif du Vercors.
L’appel des sommets
Mais il y a tant à apprendre des rapports entre bande dessinée et univers montagnard que ce volume finira sans aucun doute dans la bibliothèque des bédéphiles et… des arpenteurs de montagnes. Glissons ici quelques suggestions parmi les titres les plus récents : L’invention du vide (2012) ; Tenzing. Sur le toit du monde avec Edmund Hillary (2013) ; La Fiancée du Queyras (2014). Terminons par Premier de Cordée, paru cette année chez Artège et qui mérite une mention spéciale, tant pour la beauté des aquarelles de Pierre-Emmanuel Dequest que pour la qualité du scénario de Jean-François Vivier. Une adaptation qui n’a pas à rougir de la comparaison avec le monument de Frison-Roche. Avouons que nous n’avons pas été séduits par la présentation des BD humoristiques. Il est en effet un art difficile de ne pas suggérer le blasphème en salissant d’un trait trop grossier ou d’un scénario aux pieds lourds la beauté et la grandeur tragique de la montagne. On n’ose imaginer les Bidochons au cœur du massif des Ecrins, ce qui serait tout aussi vrai sur un voilier passant les quarantièmes rugissants. Les sommets, comme la haute mer, appellent l’humble respect des fourmis aventureuses que nous sommes. Signe des temps ? Les titres de montagne sont de plus en plus nombreux sur les présentoirs des libraires, aux côtés des planches d’aviation et des récits de guerre. Preuve d’une soif d’héroïsme et de dépassement dans une époque qui, malgré les mirages virtuels, respire à basse altitude.
Pic & Bulle, par Lazier, Peter et Rouvière, éditions Glénat, 35 euros.
Pierre Saint-Servant – Présent