Être vegan, c’est tellement 2015… C’est avec ce constat ironique que les blogueurs lifestyle américains ont accueilli l’intronisation, par le New York Times, en janvier dernier, d’une nouvelle tribu d’abstinents alimentaires : dans un petit monde déjà encombré, les derniers venus sont en effet les climatériens… Comme leur nom l’indique, les climatériens ont une conviction : ils pensent sincèrement que leur façon de se nourrir, évidemment bien sous tous rapports, influe positivement sur le réchauffement climatique. Et sont convaincus que quelques privations volontaires peuvent enrayer l’inéluctabilité de cette catastrophe en marche. Ce n’est donc pas la souffrance animale ni leur petite santé qui les motivent d’abord, c’est la préservation de notre mère la planète…
Le CO2 dans le viseur
Bien sûr, il est difficile de prime abord de ne pas trouver cela admirable, voire plus facile à comprendre dans son altruisme humaniste que le végétarisme, le pescétarisme ou le no glu. Supprimer de son alimentation tout ce qui croque inutilement du CO2, en outre, ne devrait pas être trop ardu.
Hélas, à l’usage, ce n’est pas du tout de la tarte (aux fanes de carottes) de faire frigo commun avec des néoconvertis prosélytes. Leur grand dada, tout d’abord, est de ne plus penser la nourriture qu’en termes de coût écologique. C’est très bien, cela nous amuse même beaucoup les premiers jours de faire des comptes sur un calculateur d’« empreinte alimentaire » (bonpourleclimat.org). On y apprend entre autres choses qu’un kilo de bœuf pèse aussi lourd en carbone que 10 kilos de crustacés… Excellent, nous voilà parfaitement légitimée à acquérir des langoustines plutôt que des merguez, même s’il va falloir abonder plus vite que prévu la cagnotte commune des vacances sur Leetchi !
Dommage que le sujet concomitant des émissions de méthane générées par le bétail, certes apprécié des petits, toujours fascinés par ce qui a trait au météorisme, lasse vite. Bref, si l’on résume, on en vient un peu vite à ne plus parler que des prouts des vaches et des dégâts terribles qu’ils occasionnent. On comprend aussi, dans la douleur, qu’outre la viande des bovidés ou des ovidés, leurs fromages et produits laitiers sont donc aussi très, très méchants : ciao broccio et livarot…
Bien. Il nous reste néanmoins tous les fruits et légumes, plus le porc et le poulet, à petites doses, pour survivre agréablement cet été (sans compter le vin biodynamique, bien sûr). Confiante, certaine que notre corps nous dira en outre merci, nous partons donc au marché avec nos copains climatériens. Pour en ressortir deux heures plus tard le rouge au front, brouillée peut-être à vie avec Madame Cocotte, primeur chic. Laquelle s’est fait interroger, pire que par la Stasi, devant tous ses habitués. Puis tancer vertement par nos amis sur ses brugnons espagnols (alors qu’on est à deux pas du Lot-et-Garonne) et ses tomates poussées sous serre en Bretagne (une honte, quand la pleine terre est là, qui nous tend les bras, à Marmande). Même topo chez le boucher, qui semble avoir pris assez mal le petit cours magistral sur les méfaits de l’élevage en batterie, consécutif à son absence de traçabilité sur ses blancs marinés à l’indienne (une recette qui l’a pourtant rendu célèbre localement).
La bataille de l’anti-gaspillage
Lasse encore d’être grillée auprès de ses commerçants préférés (dix ans d’efforts au Ferret, un tutoiement tout proche, partis en fumée, mais bon…). Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Car l’autre cheval de bataille du climatérien est l’anti-gaspi. Là encore, nous sommes parfaitement d’accord, à la base. Jeter de la nourriture est une honte et ne devrait JAMAIS arriver. Mais cette hantise du gâchis conduit la maisonnée, plus ou moins consentante, à des pratiques furieusement anti-hédonistes : interdiction de pain frais avant d’avoir fini le précédent (oui, comme chez votre grand-mère grenouille de bénitier, jadis) ; recyclage sur cinq repas consécutifs du reste de riz, incluant une salade au maïs sans OGM et un frichti vaguement cantonais (à l’aide !) ; et confection de brouets « fouzitou » englobant tous les légumes flétris trop vite… Curieusement, ce qui nous semblait branché au Freegan Pony, restaurant éphémère qui cuisine les invendus, nous apparaît brusquement infâme à la maison ! Quant au ramassage systématique de la roquette sauvage dans les dunes, comment dire…
Face à l’obscurantisme que révèle notre attachement absurde au Spritz (le coût carbone du Prosecco, on ne vous dit pas !) et aux pistaches d’Iran (enfin de retour depuis la levée des sanctions contre ce pays), nos proches climatériens dépérissent à vue d’œil et nous font de la peine, cela dit. Pour les réconforter, signalons-leur la tenue prochaine, à New York, du premier sommet « reducetarien ». Un courant proche, mais avec un nouveau nom très chouette lui aussi ! Et qui les aidera à réduire encore plus – mais sans nous – leur consommation d’aliments nocifs pour Gaia, notre mamma…